Bien plus qu'un remplaçant de Trump
J. D. Vance, une résurrection américaine

Le vice-président américain est bien plus que le remplaçant de Donald Trump. Il se profile d’ailleurs déjà comme son successeur et son héritier politique. Avec une promesse qu’il s’est faite enfant: celle d’une résurrection américaine.
Publié: 09:07 heures
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Le Sénateur J. D. Vance a rassemblé les foules lors de la campagne de Donald Trump.
Photo: KEYSTONE
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Richard Werly
L'Illustré

«Sans doute devrais-je commencer par vous faire un aveu: l’existence même du livre que vous avez entre les mains a quelque chose d’absurde.» Nous sommes le 20 janvier 2025, sous la coupole du Congrès des Etats-Unis d’Amérique. James David Vance, 40 ans, est sur le point de prêter serment. Le nouveau vice-président, colistier de Donald Trump, s’avance avec sa bible en main. Mais pas seulement. A proximité, une femme d’une soixantaine d’années a posé un ouvrage écorné sur sa chaise. Bev Vance est la mère de J. D., celle qu’il a durant des années vouée aux gémonies. Ex-toxicomane, invitée de son fils sur le point de devenir le numéro deux de la première puissance mondiale, elle a tenu à garder auprès d’elle le livre qui commence par ces mots. Son titre? Hillbilly Elegy. Traduisez: «L’épopée d’un plouc».

Le 20 janvier 2025 au Capitole, à Washington, J. D. Vance prête serment aux côtés de sa femme Usha et Donald Trump.
Photo: AFP

Bienvenue dans l’autre Amérique MAGA. Celle que nous connaissons, celle que montrent les caméras du monde entier, celle qui s’époumone à scander le slogan «Make America Great Again» dans tous les rassemblements pro-Trump n’a pas grand-chose à voir avec ce pays réel, reculé et aussi fier que dévasté, dont J. D. Vance est aujourd’hui l’enfant chéri. C’est cette autre Amérique que j’ai voulu découvrir en suivant vers le sud, à partir de New York, l’épine dorsale des Appalaches, jusqu’à arriver ici: Panbowl Branch, comté de Breathitt, dans le nord de l’Etat du Kentucky. Une litanie de maisons campagnardes taillées sur le même modèle: pelouse soignée, garage, drapeau étoilé planté en guise d’avertissement. «Je veux qu’on comprenne comment une personne en vient à ne plus croire en elle et pourquoi.»

Américain de carte postale

«James David Vance est un Américain de carte postale. Son enfance pauvre, entre son Etat natal de l’Ohio et la localité du Kentucky où habitaient ses grands-parents qui l’accueillaient tous les étés, dit ce que ses fonctions actuelles ont entièrement gommé.» J. D., comme tout le monde le surnomme ici, à Panbowl, est l’exact opposé de Donald Trump. Son antithèse corporelle, sociale et culturelle. L’ancien promoteur immobilier new-yorkais ne vit que pour les deals, et surtout ceux qui lui rapportent gros. J. D. n’a pas connu le Queens, sanctuaire de la famille Trump, avant l’âge de 25 ans!

«Je me reconnais dans les millions de Blancs d’origine irlando-écossaise de la classe ouvrière américaine qui n’ont pas de diplôme», avertissait-il, en 2016, dès les premières pages de Hillbilly Elegy. Son récit de vie est donc celui d’un ascenseur social. Provincial déclassé jusqu’à 18 ans. Soldat dans l’armée en Irak entre 20 et 25 ans. Puis titulaire d’une bourse militaire pour étudier à Yale, l’une des plus prestigieuses universités de la côte Est: «J. D. est un miracle, assène, dans le jardin du Cosmos Club à Washington, un ancien diplomate américain. Regardez le couple sur papier glacé, absolument glamour, qu’il forme avec Usha, son épouse d’origine indienne rencontrée à Yale. Il est passé où, le hillbilly?»

Le vice-président des USA avec sa femme Usha, leur fille Mirabel et leurs fils Ewan (à g.) et Vivek devant le Taj Mahal.
Photo: AFP via Getty Images

La maison familiale du vice-président des Etats-Unis a été transformée en une sorte de bidonville par Tammy, sa cousine, réfugiée dans le motorhome où elle vit en compagnie de son chien. «Vous pouvez l’écrire: ce que vous voyez là ressemble peut-être à ce que risque de devenir notre pays si des hommes comme J. D. ne parviennent pas à le transformer, se risque un ami d’enfance de Vance. Ce qui nous menace le plus n’est pas la misère. C’est notre naufrage collectif, en tant qu’Américains.» 

L’image de «Mamaw»

Changement de décor. La résidence de l’Observatoire est, à Washington, celle du vice-président des Etats-Unis. J. D. Vance, fine barbe soigneusement taillée, physique entretenu par la fréquentation quotidienne d’un coach de gym réputé, reçoit une poignée de journalistes européens. Près du sofa de couleur crème, ses trois jeunes enfants se planquent derrière leur mère, superbe dans un tailleur de marque. Comment douter de la capacité de l’Amérique de 2025 à donner sa chance à tous, y compris aux «péquenots» du Kentucky? L’image de «Mamaw», l’arrière-grand-mère de J. D., circule de main en main. Betty Blanton était ce qu’un enfant du peuple peut rêver de mieux pour ne pas sombrer lorsque sa propre mère est irrémédiablement happée par toutes sortes de drogues et d’opioïdes. Comment l’actuel colistier de Trump a-t-il transformé son ascension sociale en plaidoyer pour un pays ressuscité, mais aussi en guerre contre ses immigrés clandestins, contre l’administration fédérale, contre les agences d’aide internationales qui incarnaient depuis 1945 le règne d’une certaine Amérique?

Une des rares photos de J. D. Vance enfant avec son arrière-grand-mère Betty Blanton, surnommée Mamaw. Son pilier.
Photo: J. D. Vance

L’agenda politique de Donald Trump a largement été forgé par J. D. Vance. Logique. L’enfant du Kentucky, élu en novembre 2022 sénateur de l’Ohio sous l’étiquette républicaine, incarne cette soif de revanche des «petits Blancs» que le 47e (et 45e) président a promis de défendre. James David Vance a plusieurs fois traité Trump d’«idiot». Condoleezza Rice, venue célébrer le 60e anniversaire de l’Ecole des études internationales Josef Korbel où elle a étudié, confirme que «personne ne peut résister à ce type d’histoire. Ce qu’a réussi J. D. Vance est un moteur qui sera très difficile à arrêter. Je ne partage pas sa vision réactionnaire de la société, ni ses mots d’ordre contre les migrants. Il a en revanche pour lui ce que beaucoup de politiciens ont perdu: l’authenticité.»

Deux mois plus tôt, à Munich, en Allemagne, J. D. Vance rompait l’atmosphère habituellement feutrée de la conférence annuelle sur la sécurité pour s’en prendre violemment aux gouvernements européens. Leurs torts? Ne pas écouter le peuple et tout faire pour éviter l’accession des partis nationaux populistes au pouvoir. 

J.D. Vance a déjà traité Trump d'«idiot»
Photo: Getty Images

L’écrivain naturaliste Peter Heller empile les best-sellers. Chacun de ses romans offre une nouvelle odyssée dans l’Amérique éternelle des grands espaces. Nous le rencontrons chez lui, sur Peonah Avenue, à la périphérie de Denver, capitale démocrate du Colorado. On lui demande alors ce qu’il pense de J. D. Vance et des hillbillies. «Le pire serait de ne pas voir ce qui se passe, derrière cette façade insupportable pour beaucoup qu’est Donald Trump. Deux Amérique veulent ressusciter en même temps. La première, celle des hillbillies, est celle des terres minières et des hollers, les vallées des Appalaches. La seconde est celle des cow-boys, qui exalte le culte de la liberté et de l’individu. L’une comme l’autre ne se reconnaissent plus dans les Etats-Unis métissés et LGBT des deux cotes Est et Ouest. Ajoutez à ces deux cultures cow-boy et hillbilly la colère de la Rust Belt, la «ceinture de la rouille» des régions abandonnées par les industries, et vous comprenez l’explosion de l’élection présidentielle du 5 novembre.»

A Morgantown, ville universitaire du nord de la Virginie-Occidentale, principal Etat de la région des Appalaches, Neil Burton, qui dirige le musée d’histoire, corrige. J. D. Vance est un personnage qui le fascine, même s’il ne partage pas du tout ses opinions et son agenda politiques. Il nous cite le soutien appuyé apporté à J. D. par le milliardaire libertarien de la tech Peter Thiel. Eloge des libertés contre la démocratie? «Les élites démocrates américaines ont oublié que la confiance, en politique, passe par l’incarnation. Les gens aiment voter pour quelqu’un qui leur ressemble ou dont le parcours leur inspire confiance. De ce point de vue, J. D. Vance était le choix parfait comme vice-président. Il incarne tout ce que Trump ne sera jamais: un fils du peuple, loin des villes, un «plouc» qui s’en est sorti.»

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