La Banque nationale suisse (BNS) pose quelques énigmes ces derniers temps. On a récemment appris qu’elle était intervenue massivement sur le marché des changes au deuxième trimestre. Pourtant, aucun reproche de «manipulation de devises» n’a été formulé.
Cette absence de polémique s’explique sans doute par la déclaration commune de la Suisse et des Etats-Unis, reconnaissant le droit de la BNS d’intervenir sur le marché des devises dans certaines circonstances. Elle peut ainsi agir, en période de forte volatilité, contre une appréciation ou une dépréciation excessive du franc.
Or, le début du deuxième trimestre a été particulièrement agité. Le 2 avril, le président américain Donald Trump a provoqué un séisme sur les marchés en imposant une taxe douanière de 31% à la Suisse, lors du «Liberation Day». Depuis, les droits de douane ont encore grimpé à 39%, plaçant la Suisse parmi les pays les plus pénalisés au monde.
Contre les mouvements brusques
Face à ces turbulences, la BNS a dû réagir. Car en l'espace de quelques jours, le franc s'est fortement apprécié par rapport au dollar et à l'euro, et les bourses du monde entier se sont effondrées. Elle a donc acheté des devises pour un montant supérieur à 5 milliards de francs – alors qu’en 2024, elle n’en avait acquis que pour 1,2 milliard sur l’ensemble de l’année.
Pour Thomas Gitzel, économiste en chef de la VP Bank, la raison de cette intervention est évidente: «Les mouvements brusques ne sont pas dans l’esprit de la BNS, explique-t-il. Le dollar est une référence importante pour l’industrie et influe sur l’inflation via les prix à l’importation.» Selon lui, la BNS a principalement acheté des dollars.
Maxime Botteron, économiste chez UBS, pense que la BNS a aussi acquis des euros: «Nous ne pouvons pas le savoir précisément, mais la variation globale des avoirs en devises le suggère.» Il estime que «l’euro a tendance à être sous-évalué par rapport au franc, alors que le dollar est évalué de manière équitable».
Une affaire ponctuelle
Il ajoute: «Dans les mois qui ont suivi avril, nous n’avons plus observé d’autres interventions de la BNS.» L’action ponctuelle de la Banque nationale semble donc avoir porté ses fruits: après la secousse d’avril, la situation monétaire s’est stabilisée – même si ni l’euro ni le dollar ne se sont totalement remis de leur chute face au franc. «Le deuxième trimestre a été une période exceptionnelle, souligne Thomas Gitzel. Compte tenu de la situation actuelle, la BNS n’interviendra plus.»
Mais pourquoi personne ne s’offusque lorsque la Banque nationale intervient à nouveau à grande échelle sur le marché des devises? Cela tient avant tout au montant relativement modeste engagé par la BNS, dirigée par Martin Schlegel. «Les 5 milliards de francs représentent une goutte d’eau dans l’océan du marché mondial des changes», relativise Maxime Botteron.
Le marché des devises est en effet le plus vaste marché financier du monde: chaque jour, quelque 7,5 billions de dollars y sont échangés, dont environ 6,6 milliards en dollars américains. Les 5 milliards de la BNS n’ont donc rien d’extraordinaire – même si, du point de vue suisse, il s’agit de la plus importante intervention depuis longtemps.
Que peut faire la BNS?
Reste la question de la portée de la déclaration commune entre la Suisse et les Etats-Unis. Donne-t-elle à la BNS un blanc-seing pour intervenir sans être accusée de manipulation de devises?
La réponse n’est pas évidente, admettent la plupart des observateurs. Thomas Gitzel et Maxime Botteron tentent néanmoins de l’interpréter. «La BNS peut intervenir dans une certaine mesure, mais il ne doit pas s’agir d’une opération prolongée, précise Thomas Gitzel. C’est une reconnaissance que les achats de devises constituent un instrument légitime de politique monétaire», ajoute Maxime Botteron. «Mais la Banque nationale s’engage, en contrepartie, à ne pas manipuler durablement le taux de change.»
Le public en saura peut-être davantage le 23 octobre, lorsque la Banque nationale publiera pour la première fois un résumé de ses discussions de politique monétaire issues de son examen de la situation économique. Ce rapport paraîtra exactement quatre semaines après la dernière décision en matière de taux d’intérêt. Le 23 septembre, la BNS avait mis fin à son cycle de baisse des taux et renoncé à réintroduire des taux négatifs.