Autrefois considérés comme normaux, certains dispositifs mis en place dans les EMS sont aujourd'hui plus que mal vus: c'est le cas des sangles de fixation et des barrières de lit, utilisées dans les maisons de retraite pour empêcher les résidents de quitter leur lit ou leur fauteuil roulant. Des méthodes que l'on croirait volontiers appartenir à une époque désormais révolue.
Difficile d'imaginer des personnes attachées se sentant enfermées et isolées, dans une position avilissante. Des individus qui ne bougent presque plus deviennent de facto plus fragiles et leur santé mentale se dégrade également. Quand l'un d'entre eux tente de se libérer, il risque même de tomber par-dessus les barrières et de se casser quelque chose, s'emmêler dans une ceinture mal fixée ou même s'étrangler avec celle-ci.
Pourtant, en Suisse, de nombreux établissements continuent d’utiliser ces dispositifs. Une analyse des données de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) réalisée par Blick, révèle qu’en 2021, environ 1300 institutions utilisaient encore ces mesures de contention. Pour chaque établissement, le nombre de résidents ayant été attachés ou empêchés de se lever par des barrières de lit est documenté.
Les données montrent que, dans la majorité des maisons de retraite, ces dispositifs sont rarement utilisés. Toutefois, environ 80 établissements restreignaient encore 10% de leurs résidents, et 15 établissements allaient jusqu’à 20 à 50%.
La Suisse romande et le Tessin font pâle figure
Dans les établissements médico-sociaux privés de Suisse romande et du Tessin, les barrières de lit et parfois aussi les ceintures sont particulièrement utilisées. Dans toute la Suisse, en 2021, au moins 3300 seniors avaient une barrière de lit et au moins 680 étaient retenus par une ceinture. Les résidents souhaitant de telles restrictions n'ont pas été comptabilisés.
Les établissements ne peuvent utiliser ces dispositifs que dans des cas exceptionnels et seulement si les résidents ne les demandent pas explicitement. Cela concerne les personnes ayant une capacité de jugement altérée, comme les patients atteints de démence, et seulement lorsqu'il n'y a pas d'autre moyen d’éviter un danger sérieux ou une perturbation grave de la vie communautaire.
«Lorsque 20 à 50% des résidents sont derrière des barrières de lit, cela soulève des questions», déclare Albert Wettstein, président de l'Office indépendant de plainte pour les personnes âgées à Zurich. Parfois, une barrière peut être utile. Mais une utilisation excessive n'est «pas tolérable». Les sangles de fixation, quant à elles, sont devenues obsolètes dans les établissements modernes.
«La dignité et l'autodétermination doivent être particulièrement protégées», souligne également Christina Zweifel de l'association professionnelle Curaviva. Si un établissement médico-social obtient de mauvais résultats au cours d'une année donnée, cela ne signifie pas nécessairement que la qualité des soins est mauvaise. Mais il est important que l'établissement aborde les problèmes et y remédie.
Les proches souhaitent des grilles et des ceintures
Prenons l’exemple de Tertianum AG, qui compte plus de 90 établissements en Suisse et prône «l’autonomie et l’autodétermination». Pourtant, sur le site de la «Residenza al Lido» à Locarno, plus de la moitié des 57 résidents avaient des barrières de lit. «Cela partait d'une bonne intention, souvent les proches souhaitaient aussi des barrières de lit», explique Marion Helbling, coresponsable des soins du groupe Tertianum. «Les soignants voulaient éviter que les personnes âgées souffrant de troubles cognitifs ne tombent, par exemple lorsqu'elles se lèvent ou descendent un escalier.»
Selon Marion Helbling, Tertianum AG a entre-temps réussi à faire en sorte que les collaborateurs de la «Residenza al Lido» renoncent aux barrières de lit. «Nous avons montré lors de formations qu'il est préférable à long terme d'entraîner les muscles et l'équilibre de manière ciblée, d'aménager l'environnement de manière à ce qu'il puisse se passer le moins de choses possible et de veiller à ce que les personnes se nourrissent de manière aussi équilibrée que possible et boivent suffisamment.»
D’autres établissements avancent des raisons similaires pour l'utilisation des barrières et des sangles, surtout pour les seniors atteints de démence qui errent, dérangent les autres ou deviennent agités.
Fixés parce que le temps manque pour les soins
Franziska Zúñiga explique que c'est souvent au Tessin que les proches insistent sur l'utilisation de barrières de lit. La chercheuse en sciences infirmières de l'Université de Bâle a accompagné scientifiquement la collecte des données. Elle explique également le mauvais résultat des homes romands: pour des raisons techniques, certains n'auraient pas encore eu une bonne vue d'ensemble de la fréquence d'utilisation des barrières et des ceintures.
Selon elle, le manque de personnel qualifié et de ressources constitue un gros problème. «La plupart du temps, il existe de nombreuses possibilités de renoncer aux barrières de lit et aux fixations», explique Franziska Zúñiga. Mais les collaborateurs ont besoin de suffisamment de temps, de connaissances spécialisées et de créativité pour essayer ce qui fonctionne. «Et les directions des maisons de soins doivent dire clairement: nous essayons tout pour renoncer aux barrières de lit et aux fixations.»
Le mouvement aide à lutter contre l'agitation
Au lieu d'une grille, des lits profonds et des matelas au sol pourraient par exemple empêcher les seniors de tomber et de se blesser. Avant de fixer les résidents susceptibles de tomber à leur fauteuil roulant, un établissement devrait utiliser des ceintures qui s'ouvrent, stabilisent les seniors et leur rappellent d'être prudents.
Selon les spécialistes, les seniors agités qui donnent le plus de mal au personnel cachent souvent autre chose que la démence: le manque de mouvement, l'ennui, la solitude ou encore les peurs ou les douleurs. Curaviva recommande par exemple de faire des promenades et de chanter ou danser ensemble.
De plus en plus de tranquillisants problématiques
L'expert en soins Albert Wettstein s'inquiète également du fait que de nombreux foyers renoncent certes aujourd'hui aux grilles et aux ceintures, mais utilisent de plus en plus de tranquillisants à la place. Et ce, souvent pendant des mois. Environ la moitié des patients atteints de démence en maison de retraite prennent des antipsychotiques, une augmentation de 9 % par rapport à 2016.
«Si les soins sont bien organisés, il n'est pas nécessaire d'immobiliser les personnes avec ces médicaments», explique Albert Wettstein. Selon lui, les effets secondaires sont graves: un doublement du risque de chute, d'attaque cérébrale et de décès. La démence s'aggraverait, les personnes concernées ne ressentiraient plus aucun plaisir: «Elles ne ressentent plus rien. La journée n'est plus que grise.»