Lorsque Bruno Patricio se rend à l'aéroport de Genève au petit matin du 10 février 2025, il ne se doute pas du calvaire qu'il va vivre. Ce chercheur et enseignant de Nyon (VD) veut rendre visite à un ami malade à Amsterdam. Mais peu après son arrivée à l'aéroport de Genève, il est interrogé par la police. Le 17 mars 2025, il reçoit une ordonnance pénale du Ministère public genevois: 910 francs d'amende. Et en cas de non-paiement, il risque la prison. Mais qu'a donc pu bien faire Bruno Patricio pour se retrouver dans une telle situation?
Au contrôle de sécurité, le personnel de l'aéroport l'arrête et lui retire son sac. Un collaborateur explique qu'il y a quelque chose de suspect dedans et que l'enseignant doit attendre la police. Celle-ci le conduit dans une petite cabine, semblable à un vestiaire. L'objet suspect: une télécommande de présentation avec un pointeur laser intégré. Une télécommande avec laquelle le professeur fait défiler les diapositives et met en évidence les contenus lors des cours magistraux.
«Je voulais aussi travailler sur mes projets à Amsterdam, c'est pourquoi j'avais tout mon matériel de travail dans mon bagage à main», raconte-t-il. La télécommande, il l'a achetée il y a des années chez Interdiscount. Et c'est là que le bât blesse: l'appareil appartient à la classe laser 2. Or, depuis le 1er juin 2021, seule la classe 1 est autorisée en Suisse, et encore, uniquement à l'intérieur.
Pas de «caméra cachée»
La loi fédérale sous-jacente et l'ordonnance «sur la protection contre les dangers liés aux rayonnements non ionisants et aux sons» sont entrées en vigueur pour la première fois le 1er juin 2019, afin de protéger la population des effets nocifs des puissants rayons laser sur la santé, notamment sur les yeux et la peau. Au début, l'interdiction ne concernait que les appareils des classes laser 3R, 3B et 4 ainsi que les lasers sans étiquette. Mais à partir de juin 2021, la loi a été renforcée suite à l'enregistrement d'un nombre croissant d'attaques au laser sur des avions, des trains et des personnes. Toute personne possédant depuis lors en Suisse un appareil de classe supérieure à 1 aurait dû s'en débarrasser avant le 31 mai 2021. Patricio ajoute : «Personne en Suisse ne peut connaître toutes les lois par cœur».
Beaucoup ne savent effectivement pas que la plupart des pointeurs laser sont interdits. Aux douanes suisses, environ 3000 appareils de ce type ont été saisis entre l'entrée en vigueur de la loi en juin 2019 et aujourd'hui. Ce chiffre ne prend en compte que les contrôles de marchandises sur les envois postaux et les contrôles de personnes à l'entrée en Suisse, pas à la sortie.
Lorsque Bruno Patricio se trouve dans la cabine à l'aéroport, il pense que la situation est une blague et se met à rire. Puis il voit le formulaire devant lui et réalise la gravité de la situation. La première question est : «Où avez-vous trouvé votre arme? L'interrogatoire dure à peine 30 minutes, l'enseignant attrape son vol de justesse. Il se souvient particulièrement de l'attitude compréhensive de la police. «J'étais incroyablement en colère, mais les policiers ont tout de suite été d'accord avec moi pour dire que tout cela était absurde. Je pense qu'ils sont, eux aussi, fatigués de ce sujet», explique le professeur.
Ni la police cantonale ni le ministère public de Genève ne s'expriment sur des cas individuels comme celui de Bruno Patricio. «Nous connaissons ces scènes durant lesquelles des personnes issues notamment du milieu académique sont contrôlées parce qu'elles portent de tels appareils», explique la police cantonale.
Jusqu'au Tribunal Fédéral?
La police de l'aéroport de Zurich adopte une approche un peu plus nuancée. «L'interdiction de certaines classes de pointeurs laser est appliquée avec discernement. Des dénonciations sont également effectuées au cas par cas», explique la police cantonale zurichoise. Mais elle ne veut pas donner de détails sur la manière dont les choses se passent concrètement.
A Genève, on en reste à la dénonciation. Le professeur à la HEIG-VD devra s'acquitter de 910 francs d'amende, dont 510 francs de frais administratifs. «Au cas où il ne paierait pas l'amende, une peine privative de liberté d'un jour au moins et de trois mois au plus sera en outre prononcée», précise l'ordonnance pénale. Bruno Patricio se défend: il fait appel à son assurance de protection juridique et fait opposition. Mais le couperet tombe le 2 avril: le ministère public maintient l'ordonnance pénale.
La question de savoir si le jeune homme de 31 ans ira jusqu'au Tribunal fédéral reste ouverte. Les frais seraient élevés, la peine comparativement faible – et la loi resterait en vigueur. Mais ce n'est pas ce qui l'intéresse. «Mon but ultime n'est pas de réduire la peine», dit-il, «mon histoire montre de manière exemplaire que notre système démocratique, avec sa législation actuelle, n'est plus adapté à une société de plus en plus complexe et diversifiée».