«C'est une première suisse!»
La Loterie Romande et les casinos enterrent la hache de guerre

Directeur général de la Loterie Romande, Jean-Luc Moner-Banet a discrètement rejoint le conseil d'administration du Groupe Lucien Barrière Suisse SA. Un rapprochement synonyme de collaboration entre les deux anciens ennemis, notamment au sein du casino de Montreux (VD).
Publié: 14.02.2022 à 16:42 heures
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Dernière mise à jour: 14.02.2022 à 16:57 heures
«Nous sommes en quelque sorte des pionniers, assure à Blick Jean-Luc Moner-Banet, directeur général de la Loterie Romande.
Photo: Keystone/Loterie Romande
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

C'est une nouvelle de taille qui est brièvement remontée à la surface avant de disparaître dans les tréfonds du réseau social professionnel LinkedIn: «Félicitez Jean-Luc Moner-Banet pour son nouveau poste de Board member chez Groupe Lucien Barrière Suisse SA.» Le directeur général de la Loterie Romande (LoRo) vient visiblement de mettre une de ses élégantes chaussures cirées dans l'enceinte feutrée des casinos. Les farouches ennemis d'hier sont-ils désormais amis?

La question interpelle. Au début des années 2000, casinos, exploitants de machines à sous et Loterie Romande se livraient une bataille sans merci pour dominer le marché des jeux de hasard. «Loteries et jeux d’adresse ou de hasard ne sont pas régis par les mêmes lois, écrivait swissinfo.ch. Et leurs bénéfices ne tombent pas dans les mêmes caisses.»

Ainsi, l'essor du Tactilo, ces machines de la LoRo qu'on trouve dans pléthore de bistrots en Suisse romande qui concurrencent directement les machines à sous traditionnelles, faisait grincer des dents.

Revenons en février 2022. Avec ce récent rapprochement inédit, doit-on craindre que «Monsieur LoRo», dont l'argent arrose les clubs sportifs et les associations sociales et culturelles romandes, favorise les casinos au détriment de ses bénéficiaires nécessiteux?

«La guerre du Tactilo est terminée»

Pas du tout, assure à Blick Christophe Darbellay, conseiller d'État valaisan et président de la Conférence romande de la loterie et des jeux. «La guerre larvée du Tactilo est terminée, assure-t-il. Depuis janvier 2019, tous les jeux d'argent sont réglementés dans une seule et même loi. Cette dernière rend aussi possible les synergies. Et un projet pilote est actuellement en cours au sein du Casino Barrière de Montreux, le plus grand de Suisse romande.»

Christophe Darbellay, conseiller d'Etat valaisan et président de la Conférence romande de la loterie et des jeux.
Photo: Keystone

Ce projet inédit expliquerait l'arrivée de Jean-Luc Moner-Banet au sein du conseil d'administration du Groupe Lucien Barrière Suisse SA. Christophe Darbellay est catégorique: cette double casquette a été pensée «en totale transparence et est parfaitement légale». «Cette nomination s'est fait avec l'accord de tous les échelons impliqués et y compris avec l'aval de l'autorité intercantonale de surveillance des jeux d'argent», précise-t-il.

Si tout a été imaginé et mis en route dans les règles, pourquoi ne pas avoir communiqué à propos de ce rapprochement historique? «À cause du Covid, soupire Jean-Luc Moner-Banet. La fréquentation des casinos est directement impactée par les mesures sanitaires et par le virus, c'est donc une période peu propice pour promouvoir une nouvelle offre. Nous espérons pouvoir aller de l'avant dans les prochains mois, grâce à l'évolution de la situation sanitaire et aux assouplissements prévus par les autorités.»

Jean-Luc Moner-Banet, directeur général de la Loterie Romande.
Photo: Loterie Romande


Concrètement, la Loterie Romande a discrètement ouvert au mois de décembre un espace de jeux de loterie et de paris sportifs au sein du casino de Montreux (VD). «C'est une première en Suisse et même en Europe, nous sommes en quelque sorte des pionniers», se réjouit son directeur général.

Une initiative qui, si elle prend, devrait rapidement se développer dans tous les casinos. Y compris dans ceux qui n'appartiennent pas au groupe Barrière. «Je précise d'ailleurs que je suis au conseil d'administration d'une holding qui traite de la stratégie et non pas de la gestion ou de l'opérationnel du groupe Barrière», rebondit Jean-Luc Moner-Banet.

Dans un premier temps, la LoRo souhaite proposer cette collaboration à tous les opérateurs romands de casino. Avant d'aller encore plus loin. «Sans dire lesquels sont intéressés, des visites des casinos alémaniques sont d'ores et déjà agendées à Montreux», lâche le directeur général.

Des divergences d'intérêts?

Si tout le monde semble à deux doigts de sabler le champagne, la double fonction de Jean-Luc Moner-Banet est malgré tout intrigante. La LoRo et les casinos restent des concurrents, qui se disputent les joueurs.

N'est-ce donc pas comme si le patron de Migros discutait parallèlement de stratégie avec Coop? «Pas du tout, rétorque Jean-Luc Moner-Banet. Mais, pour reprendre votre analogie, s'il devait y avoir un jour un espace de vente Coop chez Migros, les entités collaboreraient. Dans notre cas, nos intérêts ne divergent pas. La loi nous impose les mêmes obligations, à savoir servir l'utilité publique et protéger les joueurs de la dépendance.»

Le dirigeant développe son propos: «Les casinos le font via un impôt important qui finance l'AVS (ndlr: 284,9 millions de francs en 2018) et nous, nous distribuons notre bénéfice dans le social, le sport et la culture. Nous avons donc examiné les possibilités de collaboration que nous permettait la loi sur les jeux d'argent et avons sauté le pas pour répondre aux attentes des joueurs, qui veulent de plus en plus pouvoir bénéficier de l'offre la plus large possible.»

Depuis que la LoRo est présente dans les murs du casino de Montreux, a-t-elle été interpellée par les milieux de la prévention? «Non, affirme Jean-Luc Moner-Banet. Mais je suppose qu’ils se satisfont des mesures de protection.»

Vraiment? «Cette collaboration n’était pas notre objectif principal après l’application de la loi sur les jeux d’argent mais il nous semble aujourd'hui qu’elle est idéale. Il n’y a pas plus sûr que le milieu sécurisé d’un casino. Tous les joueurs doivent être majeurs et ne pas figurer sur la liste des personnes exclues pour des raisons financières ou d’addiction aux jeux. Cela nous convient donc parfaitement.»

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