Flottille pour Gaza
Traités comme des animaux, les militants suisses détenus par Israël racontent leur calvaire

Neuf militants suisses de la Flottille pour Gaza ont atterri à Genève ce dimanche. Après des retrouvailles émues avec leurs proches, ils ont dénoncé le traitement qui leur a été réservé par Israël. Ils s'inquiètent pour le sort des dix Suisses encore emprisonnés. Récit
Publié: 18:59 heures
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Dernière mise à jour: 19:42 heures
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Ils étaient près d'une centaine de proches et sympathisants à s'être déplacés à l'aéroport de Genève pour accueillir les huit militants suisses.
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Ils n’ont pas été difficiles à repérer parmi la multitude de passagers arpentant le hall d’arrivée de l’aéroport de Genève. Keffieh sur les épaules, drapeaux palestiniens à la main et pancarte «Welcome Capitaine Sébastien», les Dubugnon sont venus en nombre pour accueillir leur «capitaine».

Ses parents, Jacqueline et Olivier, ses enfants Ava (13 ans) et Malo (16 ans), sa sœur Cosette, sa nièce Clara et sa femme Kata. Depuis l’arrestation de Sébastien le jeudi 2 octobre par les forces israéliennes dans les eaux internationales et son transfert à la prison de Ktzi’ot, le plus grand centre pénitentiaire d’Israël, la famille n’avait pas pu lui parler. Jusqu’à ce coup de fil hier soir depuis Istanbul. «Seulement 30 secondes, mais c’était déjà ça», confie Kata.

La famille Dubugnon attend son «capitaine» Sébastien. Il a quitté Lausanne le 29 août.
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La veille, Israël avait expulsé vers la Turquie 137 militants issus de 13 pays différents, dont neuf Suisses. Selon les avocats de l’ONG israélienne Adalah, les droits des équipages de la flottille ont «été systématiquement bafoués»: on leur a refusé eau, médicaments, soins médicaux et accès à leurs représentants légaux.

«Heureusement le gouvernement turc leur a fourni des vêtements, payé pour leur hébergement ainsi que leur billet d’avion. On ne peut pas en dire autant de la Suisse et du Département des affaires étrangères (DFAE) avec qui les communications ont été réduites au strict minimum…», déplore Kata. Une attitude qui révolte la sœur de Sébastien: «Le Conseil fédéral reste les bras croisés, ne dénonce ni le génocide à Gaza, ni ne prend la moindre sanction à l’encontre d’Israël.»

Ava, elle, ne sait pas si elle parviendra à parler. «Je suis très émue. J’ai eu peur. Je suis soulagée et contente qu’il revienne. Et fière de lui aussi», dit celle qui n’a pas vu son père depuis le 29 août, date de son arrivée à Catane, où il avait embarqué quelques jours plus tard sur le «Mango», à destination de Gaza.

Chacha, Dolce et Enzo

Un peu plus loin, Enzo Mauro est venu accueillir son compagnon Steve Mercier avec un drôle d’équipage, Dolce, un caniche géant, et Chacha, une chatte. «Je voulais lui faire la surprise. Nous avons fait un pacte avec Steve. Je lui ai fait promettre que lors des coups durs, il devait se concentrer sur des images de Chacha, c’est notre talisman. C’est d’ailleurs, la dernière photographie que je lui ai envoyée avant que les communications ne soient coupées.» 

Enzo Mauro, Dolce et Chacha sont venus accueillir Steve Mercier.
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Depuis jeudi, il était sans nouvelles de celui qui partage sa vie. Le silence et les pensées qui tournent en boucle. La peur constante. «J’ai appris qu’ils avaient été maltraités, subis des interrogatoires sans la présence d’avocat, mis dans des ‘stress positions’ (ndlr: des postures de contrainte visant à humilier les détenus et à les rendre plus malléables lors d’interrogatoire). Certains ont été privés de nourriture et d’eau.»

Explosion de joie

À 14h, la foule commence à se masser près de la porte des arrivées. Une centaine de personnes scandent des slogans «Free, free, Palestine», «Cassis complice, la Suisse complice», sous le regard perplexe de voyageurs fraîchement débarqués, qui ne s’attendaient pas à un tel comité d’accueil.

Quand les premiers militants passent la porte, c’est l’explosion. De joie, de larmes, d’émotions. En larmes, Steve Mercier, peine à se frayer un chemin entre les proches venus l’embrasser. Un peu à l’écart, il nous confie son expérience, visiblement éprouvé. «Je n’ai eu droit qu’à un aperçu des traitements infligés aux Palestiniens dans cette prison. Et pourtant, nous avons été traités comme des animaux.»

«
On nous a forcés à rester en ‘stress position’ pendant des heures. J’ai aussi été giflé
Steve Mercier, militant genevois
»

Le musicien, membre du parti d’extrême gauche Union Populaire, raconte avoir été privé de tout contact avec l’extérieur. «On n’a même pas pu appeler nos consulats, et les numéros d’avocats qu’on avait ne servaient à rien», déplore-t-il. Très vite, les conditions de détention se sont durcies. «On nous a forcés à rester en ‘stress position’ pendant des heures. J’ai aussi été giflé.» À cela se sont ajoutées l’intimidation constante – «La nuit, ils ouvraient la porte de la cellule et un sniper nous visait avec sa lampe» — et le manque de ressources de base: «Je ne pouvais ni boire, ni vraiment manger.»

Inquiétudes pour ceux encore détenus

On retrouve Sébastien Dubugnon entouré des siens. Son nouveau look fait sourire son adolescente. «C’est bizarre ces vêtements. Je crois que les pantalons viennent de la prison et le haut bleu, fleuri, a été fourni par la Turquie.» 

L’exploitant de la terrasse lausannoise des Grandes Roches reste très inquiet pour ses camarades encore détenus en Israël. «On a tous subi des violences inacceptables. Tant que je ne sais pas ce qu’ils deviennent, je ne peux pas raconter ce qui s’est passé.» Et de craindre que ce qu’il a vécu ne soit que le début d’une violence plus grave: «On était dans une prison dont les murs sont couverts d’inscriptions laissées par d’anciens prisonniers palestiniens. Nous sommes conscients des risques encourus.»

Sébastien Dubugnon et son fils Malo
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Pendant sa détention, il a refusé de signer des documents qui l’accusaient d’avoir violé la souveraineté israélienne. «Grâce à une avocate de l’organisation Adalah, j’ai pu obtenir un traducteur. Elle m’a conseillé de ne rien signer. Finalement, j’ai modifié le texte en précisant que j’avais été kidnappé dans les eaux internationales et amené contre mon gré en Israël. J’ai barré la mention 'entrée illégale en Israël' et j’ai ajouté ma propre version.»

Il explique que beaucoup de détenus, notamment des Turcs, des Malaisiens et des Algériens, ont refusé de signer quoi que ce soit. «Les Israéliens étaient débordés. Ils ont probablement rempli l’unique avion mandaté par les Turcs comme ils pouvaient, mais ils en ont gardé certains, notamment ceux qui ont entamé une grève de la faim. J’ai des camarades qui ne mangent plus depuis plusieurs jours. Je ne sais pas ce qu’ils subissent.»

Si la plupart des effets personnels des détenus ont été volés, le Lausannois a pu récupérer son sac et celui du Nyonnais Jérémy Chevalley. Qui lui n’est pas rentré. Comme dix autres Suisses.

«Jérémy, on t'attend»

Munis d’une petite pancarte «On t’attend», ses parents, Clarisse et Alain, espèrent glaner des informations «de première main» sur l’état de santé de leur fils, qui a entamé une grève de la faim. «On a entendu parler de conditions de détention très dures, mais pour l’instant, il semble ne pas faire partie des plus maltraités. Du moins, on l’espère…» Ce qui pèse le plus, est l’absence totale d’information depuis mercredi dernier. «J’ai écrit au DFAE jeudi. Je n’ai toujours pas reçu de réponse», soupire Alain qui confie vivre la boule au ventre.

Pour eux, la joie des retrouvailles devra encore attendre.

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