Prison, dettes et soucis personnels
Boris Becker: «J'ai eu deux fois peur de mourir»

Du paradis du tennis à l'enfer de la prison: Boris Becker parle dans une interview de ses heures les plus sombres, de la manière dont les échecs l'ont sauvé des «gros bras» et de la cordialité de la famille Federer.
Publié: 08.09.2025 à 11:57 heures
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Dernière mise à jour: 08.09.2025 à 17:13 heures
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Proche et simple: Becker dans le quartier portuaire de Düsseldorf.
Photo: Domenik Broich pour Blick
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Marco Pescio et Reza Rafi

Mardi midi, dans un hôtel de luxe à Düsseldorf, au bord du Rhin, Boris Becker (57 ans) arrive à l’heure. Il est seul. Il sourit, serre la main fermement et propose: «Prenons d’abord un espresso au bar, pour faire un peu connaissance». Ensuite, direction le Riva, son restaurant italien préféré, «où Michele nous trouvera sûrement une bonne table».

Sur le court trajet qui traverse le pont, Becker est régulièrement reconnu et interpellé, les passants prennent des photos. L’ancienne star du tennis reste détendue. Malgré une vie incroyablement mouvementée, il paraît accessible. Simple. Pour Blick, il accorde deux heures et demie de son temps.

Becker est en Allemagne car il commente chaque nuit l’US Open pour Sporteurope.tv. Il se couche à 4 heures du matin. Cet après-midi encore, il doit enregistrer son podcast avec Andrea Petkovic (37 ans). Ce n’est que la semaine prochaine qu’il rentrera à Milan, où il vit avec sa femme Lilian de Carvalho Monteiro (35 ans). Au Riva, l’ambiance est détendue. Becker veut «mettre les choses au clair». Il évoque la période la plus difficile de sa vie – et le livre qui sort ce mercredi. Pour le repas, l’Italien d’adoption ne choisit pas les pâtes mais le plat du jour: émincé de porc à la zurichoise.

Vous avez passé sept mois et demi en prison en Angleterre en 2022. Cela fera bientôt trois ans. Pourquoi publier un livre maintenant?
Parce que j’ai vécu des choses que je ne souhaite à personne. Et parce que je peux attirer l’attention sur mes erreurs, afin que des sportifs plus jeunes n’aient pas à les répéter. J’ai remarqué que beaucoup de sportifs de haut niveau rencontrent des problèmes après leur carrière: personnels, professionnels, financiers. Ce n’est pas un hasard. Pourquoi Boris Becker s’est-il égaré? Pourquoi a-t-il commis ces erreurs? Et surtout, quelles leçons en a-t-il tirées? Il y a aussi beaucoup de bêtises qui circulent, des choses factuellement fausses.

Et maintenant, vous pouvez rétablir la vérité.
C’est frustrant quand des inconnus affirment des choses qui sont tout simplement fausses.

Vous vous sentez incompris?
Je suis jugé sur des bases erronées.

Revenons à ces expériences que vous ne souhaiteriez pas à votre pire ennemi. Le livre vous a-t-il aidé à les surmonter?
M’asseoir pendant plus d’un an avec un ghostwriter pour raconter ce qui s’est passé au cours des 15 dernières années… c’est une forme de thérapie. Cela m’a aidé à mieux comprendre, à tirer des leçons. C’est pourquoi il était important de le faire peu après ma sortie, pour ne pas laisser les plaies se refermer sans les traiter.

L’idée du livre est-elle née en prison?
Oui, j’y ai tenu un journal. Parce qu’on a beaucoup de temps en cellule et qu’il faut occuper son esprit. J’ai beaucoup réfléchi à ma vie. Nous avons tous des problèmes – avec nos partenaires, nos enfants, notre patron, nos affaires, le monde en général. La différence, c’est que les miens sont publics.

Qu’est-ce qui a été le plus dur: la prison ou l’annonce de votre insolvabilité, le fait d’être financièrement au point mort?
Êtes-vous sûr de l'exactitude de ce que vous affirmez?

Vous parlez de l’insolvabilité ?
Exactement. Mais nous reviendrons plus tard sur ce point. Le pire, c’est de ne pas savoir si l’on va être privé de sa liberté ou non. Le 8 avril 2022, on a annoncé que j’étais coupable sur quatre chefs d’accusation. Puis il a fallu attendre 21 jours avant que le verdict ne tombe. Ces 21 jours ont été un enfer.

Et puis est arrivé le verdict: la prison. Comment l’avez-vous vécu?
Tout est allé très vite. Le 29 avril, jour de l’anniversaire de ma femme, je suis sorti tôt pour lui acheter des fleurs. Nous avons ensuite été chercher mon fils. Puis la question était simple: sursis et retour à la maison, ou prison? En Angleterre, après le verdict, tu es immédiatement conduit dans une cellule au sous-sol du tribunal. Tu n’as même pas le temps de dire au revoir. Du tribunal, tu passes directement dans un autre monde.

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La prison anglaise est un endroit extrêmement dangereux. On n’y est jamais en sécurité.
Boris Becker, ancienne icône du tennis.
»

Comment décririez-vous la prison?
La prison anglaise est un endroit extrêmement dangereux. On n’y est jamais en sécurité. Des gens y meurent: suicides, violences… ou ils sont gravement blessés. C’est une lutte permanente pour la survie.

Vous aviez donc besoin d’une stratégie?
La vérité, c’est que les prisons sont gérées par les détenus, pas par les gardiens. À Wandsworth, il y avait 2000 prisonniers pour 70 gardiens. J’ai appelé ceux qui détenaient le pouvoir «les gros bras».

Vous avez donc compris qu’il fallait être en bons termes avec eux?
Exactement. Comme joueur de tennis, j’ai toujours été bon sous pression. Mais la question était: comment gagner leur respect? Qui est influent? Qui est dangereux? À la cantine, on voit vite qui est qui, qui parle aux gardiens, qui dirige le groupe.

Votre célébrité a-t-elle joué un rôle?
Pas du tout. Personne ne se souciait que j’aie été une star du tennis. On me voyait comme un Allemand blanc, grand. Pas plus. Dans les deux prisons, il y avait toutes les religions, toutes les origines. Ma couleur de peau n’était ni un avantage ni un désavantage. Mais un groupe m’a pris sous son aile.

Vous avez été menacé, certains voulaient votre argent. Avez-vous eu peur pour votre vie?
Oui, deux fois. Une fois à Wandsworth, une autre à Huntercombe. Dans ces moments-là, le corps réagit, on peut presque sauter trois mètres plus haut que d’habitude. Je l’ai vécu deux fois. Mais je ne suis pas quelqu’un qui vit dans la peur. Sinon, ma vie aurait été différente. La seule peur que j’ai, c’est pour mes enfants et ma femme.

Vous étiez considéré comme un détenu à haut risque.
Oui. Le directeur craignait que d’autres prisonniers n’essaient de profiter de moi. Ma première question a été: aurai-je une cellule individuelle? Il m’a répondu oui. Il m’a expliqué qu’il voulait éviter qu’un compagnon de cellule me menace la nuit ou m’ébouillante la jambe pour me forcer à obéir.

La prison a ses propres règles. Certains détenus sont-ils exclus?
Oui, surtout les violeurs d’enfants. Ils se font frapper presque chaque semaine.

Vous en avez été témoin?
Oui. Il y en avait un qui avait agressé une jeune fille de 14 ans. Il dormait toujours mal, nerveux. Dès qu’ils en avaient l’occasion, certains entraient dans sa cellule pour le frapper. Et les gardiens détournaient le regard. La prison suit ses propres lois. La nuit, les portes fermées, on entend parfois des cris. Mais une fois ouvertes, tout peut arriver.

Comment en êtes-vous venu à donner des cours en prison?
Travailler est essentiel. D’abord pour passer le temps, ensuite pour gagner un peu d’argent. Sans travail, tu touches 15 livres par semaine. Ça ne suffit même pas pour téléphoner ou acheter un café. Si tu veux un extra – une pomme, un chocolat, un soda – tu dois bosser.

Combien gagne-t-on en travaillant?
Environ 1,50 livre par jour. J’avais deux jobs: j’enseignais l’anglais et les maths de base, car beaucoup de détenus ne savent ni lire ni écrire correctement. Dans la deuxième prison, j’ai aussi été professeur de sport et même de… stoïcisme!

La philosophie grecque antique?
Exactement! Le maximum que j’ai atteint, c’est 35 livres par semaine. Avec ça, on peut vivre correctement en prison. J’ai aussi intégré le club d’échecs, j’étais l’un des meilleurs. Au bout de quelques semaines, certains ont vu que j’avais la tête sur les épaules. Je suis devenu médiateur pour les «gros bras», un rôle important qui m’a aussi protégé.

Avez-vous gardé des contacts avec des codétenus?
On m’a conseillé de ne pas en avoir beaucoup. J’avais affaire à de vrais criminels: meurtriers, violeurs, trafiquants de drogue et d’êtres humains. La pire espèce. Mais je reste en contact avec un ou deux d’entre eux.

«
J’ai été accusé de 29 infractions et reconnu innocent dans 25 d’entre elles!
Boris Becker
»

Vous dites qu’il y a une raison pour laquelle votre vie a pris ce tournant. Laquelle?
Quand on est un enfant prodige, tout est pris en charge pour vous. Votre travail se limite à performer, à gagner. Tout le reste – argent, contrats, impôts – est géré par d’autres. Quand il s’agit de millions, ça attire beaucoup de gens intéressés. On peut vite perdre le contrôle. J’avais un manager, des conseillers financiers, des agents, des fiscalistes… et ils se regardaient eux-mêmes avant de me regarder, moi.

Vous étiez très entouré sur le court, mais pas dans la vie.
Exactement. Regardez Roger Federer. Ses parents et sa femme étaient très impliqués dès le départ. Ils formaient une protection. Il savait qu’ils veillaient sur lui.

Vous les connaissez bien?
Oui, ce sont des gens formidables. Lors de la Laver Cup à Berlin, ils ont pris soin de ma femme, qui n’a pas de réseau dans le tennis. Ils n’y étaient pas obligés, mais l’ont fait. Je ne l’oublierai jamais.

Vous, vous n’aviez pas ce filet de sécurité.
Non. Mon père était architecte, ma mère dirigeait son bureau. Pendant ma carrière, Ion Tiriac m’a beaucoup aidé. Mais après le tennis, j’ai fait confiance aux mauvaises personnes.

Vous vous reprochez des choses?
Avec le recul, forcément. Aujourd’hui, je prendrais des décisions totalement différentes. Avec ma femme, nous avons reconstruit un nouvel environnement. Nous travaillons dur, ensemble.

En traversant le pont tout à l’heure, des gens vous ont interpellé, pris en photo. Vous êtes une figure nationale. Vous sentez-vous incompris par votre pays?
Je distingue les critiques des fans. Le fan allemand «normal» continue de me respecter, peut-être même de m’aimer, d’une manière particulière. Peut-être encore plus qu’avant, car désormais je suis perçu comme un être humain, avec des failles.

Le monde entier a vu vos hauts et vos bas.
Oui. À 17 ans, j’ai perdu mon anonymat pour toujours. Et les tabloïds se sont régalés de ma vie privée très mouvementée.

Vous avez dit après votre libération: «Je ne blâme personne. Je suis responsable de mes décisions. Si on se voit en victime, on ne s’en sort jamais».
Il y a des raisons factuelles et philosophiques. En Angleterre, on ne peut faire appel que s’il y a une erreur technique dans la motivation du jugement. Ce n’était pas le cas pour moi. J’ai donc dû accepter la décision. Philosophiquement, je ne peux pas changer le passé. Plus vite on l’accepte, plus vite on peut maîtriser le présent. C’est vital, surtout quand on passe 20 heures seul dans une cellule. Sinon, on devient fou.

Il y a des gens qui se tournent vers la religion dans des circonstances extrêmes. Vous, êtes-vous devenu plus croyant?
J’ai reçu une éducation chrétienne, j’étais enfant de chœur. Dieu a toujours été présent dans ma vie, surtout en période de crise. En prison, j’assistais au service religieux du dimanche. Aujourd’hui encore, je vais presque chaque jour à la cathédrale de Milan pour prier. J'y fais trois prières et puis...

Oui?
Je vais maintenant vous poser une question importante: savez-vous exactement pourquoi je me suis retrouvé en prison?

Vous évoquez le fait que les raisons de votre condamnation ont souvent été simplifiées dans les médias. On parle d’«infractions liées à l’insolvabilité». Pour quoi avez-vous été condamné exactement?
J’ai été accusé de 29 infractions et reconnu innocent dans 25 d’entre elles! Le quatrième point de l’acte d’accusation concernait le fait que j’avais retiré des fonds de mon entreprise pour payer des dépenses privées: le loyer, la pension alimentaire de mes enfants, une opération du genou. Je l’ai fait après en avoir discuté avec mon avocate et le fonctionnaire responsable de l’administration, l'Official Receiver. Cela remonte au début juillet 2017. Lors de ma première rencontre avec mon administrateur judiciaire, le 13 septembre 2017, je lui en ai évidemment parlé. Il m’a alors posé d’autres questions concernant ma maison à Leimen (All) et des actions dans une start-up. J’ai répondu à toutes ces questions par e-mail le 28 septembre. Il s’agit donc de la période entre juillet et fin septembre. Malheureusement, j’ai été mal conseillé.

Que voulez-vous dire par là?
Mon entreprise n’était pas insolvable. J’ai donc demandé à l’Official Receiver si je pouvais retirer de l’argent de ma société. Il m’a répondu: «Oui, vous pouvez. Il suffit d’en informer l’administrateur judiciaire.» C’est ce que j’ai fait. J’ai retiré ces fonds parce qu’on m’avait dit que j’en avais le droit. Tout le monde peut commettre des erreurs quand on lui donne de mauvais conseils.

Et ensuite, que s’est-il passé?
Pour avoir pris cet argent, j’ai été condamné à 30 mois de prison. Pour la maison de Leimen et l’hypothèque associée, que je n’avais pas, selon eux, révélées assez tôt, j’ai reçu 18 mois chacun. Et pour les parts dans l’entreprise de sport en ligne, 18 mois également. Mais tout cela était «concurrent», c’est-à-dire exécuté en même temps. En d’autres termes: toutes ces infractions étaient déjà incluses dans la peine de 30 mois. Ce que le tribunal n’a pas pu prouver, c’est qu’il y avait une intention frauduleuse derrière mes actes. Sinon, ma peine aurait été beaucoup plus lourde: sept ans. On pourrait dire que ce que je vous raconte, c’est ma version des faits. Mais tout cela a été démontré devant le tribunal.

Quelle leçon principale retenez-vous?
De faire beaucoup plus attention à moi et à mon entourage. On dit: «Montre-moi tes amis, je te dirai qui tu es.» C’est vrai.

Votre femme a joué un rôle clé pendant cette période.
Oui. Elle a été mon seul contact régulier. Sans son amour et sa force, je n’aurais pas surmonté cette épreuve.

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