Pascal Crittin défend la RTS, attaquée par l'État de Genève
«Il serait irresponsable de laisser ces locaux vides en plein cœur de Genève!»

Coup de tonnerre ce lundi: on apprend l'existence d'un litige juridique entre les autorités genevoises et la RTS. Cette dernière est accusée de faire de la spéculation immobilière en louant très (trop?) cher des locaux à une multinationale. Pascal Crittin s'explique.
Publié: 03.07.2023 à 18:47 heures
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Dernière mise à jour: 04.07.2023 à 07:12 heures
Pascal Crittin, directeur de la RTS, a accordé une interview à Blick.
Photo: keystone-sda.ch
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Michel JeanneretRédacteur en chef

On savait les autorités genevoises osciller entre la colère et la vexation, depuis que la RTS a fait connaître son intention de délocaliser le département de l'Actualité sur le campus de l'EPFL, à Lausanne. Antonio Hodgers, actuel président du Conseil d'État, manque rarement l'occasion d'exprimer sa grogne à l'endroit d'une décision qui provincialise son canton, très fier de son rayonnement international.

Ce qui n'était jusqu'ici qu'une série de piques illustrant un désamour croissant entre Genève et «sa» télévision a désormais pris une tournure juridique, apprenait ce matin la «Tribune de Genève». Notre consœur révélait en effet l'existence d'un litige portant sur la location des 13e et 14e étages de la tour mythique du Quai Ernest-Ansermet.

Le fond du problème dénoncé par le gouvernement genevois? En gros, deux choses: que ces étages ne soient pas loués à une société de médias comme prévu dans le deal entre le service public et les autorités, et que la RTS loue ces locaux à prix fort, se comportant «comme un spéculateur immobilier», dernière punchline d'Antonio Hodgers.

Qu'a fait la RTS pour mériter une telle colère? Tente-t-elle en effet de se «refaire» en louant ses surfaces à des prix stratosphériques? Nous avons contacté son directeur, Pascal Crittin, pour qu'il s'explique. Il a répondu à nos questions par courriel, avec toutes les limites que cela implique en matière de rebond.

Monsieur Crittin, avez-vous le sentiment qu'Antonio Hodgers a une dent contre la RTS?
C’est à lui qu’il faudrait poser la question. Dans les faits, le Conseil d’Etat genevois et la RTS n’avons pas la même lecture du contrat de droit de superficie relatif à la tour qui abrite notre siège. Nous essayons depuis plusieurs mois de régler ce différend avec Monsieur Hodgers. Je lui ai proposé deux fois que nous nous rencontrions, mais il a préféré y donner suite par voie de presse.

Tout cela s'inscrit dans un contexte particulier. Les autorités genevoises ont été vexées du fait que la RTS délocalise l'actualité à Lausanne. Comprenez-vous cette réaction?
Nous comprenons que le déménagement de l’actualité représente une perte symbolique pour Genève, mais il faut rappeler que près de 900 personnes de la RTS y travailleront toujours avec des secteurs importants comme les magazines ou encore le sport. En outre, l’actualité couvre toutes les régions de Suisse romande et Lausanne est bien mieux centrée géographiquement.

Genève va tout de même se provincialiser...
La RTS a la ferme volonté de maintenir son site de Genève et celui de Lausanne. Le temps des activités séparées de télévision et de radio est révolu depuis l’arrivée du digital: nous nous distribuons de manière transversale sur les deux sites et n’abandonnons nullement Genève et y investissons en particulier dans la création numérique, notamment avec Tataki. Les bureaux au sujet desquels le Conseil d’Etat souhaite se prononcer représentent à peine 2,4% de nos surfaces à Genève...

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas votre projet de déménagement, pouvez-vous rappeler pourquoi cette décision était inévitable?
La mise en location de ces deux étages n’a strictement rien à voir avec le bâtiment que nous construisons sur le site de l’EPFL. Ce dernier est financé par nos fonds propres et par la vente d’anciens bâtiments. Des surfaces de la tour ont été libérées grâce au télétravail et au fait que nous avons transformé des bureaux administratifs fermés en bureaux partagés. Il serait irresponsable de laisser ces locaux vides en plein cœur de Genève! On ne peut pas gaspiller l’argent de la redevance.

La polémique du jour, c'est la plainte déposée par les autorités genevoises contre la RTS. En aviez-vous connaissance?
Nous en avons été informés ce jour par voie de presse, mais n’avons reçu aucune notification.

L'Etat vous accuse de faire de la spéculation immobilière. Est-ce exact?
La RTS ne fait pas de bénéfice sur le dos du contribuable genevois. Le loyer est équivalent au prix de revient et il a été validé par l’Etat de Genève lui-même, via son Office cantonal des bâtiments.

Vous comptez louer les espaces libres dans la tour à 700 francs le mètre carré (si l'on calcule avec le prix du foncier), alors que les autorités affirment que le prix moyen au mètre carré est de 400 francs dans le quartier.
Le loyer convenu est nettement inférieur à ce montant. Le tarif correspond au prix de revient et il tient compte de la situation unique des locaux en question, qui se situent aux 13 et 14e étages de la tour.

Avez-vous le sentiment que les reproches de Genève sont solides?
Vous savez, la RTS a des devoirs et aussi des droits. Dans cette affaire, nous avons respecté les obligations du contrat qui nous lie au Canton et plusieurs avis juridiques nous l’ont confirmé.

Avez-vous le sentiment d'être victime d'une mesure de rétorsion qui ont un fond politique?
Je préfère m’en tenir à des raisonnements d’ordre juridique. La RTS reste la radio-télévision de toute la Suisse romande, au-delà du canton qui accueille son siège.

Est-il exact que «Le Temps» a renoncé à louer des locaux à la tour en raison de prix jugés prohibitifs?
Nous avons eu des échanges avec d'autres locataires potentiels, qui n’ont pas abouti. Nous n’avons pas le droit de louer nos locaux à un «prix d’ami» à un autre média, la redevance ne peut servir à des subventionnements indirects.

La société qui va louer les locaux de la tour est active dans la communication. Pourquoi ne pas avoir démarché activement des médias pour qu'ils s'y installent, comme prévu dans votre accord avec les autorités?
Comme je viens de l'expliquer, nous avons eu contact avec plusieurs médias, mais ces derniers n’ont pas abouti. Notre locataire est un acteur majeur du secteur de la transformation digitale, avec lequel nous travaillons déjà.

Revenons au déménagement: à l'interne, il paraît que ça n'est pas du goût de tous les collaborateurs touchés par la mesure?
Tout projet de déménagement suscite énormément de questions et potentiellement des inquiétudes. C'est un changement important pour une partie du personnel de l'entreprise. Un accompagnement des personnes concernées a été mis en place pour organiser au mieux ce changement important.

Rappel: cet interview a été réalisé par courriel

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