C'est un vote qui pourrait bien impacter la Suisse: le Parlement européen s'est prononcé cette semaine en faveur de la circulation transfrontalière des méga-camions de modèle gigaliners sur les routes de l'Union européenne. Une décision qui doit permettre de réduire les émissions du trafic routier et de rendre le transport moins cher. L'UE argumente qu'il faut moins de trajets pour plus de marchandises. Seulement voilà: les véhicules sans émission ont besoin de plus de poids et de place. D'où le recours aux gigaliners.
Ces derniers circulent déjà sur les autoroutes d'Allemagne et de pays peu peuplés mais vastes comme la Finlande ou la Suède également. Ces mastodontes mesurent jusqu'à 25,25 mètres de long et pèsent 60 tonnes. Seulement, en Suisse, la loi n'autorise pas les camions à dépasser les 40 tonnes et les 18,75 mètres de long.
La pression sur la Suisse pourrait s'accroître
Malgré cela, les associations de protection de l'environnement craignent que la pression de l'UE sur la Suisse augmente pour qu'elle autorise à l'avenir de tels monstres sur ses routes. «La décision du Parlement européen est un premier pas. Elle a ouvert la boîte de Pandore», estime Django Betschart, directeur de l'Initiative des Alpes. L'association se bat, entre autres, contre la présence des gigaliners sur les routes suisses.
Mais pour que ces véhicules puissent définitivement sillonner les routes européennes, il faut encore le feu vert du Conseil européen, c'est-à-dire des chefs d'Etat et de gouvernement des 27 pays de l'UE. Un vote qui est prévu après les élections européennes de juin 2024. Mais «l'expérience montre que faire changer d'avis le Conseil est une entreprise difficile», explique Django Betschart.
Ce dernier estime que ces véhicules ne réduisent ni les embouteillages, ni les nuisances sonores, ni les gaz à effet de serre, ni les polluants atmosphériques, mais créent au contraire des nuisances supplémentaires en raison du transfert de la route vers le rail. «En cas d'autorisation, la Suisse devrait en outre faire face à des coûts énormes pour adapter l'infrastructure routière aux gigaliners», poursuit Betschart.
Les installations douanières, par exemple, ne sont pas adaptées aux gigaliners. De plus, les places de stationnement sur les postes frontières et sur les aires de repos sont beaucoup trop petites en l'état. Les giratoires sont en outre difficilement franchissables, et les ponts et tunnels sont inadaptés.
Des coûts d'adaptation de plusieurs centaines de millions de francs
En 2011, L'Office fédéral des routes (OFROU) estimait déjà dans une étude que les coûts de ces adaptations se chiffreraient en centaines de millions. Selon l'OFROU, cette étude n'a rien perdu de son actualité.
Et même le lobby des poids lourds critique les camions géants. «Trop grands et trop lourds pour la Suisse», déclare André Kirchhofer, vice-directeur de l'ASTAG, l'association suisse des transports routiers. «L'ASTAG s'oppose catégoriquement à l'autorisation des gigaliners en Suisse, indépendamment de la décision de l'UE.»
«Les points clés de l'accord sur les transports terrestres doivent être maintenus»
C'est également un sujet de discussion dans les négociations avec l'UE sur les nouvelles versions de l'accord-cadre: la limite des 40 tonnes doit être maintenue en Suisse, peut-on lire dans le mandat de négociations.
Le mandat de l'UE prévoit aussi des «dispositions particulières», qui permettraient à la Suisse de s'écarter exceptionnellement du droit de l'UE. Et pour l'ASTAG, il est clair que «les points clés de l'accord sur les transports terrestres, comme l'interdiction de la conduite de nuit, ou la limite des 40 tonnes, doivent être maintenus».
Un point de vue partagé par Django Betschart: «Nous partons actuellement du principe que toute la partie concernant le transfert modal reste assurée pour le moment.» Il n'exclut toutefois pas que l'UE puisse faire pression ultérieurement.