L'Aromat et le Maggi n'ont rien à faire dans la cuisine d'une «bonne ménagère», ces préparations faciles sont pour ainsi dire taboues à l'école du centre agricole de Salez, à Saint-Gall. Dans cet établissement, douze élèves apprennent aujourd'hui à lier des sauces et des crèmes avec de la fécule de maïs pour les épaissir.
L'enseignement de la cuisine fait partie de l'un des neuf modules obligatoires de l'école agricole. Il existe 16 établissements de formation de ce type en Suisse. Et ils sont plus populaires que jamais.
A Salez, dans la vallée du Rhin saint-galloise, une classe est actuellement divisée en deux pour la première fois depuis longtemps, tant le nombre de femmes inscrites est élevé. Certaines inscriptions ont même dû être repoussées à l'année prochaine, explique Seline Heim, la responsable de la formation.
Les écoles agricoles des autres régions font également état d'une demande croissante. Et ce, alors que près de dix fermes en moyenne mettent la clé sous la porte chaque semaine et où le taux de suicides chez les agriculteurs fait la une des journaux tellement qu'il est élevé. Comment cela se fait-il?
«J'apprends quelque chose que j'utiliserai dans ma vie»
Marina Ulrich est l'une des femmes qui souhaite devenir paysanne avec brevet fédéral. Bien qu'elle n'ait aucun lien avec l'agriculture. Contrairement à la majorité de ses camarades d'école, cette mère de trois enfants d'Oberegg, d'Appenzell Rhodes-Intérieures, n'est pas issue d'une famille d'agriculteurs et n'est pas non plus mariée à un agriculteur. La seule chose qui la relie à ce métier est la ferme dans laquelle elle vit avec son mari et ses trois enfants. S'y ajoutent quatre moutons, trois chèvres, un chat et un chien.
«Je ne sais pas du tout ce que je veux faire avec mon diplôme», explique Marina Ulrich. Depuis douze ans, cette carreleuse de formation travaille dans la vente au sein de la même entreprise, actuellement à 30%. A la recherche de quelque chose de nouveau, elle est tombée sur l'école d'agricultrices. «Je me suis dit: pourquoi pas? Ici, j'apprends quelque chose que j'utiliserai dans ma vie.»
Une conception très traditionnelle des rôles
Une vie qui reposerait pourtant sur une conception très traditionnelle des rôles. Paysanne - ce n'est pas le pendant féminin de l'agriculteur, mais une branche professionnelle à part entière. Outre des bases économiques et juridiques, les femmes apprennent surtout à nettoyer, à cuisiner, à tenir le ménage, à cultiver des légumes et à les transformer.
Ce qu'une femme, selon l'idée apparemment encore dominante, devrait savoir faire pour vivre aux côtés d'un agriculteur. Celles qui obtiennent le diplôme se voient rembourser la moitié des frais de formation par la Confédération.
Alors qu'il y a de plus en plus de femmes qui font un apprentissage d'agricultrice, les hommes sont encore l'exception absolue dans les écoles de paysannes. C'est pourtant pour eux qu'a été inventée la désignation professionnelle de paysan chef de ménage. Les femmes restent toutefois des paysannes.
«Cette image des rôles me plaît»
La formation est controversée en raison de sa focalisation sur le ménage. Elle cimente une image de la femme dont on essaie de se débarrasser, critiquent certains et certaines. Mais Marina Ulrich n'a aucun problème avec cela. «Cette image des rôles me plaît», rétorque-t-elle.
Beaucoup de ses camarades de classe sont dans le même cas, comme le montre le cours de cuisine. A Salez, après l'exercice de liaison des sauces, il s'agit de cuisiner le repas de midi. Chaque élève prépare un plat différent. Au menu: salade, bouillon avec viande bouillie, fenouil et crème de cidre doux.
«Nous apprenons plutôt des choses pratiques, car nos maris ont besoin d'énergie pour leur travail», déclare une jeune femme. Il est alors clair que les futures paysannes considèrent que leur tâche principale est de soutenir leur mari.
Signe d'émancipation des femmes d'agriculteurs
Mais le boom des écoles agricoles est aussi un signe de l'émancipation des femmes d'agriculteurs. «Beaucoup veulent obtenir le diplôme parce qu'elles auront alors le droit de toucher des paiements directs», explique Jeanette Zürcher-Egloff de l'Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF).
Le brevet donne aux femmes une sécurité s'il devait arriver quelque chose à leur mari ou à leur couple. Il permet aussi à la prochaine génération de reprendre l'exploitation familiale.
Le désir de plus de sécurité contribue également au succès de la formation à d'autres égards. Les écoles citent la crise de Covid-19 comme facteur de popularité, la menace de la crise énergétique devrait d'ailleurs avoir le même effet. «On revient à ses racines», déclare la directrice de formation Seline Heim. Elle reçoit par exemple beaucoup de demandes sur la manière appropriée de mettre les aliments en conserve pour qu'ils durent.
Pas assez de comptabilité et de droit
La formation donne également de l'assurance à Marina Ulrich: «Peut-être que je serai contente un jour de savoir comment cultiver un jardin.» Entre-temps, le ragoût est au four, le bouillon mijote sur l'une des cuisinières. Alors que quelques élèves s'occupent encore du dessert, Irene Rupf attend que son fenouil soit cuit.
La paysanne préférerait être assise au pupitre plutôt que dans la cuisine. Elle aussi est là parce qu'elle veut soutenir son mari à la ferme - mais apprendre des recettes ne fait pas vraiment avancer cette commerçante de formation. Elle veut mieux s'en sortir avec toute la paperasse qu'il faut remplir en tant que paysan et paysanne, raconte-t-elle.
Mais la comptabilité et le droit ne comprennent respectivement que 40 et 48 leçons - alors que le seul module de technique de nettoyage et d'entretien des textiles en comprend 64. «La répartition des périodes n'est tout simplement pas bon», critique Irene Rupf. En outre, elle souhaiterait apprendre davantage ce que font de «vrais» paysans, comme l'agriculture, par exemple.
La Confédération estime qu'il faut agir
Des souhaits que la paysanne n'est pas la seule à formuler. L'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) a lui aussi reconnu la nécessité d'agir. Les formations doivent être développées, a annoncé le chef de l'OFAG Christian Hofer.
Les paysannes doivent apprendre davantage ce que les paysans apprennent - et inversement. Les dénominations des professions devraient faire l'objet de discussions.
(Adaptation par Lliana Doudot)