Le Vert Raphaël Mahaim tranche
«Je n'ai aucune peine à dire que certains activistes climatiques vont trop loin»

Après son piètre résultat dans la course aux États, le Vert vaudois Raphaël Mahaim doit convaincre hors de ses rangs. Interviewé par Blick, le conseiller national répond à toutes les questions qui fâchent. Y compris à celles sur les activistes du climat et le «wokisme».
Publié: 27.10.2023 à 19:12 heures
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Dernière mise à jour: 27.10.2023 à 20:00 heures
Raphaël Mahaim, candidat des Vert-e-s Vaud au Conseil des États, tacle le bloc conservateur qui serait «une machine à bloquer les réformes».
Photo: Keystone
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Le ciel est maussade au-dessus de la tête des écolos, depuis les élections fédérales du 22 octobre. Notamment dans le canton de Vaud, où les Vert-e-s ont perdu un siège au Conseil national. Sans parler de Raphaël Mahaim, leur champion dans la course aux États: celui-ci est arrivé quatrième avec 48’087 suffrages, soit 53’793 (!) de moins que son allié socialiste Pierre-Yves Maillard, unique élu au premier tour.

Avant d’espérer chatouiller son concurrent du Parti libéral-radical (PLR) le 12 novembre prochain, l’ultra-favori Pascal Broulis assis sur ses 85’171 voix, l’avocat de profession va devoir mobiliser ses troupes et convaincre plus largement. Alors qu’un sondage montre qu’une part non négligeable des électrices et électeurs des Vert-e-s en 2019 n’ont pas revoté pour la formation au tournesol à cause des activistes climatiques et des débats sur le genre et le «wokisme», comment se positionne le conseiller national? Le politiquement correct menace-t-il la liberté d’expression? Son job d’avocat engagé contredit-il son mandat d’élu qui respecte les institutions? Interview au bout du fil.

Raphaël Mahaim, vous êtes ce vendredi à Berne, avec votre groupe. De quoi parlez-vous?
C’est le premier débroussaillage après les élections fédérales du 22 octobre. Nous disons au revoir aux collègues pas réélus et félicitons celles et ceux qui l’ont été. Nous discutons aussi du Conseil fédéral.

Votre parti va prétendre à un siège au Conseil fédéral, malgré votre défaite?
C’est un long processus, notre décision n’interviendra pas avant les deuxièmes tours des différentes élections pour le Conseil des États. Sans trahir le secret des débats, plusieurs opinions s’affrontent. À titre personnel, je suis un partisan de la modestie à la suite de ces résultats et pense que les conditions pour une candidature ne seront probablement pas réunies. Mais il faut quand même ajouter qu’après les corrections apportées à la suite des bêtises de l’Office fédéral de la statistique (OFS), nous constatons que nous avons moins perdu qu’initialement annoncé. Si on dézoome, ce ne sont «que» cinq sièges de perdus sur les 17 que nous avions gagnés il y a quatre ans. Bien sûr, cela reste une défaite. Mais ce n’est pas une débâcle.

Pour expliquer votre veste, un sondage GSF réalisé pour la SSR indique que 27% des personnes qui vous ont tourné les talons l’ont fait à cause des activistes climatiques et 26% à cause du débat sur le genre et le «wokisme». Ces chiffres vous surprennent?
Concernant le deuxième point que vous mentionnez, je vais vous dire ce que je dis tout le temps à ce propos: notre Constitution fédérale interdit les discriminations. On ne doit pas être discriminé selon son origine, son orientation sexuelle, son âge, sa couleur de peau, etc. C’est un message universel pour lequel je m’engagerai toujours. Prétendre que lutter contre les discriminations, qui existent encore dans le quotidien de beaucoup de gens, c’est sombrer dans le «wokisme» — un terme agité en épouvantail par les conservateurs — est une absurdité.

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«Je regrette par exemple la fois où des militants avaient interrompu une conférence à l’Université de Genève»
Raphaël Mahaim, candidat des Vert-e-s Vaud au Conseil des États.
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Donc pour vous, le politiquement correct ne menace pas la liberté d’expression?
Je suis un grand partisan de la liberté d’expression. Si certains veulent débattre de la question du genre et apporter un avis contraire, ils doivent pouvoir le faire. Tant qu’ils respectent le droit. L’homophobie et le racisme ne sont pas des opinions, mais des délits. Pour ma part, je regrette par exemple la fois où des militants avaient interrompu une conférence à l’Université de Genève (ndlr: en avril 2022). Ne pas permettre aux gens de s’exprimer, quand ils le font dans les limites de la loi a, bien sûr, un effet amplificateur.

Dans le cas dont vous parlez, les militants justifiaient leur démarche en parlant de conférence «transphobe». Dénoncez-vous la transphobie comme vous dénoncez le racisme et l’homophobie?
Je dénonce la transphobie sans détour. À mon plus grand regret, la transphobie n’avait pas été ajoutée à la norme pénale contre l’homophobie. C’est aujourd’hui une zone grise dans le droit pénal.

Penchons-nous sur les activistes climatiques qui vous ont nui dans les urnes maintenant.
Je trouve que Daniel Brélaz a très bien résumé la situation. Sur cette question, nous ne pouvons que décevoir. Soit nous décevons notre aile modérée, soit nous décevons notre aile militante. Cette thématique est souvent utilisée de façon caricaturale par nos adversaires pour éviter de parler du fond. On estime que si rien n’est fait aujourd’hui contre le dérèglement climatique, il nous en coûtera 10 milliards de francs par an en 2050 — évènements extrêmes, sécheresses, etc. Voilà un enjeu majeur! Par ailleurs, pour revenir aux causes de notre défaite, il faut aussi parler des jeunes qui se sont beaucoup moins mobilisés dans les urnes qu’en 2019. Nous allons tout faire pour les encourager à voter d’ici au deuxième tour, le 12 novembre.

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«Je n’ai jamais participé à des actions de désobéissance civile»
Raphaël Mahaim, candidat des Vert-e-s Vaud au Conseil des États
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Vous mentionnez les deux ailes de votre parti. Vous vous placez dans celle militante ou modérée?
À titre personnel, j’ai fait le choix, comme parlementaire, de l’engagement au sein des institutions. Je n’ai jamais participé à des actions de désobéissance civile. Maintenant, comme chacun le sait, à titre professionnel, j’ai défendu en tant qu’avocat les activistes climatiques qui avaient fait du tennis dans le hall de Credit Suisse, à Lausanne. C’était une action bon enfant, qui a déclenché une vague importante de sympathie et qui a participé au débat démocratique.

Votre position d’élu, qui respecte les institutions, et celle d’avocat, qui défend ceux qui les bafouent, ne sont-elles pas contradictoires?
Que veulent ceux qui le pensent? Priver les gens du droit de se défendre? Tout le monde a le droit à un avocat! Même les fraudeurs fiscaux, d’ailleurs plutôt défendu par mes adversaires politiques. À titre personnel, je n’ai aucune peine à dire que certains activistes vont trop loin, comme ceux qui dégonflent les pneus des SUV. Cela met des vies en danger, c’est inacceptable. Mais chacun doit pouvoir être défendu. C’est ainsi que fonctionne notre État de droit.

En tant qu’avocat, vous défendriez un fraudeur fiscal?
(Rires) Ils ne viennent pas vers moi! Ils vont plutôt vers des avocats PLR. Plus sérieusement, je conseille aussi quelques entreprises et personnes plus aisées, mais je ne fais que très peu de droit fiscal. Je le répète: tout le monde a le droit à un avocat.

En parlant de vos clients fortunés, vous avez notamment défendu par le passé l’homme d’affaires Jürg Stäubli. L’un de ses terrains, à Sainte-Croix, était occupé par… des zadistes. C’est intéressant: une fois vous êtes d’un côté, une autre fois de l’autre.
Si vous avez suivi le dénouement de cette affaire, vous savez qu’elle s’est soldée par un accord avec les occupants de la parcelle. Quand on travaille en bonne intelligence, on peut finir par s’entendre et trouver des compromis. Dans ce cas comme dans celui des activistes climatiques de Credit Suisse, j’ai fait mon métier tout en étant en parfait accord avec mes convictions.

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«Le bloc conservateur, surtout au Conseil des États, est une machine à bloquer les réformes»
Raphaël Mahaim, candidat des Vert-e-s Vaud au Conseil des États
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Revenons en terres vaudoises. Quel est votre principal challenge dans le deuxième tour qui vous opposera au PLR Pascal Broulis?
Qu’il ait un vrai débat qui se crée autour des enjeux pour le canton de Vaud et pour la Suisse. Notre pays a un énorme besoin de réformes. Le poids des primes d’assurance maladie devient insupportable, notre dépendance aux énergies fossiles fait que le prix de l’électricité explose dès qu’un tyran au Kremlin décide d’attaquer son voisin… En réalité, il faut que la population comprenne une chose fondamentale.

Laquelle?
Le bloc conservateur, surtout au Conseil des États, est une machine à bloquer les réformes. Malheureusement, ce camp est encore sorti renforcé des dernières élections. Notre population vaudoise, qui est diversifiée et qui a une vision humaniste comme elle le montre votation après votation, a besoin d’autre chose. Il faut anticiper les crises plutôt que les subir. Pour le faire, il est nécessaire de préparer le pays, ce que la majorité actuelle de droite ne fait pas. L’ancienne conseillère fédérale Doris Leuthard — qui n’est pas exactement une écolo militante — a dit que notre pays avait perdu sa capacité à anticiper l’avenir et qu’il était dirigé par des gestionnaires qui se contentent d’administrer les affaires courantes. Ce constat, qui est aussi le mien, m’inquiète beaucoup.

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