À Berne, ces derniers jours, les député-es se sont déchiré-es… sur 1 million de francs. Oui, vous avez bien lu: un pays riche de plus de 90 milliards en budget a débattu des jours durant pour savoir s'il fallait ou non attribuer un million de plus pour lutter contre les violences faites aux femmes et les féminicides.
Dans un premier vote, le Conseil national a refusé cette rallonge, suscitant une vague d'indignation populaire, dont une pétition de 450'000 signatures et une manifestation sur la place fédérale. Colère légitime, et bien pâle face à ce que serait notre vengeance! Parce que la Suisse connaît un «triste record» de féminicides en 2025, avec déjà 28 femmes exécutées par des hommes de leur entourage cette année.
Opposition nette de l'UDC
Dans le Canton de Vaud, les violences domestiques représentent une moyenne de 5 interventions policières par jour. En 2024, 100% des victimes d'homicides étaient des femmes. Instagram de Vassilis Venizelos.
Le débat parlementaire a dégénéré en polémique, les deux camps s'accusant d'un côté d'un vote contre les femmes et les victimes et de l'autre de récupération politique (et d'adresses courriel). Il est vrai toutefois que l'engagement se fait aussi dans les couloirs du Parlement, avec notamment des vidéos publiées sur les réseaux sociaux qui ont suivi les débats jusqu'au dernier vote, positif, enfin!
L'opposition la plus nette venait… de l'UDC, qui a parfois rejeté l'idée même que la violence sexiste méritait ce million additionnel – alors même qu'elle affirme que la sécurité est une priorité. Ironie ou incohérence politique? A Berne, nombreux-ses ont senti que les priorités de l'ensemble de la majorité étaient… décalées. Après tout, 3,6 millions ont été votés pour la protection des troupeaux, et 10 millions pour la promotion du vin au même moment où l'augmentation d'un million pour la lutte contre les violences était débattue.
Manque d'une stratégie nationale
Mais au fond, 8 millions au lieu de 7 millions, c'est ridicule! Le rapport du Réseau Convention Istanbul – porté par des ONG de terrain – dresse un constat sévère: malgré l'existence de cadres légaux, la Suisse manque de moyens structurels pour lutter efficacement contre les violences basées sur le genre. Elle atteint difficilement la note de 3 sur 6.... D'après ce rapport, il manque notamment:
- des places suffisantes dans les maisons d'accueil, encore inexistantes dans certains cantons;
- des centres de soutien LAVI correctement financés et du personnel formé;
- une prise en charge médico-psychologique accessible sur tout le territoire;
- une formation professionnelle continue pour les forces de l'ordre et le système judiciaire;
- la reconnaissance opérationnelle des violences psychologiques dans la pratique judiciaire.
Autrement dit, le problème n'est pas qu'on manque d'un million ici ou là: c'est qu'on manque d'une stratégie nationale cohérente et d'un vrai plan de financement, à hauteur de centaines de millions par an, pour prévenir, protéger et accompagner. Nous avons besoin de ressources minimales de l'ordre de CHF 500 millions par an pour ces mesures – pas pour les miettes budgétaires que nous devons arracher année après année.
Hausse des discours masculinistes
Et à la base de ce manque de moyens, il y a un angle mort que trop de débats politiques oublient: la prévention. Si la sécurité des femmes se joue dans les refuges, nous sommes trop tard! C'est dans les écoles, dans les lieux d'éducation, dans les programmes qui enseignent le respect, le consentement, l'égalité et l'égalité dans la vie affective dès le plus jeune âge.
Face à la (re)montée des discours patriarcaux violents et masculinistes, en particulier sur les réseaux sociaux, sans moyens pour une vraie éducation sexuelle et à la vie affective, qui vient soutenir les parents dans cette tâche ardue, on continue à soigner des blessures plutôt qu'à prévenir des violences.
Alors oui, ces petits millions sont importants. Mais ils ne sont qu'un effet d'annonce si on ne finance pas en profondeur la lutte contre les violences et le renforcement de l'égalité partout dans la société. Tant que les choix budgétaires continueront de ressembler à des querelles sur de la petite monnaie, les femmes et les filles continueront de payer le prix fort.
Il n'y a pas de changement sans mobilisation collective. Dans la rue, au Parlement, dans nos vies quotidiennes, dans les urnes lors des prochaines élections: c'est ensemble que l'on forcera enfin Berne à aligner des lignes du budget avec la vraie urgence. Parce que ce n'est pas juste une question de chiffres. C'est une question de vies.