«Ce n'est pas Israël qui contrôle quoi que ce soit ici»
L'ancien boss des services secrets israéliens doute que son pays détruise un jour le Hamas

Israël a-t-il les moyens d'atteindre son objectif de détruire le Hamas? Selon l'ancien chef du renseignement intérieur israélien, Yuval Diskin, la partie sera longue et loin, très loin d'être gagnée. Il explique pourquoi.
Publié: 13.12.2023 à 06:01 heures
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Depuis le 7 octobre, une guerre acharnée oppose Israël et le Hamas.
Photo: Getty Images

Si quelqu'un s'y connaît sur Israël, c'est bien lui. De 2005 à 2011, Yuval Diskin a dirigé le service de renseignement intérieur, le Schin Bet. Il explique au magazine «Der Spiegel» ce qu'il pense de la guerre actuelle et pourquoi la destruction du Hamas est... impossible.

Pour l'ancien boss des renseignements, les motivations derrière la grande attaque du 7 octobre sont ailleurs. Selon lui, il s'agirait d'un échec d'Israël: «Notre armée, nos politiques, tout le monde semble avoir cru que le calme ici durerait éternellement. Nous avons été pris par surprise. Il n'y a jamais eu autant de morts ni de personnes assassinées sur le territoire israélien. Jusqu'à présent, nous avons toujours réussi à mener des guerres hors de nos frontières.»

Depuis, la confiance dans le gouvernement israélien a été rompue, tant celle de la population que celle de Yuval Diskin: «J'ai ressenti ce que ces gens ont ressenti, se sentir trompé par son État, par son armée». Désormais pour l'ex-chef des services secrets, «les otages devraient être notre priorité. C'est la seule façon pour nous, en tant qu'État, de regagner la confiance de nos citoyens».

«Notre société devient de plus en plus extrémiste»

Bien que cette attaque ait été une surprise, elle n'est pas arrivée par hasard, selon Yuval Diskin. Depuis des décennies, des affrontements violents opposent régulièrement Palestiniens et Israéliens, notamment dans les territoires occupés par Israël: «Tout est lié. D'une certaine façon, Israël s'est transformé en une société extrémiste, dans laquelle les mouvements extrémistes, les nationaux-religieux et les colons donnent le ton» met en garde Yuval Diskin, selon qui «on a donné au Hamas «tout le temps du monde pour planifier ce massacre».

Yuval Diskin tient le Premier ministre Benjamin Netanyahu pour responsable du cours des évènements: «Il nous a amenés au bord de la guerre civile, a dressé les Israéliens les uns contre les autres, a nommé des extrémistes condamnés comme ministres et a cru pouvoir ainsi contrôler tout, et tout le monde.»

La situation est particulièrement grave en Cisjordanie: «Les colons extrémistes fanatiques menacent les habitants palestiniens, et même les tuent parfois. Cela me rend triste de voir que le gouvernement tolère cela. Moi et d'autres, nous avertissons depuis des années que notre pays devient de plus en plus extrémiste». Pour Yuval Diskin, une chose est sûre: ce que Netanyahu «a fait au pays», il devra le payer tôt ou tard.

«On ne peut pas bombarder une idéologie»

Mais Yuval Diskin ne rejette pas que la faute uniquement sur le gouvernement israélien. Selon lui, ce qu'il s'est passé le 7 octobre était un «choc des civilisations»: «Le Hamas est la branche palestinienne des Frères musulmans. Les islamistes revendiquent des terres qu'ils considèrent comme authentiquement musulmanes. Leur mission: créer un État islamique». Selon l'ex-patron des renseignements, il y a certes «un nombre infini de Musulmans qui ne pensent pas ainsi», mais il avertit que «les Frères musulmans fonctionnent ainsi».

L'ancien chef des services secrets doute également qu'Israël puisse un jour détruire le Hamas: «Le Hamas continuera d'exister, on ne peut pas bombarder une idéologie. On peut seulement réduire ses capacités militaires et faire en sorte que les islamistes ne gouvernent plus».

D'autres experts ont déjà averti que la guerre en cours à Gaza pourrait même conduire à ce que davantage de personnes rejoignent le Hamas après la fin de la guerre, encouragées par le traumatisme et la colère des agressions actuelles.

Les États-Unis décident de tout

À présent, personne ne sait exactement quand la guerre sera terminée. Yuval Diskin pense qu'elle ne pourra pas durer plus d'un mois ou deux, principalement en raison des élections américaines. «Ce n'est pas Israël, ni Netanyahu, qui contrôle quoi que ce soit ici. Les élections américaines vont influencer l'issue de cette guerre. Cette guerre n'est pas bonne pour le président américain Joe Biden, qui soutient Israël comme aucun président américain ne l'avait fait auparavant. Mais bien sûr, il ne le fait pas gratuitement: il veut avoir son mot à dire sur ce que nous faisons à Gaza.»

Ce qu'il se passera après la guerre n'est pas non plus très clair. Yuval Diskin pense qu'Israël pourrait gouverner le nord de la bande de Gaza: «Mais le Hamas prendra probablement le sud». La «seule façon de sortir de ce conflit» serait malgré tout un «accord régional impliquant Israël, les Palestiniens, mais aussi la Jordanie et l'Égypte». Quoi qu'il en soit, une occupation militaire de la bande de Gaza ne peut pas garantir la sécurité d'Israël: «A long terme, il n'y a qu'une chose à faire: la paix.»

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