La décision de Migros de supprimer à terme le Nutri-Score de ses produits fait des mécontents dans le milieu scientifique. Début septembre, une étude publiée dans le «Lancet» confirmait que plus le Nutri-Score est bas, plus le risque de maladies cardiovasculaires est élevé.
Ce dimanche 15 septembre, c’est au tour de l’épidémiologiste français Antoine Flahault de faire part de sa colère. Le directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève (UNIGE), très engagé pour le confinement lors de la pandémie de Coronavirus, s’est exprimé en des termes clairs sur X.
Pour le médecin, la santé et le porte-monnaie des Suisses vont pâtir du choix du géant orange d’abandonner les pastilles colorées, qui créent parfois la confusion chez le consommateur. Celles-ci indiquent, en comparaison avec d’autres produits du même ordre, lesquels sont les plus recommandés (A, B et C) et lesquels le sont moins (D, E et F).
L'auteur du livre sur la santé à tous les âges «Prévenez-moi!», aimerait que la presse suisse dénonce. Blick l’a interviewé.
Antoine Flahault, avec son abandon du Nutri-Score, Migros devient-elle responsable d’une catastrophe pour la santé publique des Suisses?
Il ne s’agit pas de catastrophe sanitaire au sens où l’abandon du Nutri-Score par Migros ne va pas conduire à la survenue de décès spectaculaires à l’entrée du magasin! Mais c’est en effet une décision catastrophique de la part de Migros, car il a été prouvé scientifiquement que les consommateurs qui privilégiaient les aliments dont le Nutri-Score est A ou B jouissaient d’une meilleure santé cardiométabolique que ceux qui s’orientaient vers les produits plus proches de la note E.
Vous ciblez «les jeunes, les classes populaires et les milieux les moins instruits». Ces catégories de population ne sont-elles pas capables de se nourrir sainement sans ce système coloré?
Seuls 5% des produits ultratransformés ont un Nutri-Score A aujourd’hui. En l’absence de marquage, qui saura les repérer? Pas moi, en tout cas. Mais les classes aisées et les personnes plus âgées cuisinent plus souvent des aliments frais. Ils ont moins recours aux produits industriels ultratransformés dans leur alimentation.
Et donc?
Quelque part, ils sont moins à risque que les milieux plus modestes et plus jeunes qui se tournent plus souvent vers une nourriture moins saine, mais également moins chère et plus rapide à consommer. Le Nutri-Score offre à tous un moyen simple de naviguer entre les rayons lorsque l’on fait ses courses et de privilégier les produits marqués A ou B, voire C.
Beaucoup avancent qu’une meilleure éducation alimentaire serait suffisante. Ce n’est pas votre avis?
J’aime bien les feux tricolores dans les rues de nos villes. Comme conducteur, ils me reposent, et comme piéton, ils me protègent. Vous imaginez une agglomération sans ces feux aujourd’hui? En matière d’alimentation, la Suisse n’a pas fait le choix d’une obligation de marquage et en aucun cas, il ne s’agit de mettre en place un marquage contraignant pour le consommateur. Mais on peut reconnaître que c’est reposant de pouvoir se fier à un étiquetage qui nous incite à privilégier une alimentation saine si tel est notre souhait.
Et si ce système «reposant» n’est pas là?
En supprimant ce marquage, on doit en permanence faire fonctionner ce que vous appelez «l’éducation alimentaire» — qui repose d’ailleurs sur une culture familiale, souvent liée à la classe sociale à laquelle on appartient et qui n’est pas beaucoup enseignée à l’école. À nouveau, je crains que cela ne vienne accentuer le gradient social que l’on retrouve dans l’obésité, le diabète et les pathologies chroniques: les nantis et les personnes instruites ont plus souvent accès à cette éducation que les segments plus défavorisés de la population qui souffrent davantage de ces pathologies.
Considérez-vous, comme votre collègue académicien Serge Hercberg (fondateur du Nutri-Score) que Migros présente des «arguments fallacieux» pour justifier son choix?
Serge Hercberg, spécialiste du domaine, connaît bien les réticences des fabricants et des distributeurs toujours prompts à vendre davantage les aliments ultratransformés, produits en quantités industrielles. Pour y parvenir, ils luttent contre toutes les entraves, comme celle que représente à leurs yeux le Nutri-Score. Celui-ci permet d’informer les consommateurs sur des alternatives potentiellement meilleures pour leur santé, or ces choix éclairés ne vont pas dans le sens des profits qu’attendent ces fabricants.
Pour vous, ce n’est même pas une bonne stratégie sur le plan financier pour Migros, Danone, Emmi et tous les autres?
Les groupes qui ont les meilleures stratégies industrielles, me semble-t-il, sont ceux qui réalisent que ce qui est bon pour le consommateur est bon pour leur entreprise. Les meilleurs profits sont les profits durables. Or maintenir en bonne santé le consommateur est plus durable que le voir affecté de maladies chroniques ou de cancers.
Mais encore?
Par ailleurs, la réputation de ces groupes risque de souffrir de ces agissements lorsqu’ils n’ont pas comme primum movens (ndlr: impulsion première) la défense du consommateur. Mais plutôt celle des fabricants et des marques. Le consommateur en Suisse est toujours libre d’aller «voter avec ses pieds», c’est-à-dire de se détourner des enseignes qui ne lui plaisent pas.
Donc le Nutri-Score n’est pas critiquable du point de vue scientifique?
Les données s’accumulent pour reconnaître que les produits dont le Nutri-Score est A ou B sont de meilleure valeur diététique que ceux de grades D ou E. Les feux rouges n’empêchent pas tous les accidents de la circulation. De même, certains produits dont le Nutri-Score est A ou B s’avéreront parfois peut-être nocifs pour la santé. Mais dans l’ensemble, ces dispositifs permettent d’éclairer le consommateur dans la foison et la diversité alimentaire qui lui est proposée.