Selon les premières projections, la coalition gouvernementale du Premier ministre japonais Shigeru Ishiba a perdu sa majorité à la chambre haute du Parlement lors des élections de dimanche. Un sérieux revers, dans un contexte marqué par l'inflation et la montée en puissance de l'extrême droite.
Alors que 125 des 248 sièges étaient renouvelés lors du scrutin, le Parti libéral-démocrate (PLD, droite conservatrice) de Shigeru Ishiba et son allié Komeito (centre droit) n'ont gagné que 41 sièges, selon les projections des médias nationaux, dont la télévision publique NHK.
Loin des 50 nécessaires pour conserver leur majorité. Le parti populiste anti-immigration Sanseito, au slogan «Le Japon d'abord», fait de son côté une très forte percée, avec entre 10 et 22 sièges remportés, alors qu'il n'en contrôle que deux dans l'assemblée actuelle.
«Une situation inédite depuis la Seconde Guerre mondiale»
Des experts avaient estimé avant l'élection qu'une telle défaite du gouvernement pourrait contraindre à la démission Shigeru Ishiba, 68 ans, en poste depuis dix mois. La coalition gouvernementale est déjà en minorité à la chambre basse du Parlement, depuis un cuisant revers lors des élections législatives anticipées de l'automne - que Shigeru Ishiba avait lui-même convoquées après avoir pris en septembre la tête du PLD.
Le Japon pourrait désormais entrer «en terrain inconnu, avec un gouvernement en minorité dans les deux chambres du Parlement, situation inédite depuis la Seconde Guerre mondiale», avait prévenu avant l'élection Toru Yoshida, professeur de sciences politiques à l'Université Doshisha.
Le PLD gouverne le Japon de manière quasi ininterrompue depuis 1955, malgré de fréquents changements de dirigeant. Minoritaires à la chambre basse, le PLD et Komeito devaient déjà transiger avec l'opposition pour faire voter leurs textes, alors même que la conjoncture s'assombrit.
Le prix du riz a doublé en l'espace d'un an
L'inflation reste forte (+3,3% en juin hors produits frais), tirée par une vertigineuse flambée des prix du riz qui ont doublé en l'espace d'un an. «Les prix de base augmentent, mais je suis surtout inquiet que les salaires n'augmentent pas», soupire Atsushi Matsuura, 54 ans, rencontrée dimanche dans un bureau de vote de Tokyo.
Hisayo Kojima, 65 ans, déplore elle la réduction constante du montant réel de sa retraite: «Nous avons beaucoup payé pour soutenir le système de retraite. C'est le problème le plus urgent», insiste-t-elle.
Pour atténuer l'impact inflationniste, Shigeru Ishiba a étendu les aides au logement, prolongé des subventions à l'énergie, et s'est engagé à verser des chèques de 20'000 yens (120 dollars) par citoyen. Les autorités ont également débloqué une partie des réserves stratégiques de riz pour faire baisser les prix, sans succès pour l'heure.
Les droits de douane de Trump fragilise l'économie japonaise
Par ailleurs, l'offensive douanière de Donald Trump a fait plonger d'un quart les ventes automobiles vers les Etats-Unis, un secteur surtaxé par Washington à 25% et qui représente 8% des emplois dans l'archipel. La menace de surtaxes généralisées de 25% au 1er août fragilise le tissu économique nippon, très dépendant des exportations. Alors que le négociateur japonais s'est rendu à sept reprises aux Etats-Unis, les pourparlers avec Washington paraissent s'enliser.
Avant les élections, Shigeru Ishiba avait affiché une stratégie maximaliste consistant à réclamer l'élimination totale des droits de douane, au risque d'alarmer certains acteurs industriels.«La capacité du gouvernement à gérer les négociations commerciales est un enjeu critique, il est crucial pour le PLD de conforter la confiance des citoyens», confie à l'AFP Masahisa Endo, professeur de sciences politiques à l'université Waseda.
Les marchés financiers s'inquiètent, eux, des dérives budgétaires, les massifs plans de relance et d'aides du gouvernement Ishiba aggravant un endettement déjà massif. Plusieurs émissions obligataires de Tokyo ont été boudées ces derniers mois, faisant s'envoler les taux nippons.
Un climat favorable à l'opposition
Si on y ajoute les scandales de corruption entachant le PLD, le climat est favorable à l'opposition, mais celle-ci apparaît très fragmentée et guère en mesure de former un gouvernement alternatif, en dépit de la défaite de la coalition gouvernementale.
La poussée du Sanseito, qui empiète sur le vote PLD, était surveillée de près. Cette formation prône des «règles et restrictions durcies» en matière d'immigration, fustige le «mondialisme», dénonce les politiques de genre «radicales», et appelle à refondre les stratégies de vaccination et de décarbonation. Sous pression en raison de positions jugées prorusses, le Sanseito a farouchement nié avoir tout lien avec Moscou. «Ils expriment ce que je pense mais que je ne pouvais pas dire depuis longtemps», confiait récemment à l'AFP une électrice lors d'un rassemblement du parti.