Droits LGBTQ menacés
En Pologne, la victoire des nationalistes réduit l'espoir de l'accès à l'avortement

Les militants pour les droits des femmes et LGBTQ en Pologne expriment leur déception à la suite de l'élection de Karol Nawrocki comme président. Son opposition aux réformes sur l'avortement et les unions civiles homosexuelles suscite des inquiétudes.
Publié: 03.06.2025 à 05:26 heures
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Le candidat nationaliste Karol Nawrocki a officiellement remporté l’élection présidentielle de dimanche, en recueillant 50,89%, contre 49,11 à son rival pro UE Rafal Trzaskowski.
Photo: imago/Newspix
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AFP Agence France-Presse

La militante polonaise pour le droit à l'avortement Justyna Wydrzynska retient à peine ses larmes en évoquant le moment où elle a appris la victoire du candidat nationaliste à l'élection présidentielle de dimanche en Pologne, pays où l'avortement est quasiment interdit. Soutenu par l'opposition de droite, Karol Nawrocki a bel et bien déclaré qu'il ne signerait pas de lois visant à assouplir les lois anti-avortement ou à introduire des unions civiles pour les personnes LGBTQ.

Coup de massue sur les espoirs de progression

Pour ceux qui militent depuis des années en faveur de tels changements dans ce pays majoritairement catholique, la victoire de Karol Nawrocki représente un coup dur à supporter. «J'espérais vraiment un résultat différent», avoue Justyna Wydrzynska, se disant remplie de colère, de tristesse et de déception, d'«un mélange de ces trois émotions». Elle parle depuis un centre d'avortement installé par son groupe de militants juste en face du parlement polonais: un acte de défi destiné à faire pression sur les députés pour qu'ils libéralisent les règles très strictes.

Le rival de Karol Nawrocki, le maire pro-UE de Varsovie Rafal Trzaskowski, s'était engagé à accélérer ce processus, à autoriser l'avortement légal en annulant la loi en vigueur qu'il a souvent qualifiée de «médiévale». Pendant ce temps, Karol Nawrocki a prôné «la protection de la vie» et assuré qu'il utiliserait le droit de véto présidentiel pour bloquer les efforts visant à assouplir la loi.

Le centre, qui attire régulièrement des manifestants anti-avortement, craint de nouvelles attaques. «Les anti-avortement peuvent se sentir désormais bien plus courageux qu'ils ne l'étaient auparavant», craint l'activiste qui elle-même avait été condamnée pour assistance à un avortement. «Cela signifie que notre sécurité est en danger... Peut-être que nous déciderons de fermer», dit-elle.

Les espoirs de la communauté LGBTQ partent en fumée

Le résultat du vote a ébranlé aussi les milieux LGBTQ ayant espéré qu'une victoire de Rafal Trzaskowski ouvrirait la voie à la reconnaissance légale des couples de même sexe. Selon le militant Tomasz Szypula, 45 ans, le résultat du scrutin «repousse la perspective de tout changement positif pour les personnes LGBTQ de cinq années supplémentaires», pour la durée d'un mandat présidentiel.

Une prise de conscience «dévastatrice»: «Dans cinq ans, j'aurai 50 ans. Je suis impliqué dans le militantisme pour les droits humains LGBTQ depuis 20 ans», indique-t-il. «Pour moi, depuis un quart de siècle, rien n'a changé en termes de progrès légal, (...) cela t'enlève l'espoir, l'énergie pour agir.»

En Pologne, les couples de même sexe ne peuvent ni se marier ni enregistrer leur partenariat et, en raison de l'absence de reconnaissance légale, ils se heurtent à de multiples obstacles. Cela va de l'obligation de payer des frais de succession en cas de décès du partenaire à des difficultés à lui rendre visite à l'hôpital.

Tomasz Szypula, victime d'un grave AVC en 2024 et qui poursuit sa convalescence, a connu ce problème personnellement. Son partenaire n'a été autorisé à venir à son chevet qu'après une permission officielle accordée par sa mère. «Ce n'est pas ça la vie d'adulte, quand vous êtes dans la quarantaine et que votre mère doit décider si votre partenaire peut vous rendre visite ou non», insiste-t-il.

Peur de revivre des «temps sombres»

Przemyslaw Walas, un militant de la Campagne contre l'homophobie, ne s'est couché que tard dans la nuit, surveillant nerveusement les résultats des élections qui tombaient. La victoire de Karol Nawrocki ne l'a pas surpris. «Les questions de la communauté LGBTQ ne figurent jamais parmi les priorités pendant les élections», dit-t-il.

Karol Nawrocki a déclaré lors d'une débat que «le mariage est évidemment une relation entre un homme et une femme» avant d'ajouter qu'il ne pouvait pas «imaginer un mariage entre des personnes du même sexe». «La communauté LGBT ne peut pas compter sur moi pour traiter leurs problèmes», a-t-il aussi indiqué.

Prwemyslaw Walas dit sa peur de voir l'extrême droite renforcée par les résultats de l'élection et de revivre «les temps sombres» des discours haineux anti-LGBTQ qui risquent de se multiplier. «C'est assez terrifiant, mais je pense aussi que cela pourrait déclencher un signal, une étincelle, pour se mobiliser à nouveau», songe-t-il.

Encore un long chemin

Tomasz Szypula essaie de rester optimiste et rit en disant qu'"il y a bien un avantage à être un homme queer de 45 ans qui a subi un AVC: vous avez déjà vu et connu beaucoup de choses». Plus tôt cette année, il a appris avoir gagné un procès devant la Cour européenne des droits de l'homme contre l'incapacité de la Pologne à reconnaître et à protéger légalement les couples de même sexe.

«J'étais content d'avoir survécu rien que pour pouvoir assister à ce moment», relève Tomasz Szypula. «Nous devrons participer à toutes les manifestations» possibles en faveur de l'égalité des droits, dit-il maintenant. «C'est un long chemin, mais apparemment il n'y a pas d'autre.»

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