Terrible accident de moto
Un an après la tragédie de la Forclaz, les doutes demeurent sur les dangers du marquage

Un accident de moto avait provoqué le décès d’un jeune motard au col de la Forclaz (VS) le 8 juillet 2023. Si la police mentionnait «une vitesse inadaptée», l’ingénieur cantonal mettait lui en cause les nouvelles lignes de marquage au sol, retirées peu après l’accident.
Publié: 08.07.2024 à 16:58 heures
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Dernière mise à jour: 08.07.2024 à 17:32 heures
Ces lignes blanches sont destinées à inciter les motards à prendre le virage vers l’extérieur, et à minimiser ainsi le risque de collision frontale.
Photo: Police cantonale valaisanne
Margaux Lehmann, Iñaki Dunner, Giacomo Notari, Jean Friedrich, Tristan Giordano

Le samedi 8 juillet 2023, vers 19h30, alors que s’annonce une douce soirée d’été, un jeune homme à moto, tout de noir vêtu, emprunte un virage sur la route du col de la Forclaz (VS), en direction de Martigny-Croix. Le bitume est sec, les conditions sont bonnes pour arpenter le col, connu pour être un véritable «point noir» où se succèdent les accidents.

Alors que le compteur approche les 80 km/h, le motard de 33 ans entame une courbe à gauche, quand soudain sa Triumph Daytona glisse et percute la glissière de sécurité. À la suite du choc, le Valaisan est héliporté à l’hôpital de Sion, où il succombera de ses blessures quelques jours plus tard.

Des doutes sur les marquages au sol

Quelques semaines après la tragédie, en plein mois d’août, les déclarations à la RTS de Vincent Pellissier, chef du service cantonal des routes, sèment le doute. Ce dernier révèle qu’en juin 2023, soit à peine un mois avant l’accident de la Forclaz, de nouveaux marquages au sol ont été posés, à l’essai, précisément le long de la route du col. Il s’agit de lignes blanches destinées à inciter les motards à prendre le virage vers l’extérieur, et à minimiser ainsi le risque de collision frontale. 

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«Pour éviter de mettre en danger la sécurité des motards en particulier, mais aussi des cyclistes, on a donc décidé de retirer les marquages»
Vincent Pellissier, chef du service cantonal des routes
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Le 10 août, Vincent Pélissier confirme que ces lignes viennent d’être retirées. La raison? Des doutes sur les qualités d’adhérence du nouveau revêtement, en particulier sous l’effet de la chaleur. «Lorsqu'on l'a posé au mois de juin, c'était le début de l'été. On a rencontré des difficultés sur la qualité», explique alors le chef de service. «Pour éviter de mettre en danger la sécurité des motards en particulier, mais aussi des cyclistes, on a donc décidé de le retirer. Et puis, le cas échéant, on pourra le refaire dans des conditions climatiques plus appropriées.» 

C’est l’entreprise Plastiline, basée à Ecublens (VD), qui a reçu le mandat de poser la peinture au col de la Forclaz, puis de la retirer. Son directeur, Philippe Décosterd, confirme formellement que l’ordre de retirer les lignes est tombé après l’accident du 8 juillet: «L'ordre d'effacer a été donné après la date de l'accident, autour de fin juillet, début août. Nous étions sur place au moment de la pose des marques, comme c’est toujours le cas pour de telles opérations. L'enlèvement des marquages s’est fait très rapidement, sans que, à ma connaissance, les tests ne relèvent quelque chose d’anormal.» La suspicion à l’égard des lignes de marquage a donc été bien réelle, dans les jours qui ont suivi le décès du jeune homme au guidon de sa moto, un soir de juillet. 

Aucune mention dans le rapport de police

Alors, le nouveau marquage au sol est-il responsable du décès du motard, comme l’ont rapidement évoqué les communautés en ligne d’amateurs de deux roues? Ce n’est en tout cas pas la conclusion du rapport de la police valaisanne, que s’est procuré Blick, en collaboration avec les étudiants de l’Académie de journalisme de Neuchâtel (AJM), qui ont mené l’enquête.

Daté du 13 septembre 2023, l’expertise affirme: «Des divers éléments d'enquête recueillis, nous avons déterminé́ que Stephane* était seul impliqué dans cet accident. La cause est une vitesse inadaptée au tracé de la route qui a conduit à une perte de maitrise de l’engin.» L’analyse des images recueillies par une caméra GoPro située à l’arrière de la moto s'est avérée essentielle aux conclusions de la police. A aucun moment du rapport, il n’est fait mention d’un éventuel problème d’adhérence des lignes de marquage testées sur cette route. 

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«Un motard est décédé et hop, on retire les lignes, bêtises de peinture»
Arnaud, lecteur du «Nouvelliste»
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Sur la base de cette enquête, le Ministère public valaisan informe le 17 octobre 2023 la famille du défunt que «les investigations policières entreprises n’ont pas mis en évidence d’éléments parlant en faveur de l’intervention d’un tiers» et que, par conséquent, «la procédure sera classée». Contactée, la famille du motard affirme accepter les conclusions de l’enquête et ne pas se porter partie plaignante. La procédure aurait donc dû être bouclée depuis longtemps. Pourtant, un an après les faits, le Ministère public communique que «le dossier est toujours en cours d’instruction », sans plus de précision. 

Contacté à plusieurs reprises, l’ingénieur cantonal valaisan Vincent Pellissier n’a pas été, non plus, en mesure de fournir davantage de détails sur l’affaire, précisant «qu’une instruction étant en cours, aucune information ne peut être donnée». Une demande de documents réclamée par l’AJM le 8 mai dernier au nom de la Loi sur la transparence n’a reçu aucune réponse dans le délai légal. 

Les motards avaient prévenu des dangers du marquage

Reste que la proximité temporelle entre l’accident et le retrait des marques a alimenté une suspicion des motards. Le 10 août 2023, après l’annonce de la suppression du marquage, le site Facebook du quotidien «Le Nouvelliste» s’est rapidement enflammé. «Bravo, il a fallu un mort pour comprendre que des lignes blanches, ça glisse», grondait Steven. «Un motard est décédé et hop, on retire les lignes, bêtises de peinture», ajoutait encore Arnaud.

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«C'est un danger mortel pour les motards, ces bandes blanches. Tu en prends une, tu glisses et tu tombes dans le ravin!!»
«Bobicarte», Arnaud, lecteur du «Nouvelliste»
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La pose des bandes dans le col de la Forclaz avait aussi été critiquée sur le plus grand site francophone d’informations sur les motos, lerepairedesmotards.com, dès juin 2023. «Tout marquage au sol est dangereux pour un motard... pourquoi en rajouter? », tonnait «Cjousse» en commentaire. Certains étaient moins mesurés comme «Bobicarte», 53 ans: «C'est un danger mortel pour les motards, ces bandes blanches. Tu en prends une, tu glisses et tu tombes dans le ravin!!»

Le premier juillet 2023, une semaine avant la tragédie, le site moto-station.com, propriétaire de nombreux magazines, comme France Moto revue, leader en France, diffuse un sondage mené auprès de 4000 motards, précisément sur le projet pilote du col de la Forclaz. Résultat, même avant le drame, 62% des motards désapprouvaient déjà la pose des lignes. 

Des marquages «jusqu’ici satisfaisants»

Malgré l’hostilité des motards, ce marquage contesté fait l’objet de nombreux tests, pas seulement à la Forclaz. Dans les Alpes autrichiennes, des marquages en forme de cercles ont été posés en 2017. En Suisse, l’Office fédéral des routes (OFROU), jugeant la mesure efficace, a lancé un projet pilote semblable au col bernois du Brünig en 2022. 

Au printemps 2022, à l’initiative de la Direction générale de la mobilité et des routes du canton de Vaud, le Col du Mollendruz s’est à son tour doté d’un marquage singulier dans le but de diminuer les risques d’accidents de deux-roues. Au Mollendruz comme au Brünig, les projets pilotes sont toujours en cours. Selon un communiqué du canton de Vaud daté de mai 2023, les résultats étaient jusqu’alors satisfaisants. Grâce au marquage, 38% des motards adopteraient désormais «une trajectoire idéale pour leur sécurité». Le décès tragique de Stéphane* ne devrait donc pas remettre en question ces expériences, même s’il a sérieusement ébranlé la confiance des amoureux des deux-roues. 

*Nom connu de la rédaction 

Enquête réalisée par des étudiants dans le cadre d'un travail de recherche à l'Académie du Journalisme à Neuchâtel (AJM)

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