La chronique de Pascal Wagner-Egger
L'erreur flagrante des critiques du voyage de Céline Vara

Dans sa nouvelle chronique, Pascal Wagner-Egger revient sur les récentes critiques visant Céline Vara, députée verte neuchâteloise, qui s'est rendue à Oman en avion. Des reproches qui, selon lui, sont aussi incohérents que l'escapade de l'élue.
Publié: 08.05.2025 à 11:55 heures
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Dernière mise à jour: 14.05.2025 à 14:33 heures
L'enseignant Pascal Wagner-Egger décrie l'empressement des critiques qui ont fustigé l'élue verte Céline Vara et son voyage à Oman.
Pascal Wagner-Egger, enseignant en Psychologie Sociale

Pour celles et ceux qui ont raté l'«affaire» politique suisse du moment, la députée écologiste neuchâteloise Céline Vara a récemment été prise en «flagrant délit» de «manque d'exemplarité» ou de «cohérence», entre son discours écologiste et son récent voyage de 9h en avion à destination d'un hôtel 5 étoiles au sultanat Oman, plus connu pour sa production de pétrole que son respect des droits humains. «Incohérence» que se sont empressés de médiatiser ses adversaires de droite, comme le président des Libéraux-Radicaux de Neuchâtel Francis Krähenbühl, ou le toujours fantasque Philippe Nantermod. 

L'occasion était certes belle de fustiger la «donneuse de leçons» écologiste en termes de bilan carbone et de décroissance, au nom du «faites comme je dis, mais pas comme je fais!». Néanmoins, en s'engouffrant trop vite dans la critique facile, nos snipers de droite ont commis de façon ironique le même biais cognitif à l'œuvre dans… la négation du réchauffement climatique! 

Un biais de raisonnement basé sur l'information

Ce biais est celui de l'«effet du caractère vivant de l'information», à savoir le fait de baser ses jugements sur des éléments concrets, images, ou anecdotes frappantes plutôt que sur des recherches scientifiques ou des statistiques à moyen ou long terme. Cet effet serait lui-même explicable par l'utilisation de l'heuristique – raisonnement court qui demande peu d'efforts intellectuels – de disponibilité, qui nous pousse à raisonner en utilisant de préférence les informations immédiatement disponibles, en lieu et place de l'ensemble des observations. 

À chaque record de température négative dans le monde, on entend cette erreur dans la bouche de politicien.nes, qui s'engouffrent dans la pensée trop rapide pour tenter de confirmer leur négation de l'existence du réchauffement climatique. Donald Trump (l'un des champions toutes catégories des biais de raisonnement) a tweeté à plusieurs reprises dès 2012 des messages du genre: «Il gèle et il neige à New York: que se passe-t-il avec le réchauffement climatique?». 

Complotistes et phénomènes climatiques

La complosphère basique répète régulièrement cette erreur à chaque épisode de froid ou d'annonce de record de chaud. Par exemple la chroniqueuse d'Hanouna Myriam Palomba, ex-journaliste de magazines people, qui commente chaque record de chaleur moyenne avec des: «Mais il a fait froid à Paris pendant 3 jours». 

L'erreur est ici de considérer un cas concret frappant, immédiatement disponible – le record de froid – au lieu de considérer la moyenne des températures, sur laquelle se basent les scientifiques pour parler de réchauffement climatique. Ces derniers ont depuis longtemps expliqué que cette hausse moyenne peut très bien s'accompagner de températures épisodiquement extrêmes, dans le chaud comme le froid (c'est juste que les épisodes de chaud finissent par l'emporter en moyenne, sinon on ne parlerait plus de réchauffement). 

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Les adhérent.es aux théories du complot ont un mode de pensée plus intuitif et naïf que la moyenne et commettent davantage de biais cognitifs
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On résume cette question en disant qu'il ne faut pas confondre le climat (les températures à moyen et long terme) et la météorologie, qui peut être très changeante à tel ou tel endroit. L'autre aspect important de la question est que les scientifiques disent aussi que le dérèglement climatique, qui s'accompagne d'une hausse moyenne des températures, se traduit aussi par une plus grande fréquence des épisodes météorologiques extrêmes comme les tempêtes, tornades, sécheresses et… grand froid!

Cette erreur de raisonnement bien visible sur les réseaux sociaux illustre au passage à merveille les recherches en psychologie qui montrent que les adhérent.es aux théories du complot ont un mode de pensée plus intuitif et naïf que la moyenne et commettent davantage de biais cognitifs (en réalité, ne tentent pas de les corriger, parce que tout le monde est soumis à ces biais de raisonnement, qu'il faut corriger par un effort intellectuel, l'éducation, l'esprit critique, etc.). 

Un exemple n'est pas la moyenne

Dans le cas du voyage peu écologique de la députée écologiste Céline Vara, il y a une incohérence apparente entre prêcher l'écologie et faire long voyage en avion, qui plus est dans un pays politiquement peu recommandable. Mais le biais du caractère vivant de l'information est évidemment de ne considérer que cet épisode frappant pour juger du bilan carbone de Mme Vara, qui doit se faire sur des statistiques, des moyennes à moyen et long terme. 

Celle-ci précise par exemple que son dernier vol en avion remonte à 2018, et qu'elle prend évidemment le train pour les destinations atteignables par le rail: Que celles et ceux qui ont fait mieux lèvent la main (de mon côté, c'était en 2019 en Grèce, et je prends aussi uniquement le train en Europe)! 

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Il ne fait pas l'ombre d'un doute que le bilan carbone de Mme Vara est bien meilleur que ceux de ses critiques de droite
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Ainsi, comme le relevait dimanche dernier Mauro Poggia sur les ondes de la RTS pour la défendre, il ne fait pas l'ombre d'un doute que le bilan carbone de Mme Vara est bien meilleur que ceux de ses critiques de droite (il faudrait bien sûr ajouter les chiffres sur ses modes de transport quotidiens, de chauffage, d'alimentation, etc.). Il faut rappeler que ce que prônent les écologistes n'est pas d'atteindre l'utopie d'un bilan carbone nul (il faudrait pour cela vivre en autarcie dans la montagne sans électricité ni aucun appareil moderne), mais l'avoir en ligne de mire, de diminuer ou minimiser son empreinte écologique. 

Le paradoxe des détracteurs

Non seulement nos critiques de droite à la dégaine un peu trop rapide commettent donc une erreur basique de raisonnement, de façon cynique si consciemment dans un but politique de dénigrement, et de façon stupide si inconsciemment, mais ils reconnaissent de plus implicitement le but louable de diminuer notre empreinte carbone! 

Il faut rappeler ici que c'est un sacré progrès, parce qu'ils tentent de faire oublier, à nouveau par inconscience ou stupidité, que la droite politique a refusé d'accepter la réalité du réchauffement climatique – et plus largement des problèmes écologiques en général, pollution, extinction des espèces, etc. – pendant des décennies! Ceci en raison de la défense de l'hubris consumériste du néolibéralisme mondialisé, défense que j'ai qualifiée ailleurs comme «la plus grande erreur politique de tous les temps», parce que comme l'holocauste nucléaire, elle met en péril l'humanité et une partie du vivant.

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Quelle belle ironie d'entendre (la droite) critiquer un manque d'écologie
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En Suisse, rappelons que la droite de MM. Krähenbühl et Nantermod et son voisin plus extrême de l'extrême-droite ont systématiquement et avec acharnement combattu l'écologie – rappelons-nous sans nostalgie de ces autocollants des années 1980 sur les voitures qui disaient «pendons les écolos pendant qu'il reste encore des arbres», ou des écologistes de cette époque passés à tabac –, jusqu'à ce que la science les oblige à virer de 180 degrés. 

Quelle belle ironie – voire à nouveau bêtise ou cynisme – de les entendre critiquer un manque d'écologie! Les recherches scientifiques continuent d'ailleurs de montrer qu'il y a encore de nos jours plus de négation de l'existence du réchauffement climatique à droite qu'à gauche.

Une contradiction réjouissante

Ainsi, concluons avec optimisme de cette affaire que nos irresponsables politiques de ces dernières décennies, la droite libérale et sa voisine de la droite conservatrice, prouvent désormais qu'ils se sont monstrueusement plantés pendant des décennies – certes sans le reconnaître, ce qui serait une preuve de décence et d'intelligence –, et que la gauche et les scientifiques avaient bel et bien raison depuis bien longtemps. 

Réjouissons-nous également de voir cet été que les politicien·nes de droite qu'on entend beaucoup parler ces jours ne prendront comme nous l'avion que tous les 6-7 ans, et privilégieront le train pour les destinations plus proches, comme leur souci de l'empreinte carbone (des autres?) en témoigne!

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