L’Inde ne passionne plus beaucoup les Occidentaux. Revenus de leurs ambitions coloniales, les Anglo-saxons cultivés ont passé encore quelques décennies à projeter sur ce pays tous leurs fantasmes de spiritualité douce et d’amours libres, puis ils ont conclu que les Indiens n’étaient, à tout prendre, ni plus sages qu’eux-mêmes, ni plus intéressants, et même qu’ils étaient probablement pires, puisqu’ils avaient cédé aux sirènes du nationalisme quelques années avant eux – et les droits des femmes, l’écologie, pour ne rien dire de l’état déplorable des écoles, des ponts et des chaussées.
Aussi, quand l’Inde se trouve au bord de la guerre avec le Pakistan, c’est peu dire que les opinions européennes n’en ont rien à branler. Tout au plus répète-t-on qu’il s’agit de deux puissances nucléaires, faisant dresser quelques poils de jambe et d’aisselle, modestes frissons à l’heure du brunch. De toute façon, cela se passe là-bas, chez ces gens-là, dont on ne sait pas grand-chose, dont on ne veut rien savoir, sinon qu’ils sont incroyablement nombreux, alors pensez, quelques dizaines de mort de plus ou de moins...
Le fruit amer de la propagande
Pourtant, à y regarder de près, la situation est explosive. D’un bout à l’autre du monde, les gouvernements lancent des «appels au calme», tandis que la logique guerrière semble prévaloir tant du côté indien que du côté pakistanais. Chacune des deux puissances nucléaires fait feu des armes que les Etats qui appellent aujourd’hui à la paix ont pourtant accepté de leur vendre. Comme souvent dans ce genre de cas, les partis de l’opposition modérée se rallient à la majorité.
Quant aux opinions indiennes et pakistanaises, elles tendent, comme chez nous, comme partout, à épouser spontanément le récit national, avec cette fausse spontanéité qui est le fruit amer de la propagande, et qui fait que le peuples, si souvent, pensent et agissent contre leurs intérêts. En Inde comme au Pakistan, se dessine un inquiétant consensus guerrier, patriotique, où la religion est utilisée comme faire-valoir des passions tristes.
Face à cette rhétorique mortifère, la résistance s’organise. Elle est modeste. Mais elle n’est pas timide. Elle est même incroyablement courageuse. Et elle vient, pour l’essentiel, des partis communistes. Les partis marxistes Indiens et Pakistanais ont clairement exigé la paix et la solidarité entre les peuples, au nom de cette conviction, inentamable, qu’Indiens et Pakistanais sont avant tout, et dans leur grande majorité, des travailleurs, des travailleuses, des prolétaires, et qu’une guerre entre deux nationalismes fiévreux n’enrichirait que les marchands de canons, et ne pouvait jamais se faire que sur le dos des peuples
Refuser la guerre
Certes, dans le détail, certaines positions de ces formations politiques peuvent être sujette à débat. Mais le rejet de la guerre qui n’engraisse que les industriels, qui ne nourrit que les nationalistes, et qui transforme les peuples au mieux en perroquets forcés d’éructer une propagande imbécile, au pire en charognes fumantes, est largement partagé par de nombreuses formations marxistes, au Pakistan, en Inde, mais aussi en Israël, au Soudan, et dans toutes les zones de conflits. Et l’on peut dire sans trop de crainte de se tromper, n’en déplaise aux fauteurs de guerre et aux propagandistes: les communistes veulent la paix.
On ne peut que formuler le vœu pieu que, sans forcément accepter les autres points de doctrine, les travailleuses et les travailleurs indo-pakistanais soient de plus en plus nombreux à refuser une guerre que deux nationalismes veulent leur imposer – ces nationalismes qui ressemblent tant à ceux qui se propagent chez nous, et dans les rangs desquels on retrouve d’ailleurs certains de ceux qui, quelques décennies plus tôt, étaient pourtant ivres de rêves new-âge et d’hippisme ébouriffé.