Son nom reste comme le symbole d’une tentative ratée et il planera immanquablement au dessus de la nomination attendue d'Elisabeth Borne à la tête du gouvernement français. Premier ministre du 15 mai 1991 au 2 avril 1992, Édith Cresson, aujourd'hui âgée de 88 ans, demeure à ce jour la seule femme à avoir dirigé l'exécutif républicain. Tentative ratée, car tout dans cette nomination par François Mitterrand – réélu trois ans plus tôt mais déjà très affecté par le cancer qui l’emportera le 8 janvier 1996 – reflétait un choix «par défaut».
Il s’agissait pour le «Sphinx» de l’Élysée, au premier tiers de son second quinquennat, de refermer la porte pour de bon sur l’expérience Michel Rocard, son ennemi juré du Parti socialiste qu’il avait dû nommer à Matignon le 10 mai 1988, après les élections législatives. Il s’agissait, surtout, de nommer une fidèle d’entre les fidèles, assurée de suivre sans ciller les consignes présidentielles. L'expérience durera juste un an. La cheffe du gouvernement essuiera de multiples attaques et devra céder sa place au défunt Pierre Beregovoy. Fermez le ban! Depuis lors, la promesse de reféminiser la fonction de Premier ministre était restée lettre morte.
Mitterrandien en diable
Et voilà qu’Emmanuel Macron, mitterrandien en diable par sa manière (d’essayer) de concilier les contraires, a tenu parole. C’est donc une femme qui parait assurée de succéder dans les prochaines heures au haut fonctionnaire Jean Castex nommé Premier ministre le 3 juillet 2020, qui vient de remettre sa démission. La ministre sortante du travail tient la corde. Mais peut-elle cocher toutes les cases en conservant si possible l’héritage politique de son prédécesseur: efficace mais effacé, capable de parler au pays et à l’administration sans faire d’ombre au Chef de l’État, crédible sans apparaitre faible aux yeux des ministres les plus puissants.
Attachez vos ceintures mesdames, le chemin vers le pouvoir exécutif promet d’être cabossé! D’autant que cette cheffe du gouvernement sera sur un siège éjectable. Si la majorité présidentielle – la coalition centriste baptisée «Ensemble» – ne remporte pas les législatives des 12 et 19 juin, il lui faudra peut-être, selon une formule chère au défunt leader du parti communiste Georges Marchais adressée jadis à sa propre épouse, immédiatement «faire ses valises».
Vous voulez un pronostic?
Qui veut être la femme (Premier ministre) de Macron? Qui veut risquer d’occuper aux côtés de ce jeune président de 44 ans l’autre place féminine, sur laquelle on imagine que Brigitte, l’épouse du Chef de l’État, âgée de 69 ans, aura évidemment son mot à dire? Il y avait pourtant plusieurs candidates...
Le premier nom souvent cité était celui de l’actuelle directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, proche du parti socialiste et ex-ministre de la culture (2016-2017) de celui qu’Emmanuel Macron continue de considérer comme son anti-modèle: son prédécesseur François Hollande. Ses atouts étaient évidents: elle est diplômée de l’Ecole nationale d’Administration (Promotion Averroès en 2000). Elle vient de la gauche. Elle pourrait compter sur les soutiens des milieux culturels. Elle dispose désormais d’une grande expérience internationale. Mais ses handicaps étaient sérieux, très sérieux. Sa famille est associée de très près à la famille royale du Maroc (son père, André, conseillait Hassan II). Son style très vertical lui vaut au sein de l’Unesco le surnom de «princesse». Elle incarne la France d’en haut, l’élite mondialisée, alors que Macron a besoin de convaincre celle d’en bas. Ce casting-là aurait été synonyme d'une cascade politique assurée.
Gare au terrain miné!
Un autre nom cité était celui de l’ancienne ministre socialiste de la santé Marisol Touraine (2012-2017). Mais là aussi, gare au terrain miné! Au début de la pandémie de Covid-19, celle-ci a dû s’expliquer sur la grave pénurie de masques et n’a pas vraiment réussi à convaincre. Elle est aussi perçue comme une «politicienne», certes ancrée en province (dans l’Indre et Loire), mais sans réel charisme populaire. Vous avez dit écologie (une promesse ferme de Macron durant sa campagne), territoires (une autre promesse) et écoute du pays (une troisième promesse) ? Ce choix-là aurait été probablement perçu comme une manœuvre d’appareil, et à une forme de survie de l’ancien PS, dévasté dans les urnes lors de la présidentielle et plus divisé que jamais depuis l'accord électoral de la Nouvelle Union populaire conclu avec Jean-Luc Mélenchon.
Des «Jean Castex» au féminin
Et voilà que d’autres femmes ont surgi. Des «Jean Castex» au féminin: inconnues ou presque du grand public, compétentes dans leur domaine, capables de nouer des alliances si la majorité tangue. Citons en deux: Catherine Vautrin, une élue de droite Sarkozyste de Champagne, présidente de l’agglomération de Reims, plusieurs fois secrétaire d’État sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Vous n’en avez jamais entendu parler? Je vous rassure, moi non plus avant de l’entendre dans la bouche de plusieurs parlementaires macroniens. Mais conservez ce nom en tête. L’autre? L’économiste Laurence Toubiana, spécialiste de la lutte contre le réchauffement climatique et négociatrice des accords de Paris de novembre 2015. Son profil, il est vrai, coïncidait davantage avec celui d’une ministre chargée de la transition écologique.
Ah, j’oubliais celle qui, depuis le début, est sur le perron de Matignon: la ministre sortante du travail Élisabeth Borne, dont Emmanuel Macron dit le plus grand bien. Jouable? Oui. Crédible? Oui. Incarnation d’une indispensable dynamique nouvelle? Non. Son arrivée à Matignon, jugée très probable à l'heure d'écrire ces lignes, est d'abord synonyme de continuité, loin de l'électrochoc requis pour doper les débuts de Macron II. Et pendant ce temps-là, je vous le donne en mille: au propre comme au figuré, les éléphants politiques masculins aiguisent leurs lames pour leur prochain duel!