Il est probable que nos enfants fassent un jour l’histoire de nos ridicules. Ils seraient alors inspirés de se pencher sur cette séquence qui commence juste après les attaques du Hamas du 7 octobre, et qui se prolonge à l’heure où nous écrivons ces lignes. Ils y trouveraient, sous nos latitudes neutres, une somme vertigineuse de hontes, de renoncements et de lâchetés.
Nos enfants parleraient sans doute du pianiste Fazil Say, l’un des plus grands musiciens de notre temps, éconduit par la Migros – qui a annulé ses concerts – pour avoir souhaité publiquement que Benjamin Netanyahu soit jugé pour les bombardements sur Gaza. Ils diraient sans doute quelques mots de la soumission du camp bourgeois aux diktats israéliens qui, sous l’impulsion du conseiller national UDC David Zuberbühler, a œuvré pour que soit supprimé une subvention d’aide aux réfugiés palestiniens – au moment même où cette subvention est plus nécessaire que jamais.
Je donnerai volontiers à lire aux historiens du futur certains courriels éruptifs reçus après que j’aie moi-même imprudemment pris le parti du peuple palestinien dans une chronique parue dans «Le Matin Dimanche».
Et la démocratie?
Mais, au regard du futur, la palme de la lâcheté et de la bêtise reviendra sans doute aux élus de droite du conseil communal d’Yverdon-les-Bains. Le 7 décembre 2023, alors que la gauche voulait proposer un engagement symbolique de la ville en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza, l’ensemble des conseillers municipaux de l’UDC et du PLR ont quitté la salle.
Hop ! Terminé! On rentre! La démocratie? On ne mange pas de ce pain-là. La discussion? Un truc de gauchistes. Et puis c’était déjà tard, on a quand même des trucs à faire le jeudi soir.
Où sont-ils allés?
Les historiens du futur, s’ils sont un peu romanciers, se plairont à suivre cette trentaine de conseillers après leur sortie. Où sont-ils allés? Peut-être se saouler à mort, taper de la cocaïne dans une ruelle, se faire insérer un doigt dans le derrière par leur maîtresse, organiser l’apéro raciste du lendemain – si chaque vendredi à la lisière du Jardin Japonais –, peut-être sont-ils simplement rentrés chez eux, fiers de leur bon coup, encore hilares, racontant à leurs enfants qu’on ne la fait pas à papa, à maman, que les gosses palestiniens n’ont qu’à faire des efforts comme tout le monde.
Et puis qu’ils cessent de cacher des terroristes dans leurs écoles aussi, hein, merde, tout se mérite dans la vie, n’est-ce pas mon fils, hein, va te laver les mains, ta mère arrive avec le souper.
Des farces sous la propagande
Cet épisode de politique locale ne serait qu’une blague isolée, si la blague ne s’était imposée comme la catégorie qui domine le discours politique. C’est peut-être l’une des caractéristiques de notre modernité, que de ne plus être capable d’aucune tragédie, que de tout transformer instantanément en farce.
Parlerez-vous d’enfants assassinés? Il se trouvera toujours des conseillers communaux yverdonnois pour entamer une chanson à boire, s’exhiber en imitant l’accent africain ou réciter le cantique suisse en rotant. D'ordinaire, nous aimons nous-mêmes les farces, même grasses, même paillardes. Sauf quand elles servent de faire-valoir à la propagande de guerre du gouvernement israélien.