Rahul Sahgal est un citoyen suisse né en 1977, connu pour sa grande expérience internationale dans les domaines économique et diplomatique. Il a récemment pris le poste de directeur général de la Chambre de commerce suisse-américaine. Alors que la Suisse s'inquiète des décisions économiques imprévisibles de Donald Trump, Rahul Sahgal se veut beaucoup plus rassurant.
Rahul Sahgal, il y a actuellement beaucoup d'agitation autour de Donald Trump dans le monde et maintenant aussi en Suisse. A quel point êtes-vous inquiet?
Donald Trump avait l'intention de provoquer cette agitation. Le président américain ne manque pas de stratégies, même s'il en donne parfois l'impression. Trump est désormais au sommet de son pouvoir et il a toutes les institutions de son côté: le Sénat, la Chambre des représentants, la Cour suprême, et même Elon Musk qui le soutient. S'il fait des choses impopulaires maintenant, elles seront derrière lui dans une année. Trump pourra alors mettre en œuvre des projets plus agréables en 2026 et ouvrir la voie aux républicains pour remporter les élections de mi-mandat en novembre 2026.
La guerre commerciale, par exemple, pourrait concerner directement la Suisse. Les Etats-Unis nous aurait placés sur la liste noire des pays aux «méthodes commerciales déloyales». Cela déclenche-t-il la sonnette d'alarme?
Ce n'est pas une liste noire, c'est un terme complètement faux. Il n'y a pas de nouvelle liste dans ce sens. La Suisse fait partie des 20 plus grands partenaires commerciaux des Etats-Unis et se situe à la 14e place en termes de déficit commercial de marchandises. Pas plus, pas moins.
Liste noire ou non, le fait est que les politiques suisses sont inquiets, à gauche comme à droite. Comment les rassurez-vous?
Notre balance commerciale n'est en aucun cas déloyale. C'est ce que nous devons expliquer aux Américains et nous avons les arguments pour le faire. La Suisse n'impose pas de droits de douane sur les biens industriels. Aucun! Ce sont les États-Unis qui imposent des droits de douane de 2,2% en moyenne sur les produits suisses. De plus, nous importons onze fois plus des États-Unis par habitant que l'inverse.
Le fait que l'administration Trump mentionne la Suisse dans ce contexte a tout de même provoqué des remous au Parlement fédéral. Réagissons-nous de manière trop excessive face aux décisions de Trump?
Oui, absolument. Et cette hystérie à propos de Trump n'est pas appropriée. La plupart des gens n'ont aucune idée de ce qu'il fait réellement ou de la stratégie qui se cache derrière ses décisions. Au lieu de cela, c'est une image réflexe qui prévaut: Trump est le méchant, donc tout ce qu'il fait doit automatiquement être mauvais.
Concrètement, Trump est-il mauvais pour la Suisse?
La Suisse est globalement bien vue par l'administration Trump. Le président et son équipe nous apprécient en tant que pays libre avec un système politique similaire à celui des Etats-Unis. Le fait que nous ne soyons pas dans l'UE est un avantage pour nous. Je ne pense donc pas que nous soyons dans la ligne de mire directe de Trump. Mais un dommage collatéral est toujours possible, par exemple s'il impose des droits de douane punitifs à l'UE. Quant à des actions ciblées contre nous? Je n'y crois pas.
Dans les milieux libéraux, l'idée d'un accord de libre-échange avec les États-Unis perdure. Au niveau national c'est impensable, aussi bien en Suisse à cause de l'agriculture qu'en Amérique à cause de la politique «America First» de Trump... n'est-ce pas?
Un accord de libre-échange global est effectivement irréaliste. Il est plus probable que des accords sectoriels plus petits ou des accords de coopération économique soient conclus, par exemple dans la recherche ou la formation professionnelle. Mais il n'y a pas d'urgence: 99% des marchandises américaines qui entrent en Suisse ne sont pas soumises à des droits de douane. Pourquoi Washington devrait-il donc négocier un accord avec la Suisse si l'avantage économique est faible?
Mais Trump aime le symbolisme.
Oui, la seule raison possible serait politique: ce serait un signal que les Etats-Unis sont prêts à conclure des accords commerciaux bilatéraux.
Contrairement à des pays comme l'Allemagne ou la France, la Suisse ne devrait pas recevoir plus de 50'000 puces d'intelligence artificielle par an. C'est ce qu'a décidé Joe Biden en janvier. Quelle serait la gravité de la situation?
Cela affecterait fortement la Suisse puisque nous sommes le plus grand site pour les entreprises américaines d'IA en Europe. Et nous avons de nombreuses entreprises d'IA en Suisse, un secteur d'avenir pour le pays. Si les Etats-Unis limitent leurs exportations de puces, cela pourrait vraiment devenir problématique pour nous. La question est: que fait Trump?
Vous défendez actuellement la Suisse à Washington et luttez contre les restrictions sur les puces d'intelligence artificielle. Etes-vous confiant?
Il y a différentes opinions au sein de l'administration Trump. Les uns ne veulent pas risquer que leurs partenaires achètent des puces IA chinoises à la place, ils veulent donc nous libérer des restrictions. Les autres estiment que la sécurité nationale est prioritaire. Mais on ne sait toujours pas comment nous nous sommes retrouvés dans la deuxième catégorie. J'espère que cela sera bientôt tiré au clair. Et j'espère que Trump prendra une décision en faveur de la Suisse.