Les victimes et leur famille en danger
En Russie, des criminels partent au front… et reviennent libres de se venger

Des criminels graciés pour aller se battre en Ukraine reviennent dans leurs communautés, parfois aux côtés de leurs victimes. En Russie, la guerre brouille les frontières entre justice et impunité, plongeant les familles dans la peur.
Publié: 05.05.2025 à 12:12 heures
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Dernière mise à jour: 05.05.2025 à 13:27 heures
Selon le média indépendant Vyorstka, au moins 754 Russes ont été tués ou gravement blessés par des soldats depuis le début de la guerre. (Image d'illustration)
Photo: Anadolu via Getty Images
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Solène MonneyJournaliste Blick

En Russie, les communautés vivent dans la peur: la criminalité s’y intensifie. En cause notamment, des vétérans psychologiquement brisés… mais aussi des criminels graciés par Vladimir Poutine. Même les meurtriers et les violeurs peuvent échapper à la prison, à condition de s’engager sur le front. Ceux qui survivent retrouvent ensuite leur liberté et parfois leurs anciennes victimes.

Dans certaines villes, bourreaux et proches de victimes se retrouvent à vivre côte à côte, rapporte le «Washington Post» dimanche 4 mai. Une perspective qui glace d’effroi les habitants: «Ils pourraient revenir pour finir ce qu’ils ont commencé.»

Une mère dont la fille a été assassinée se confie sur l'horreur de savoir son meurtrier potentiellement bientôt en liberté: «Il veut aller à la guerre pour éviter d'être puni, non pas pour expier sa culpabilité… nous avons donc peur que rien ne l'arrête et qu'il se venge de nous tous.»

Le front, un foyer de cruauté

Selon le média indépendant Vyorstka, au moins 754 Russes ont été tués ou gravement blessés par des soldats depuis le début de la guerre. Parmi eux, 196 victimes ont été assassinées, un chiffre sans doute largement sous-estimé. Et 76 d’entre elles ont été tuées non pas par d’anciens prisonniers, mais par des militaires démobilisés.

Pour Ksenia Kirillova, analyste au Centre d’analyse des politiques européennes, la guerre est devenue un terrain fertile pour toutes les formes de violence: «Il ne s’agit pas seulement de meurtres ou de cruauté. On parle de crimes commis contre les soldats par leurs supérieurs. Le problème, c’est l’impunité totale.»

En réduisant en miette leurs soldats, les commandants exacerbent le traumatisme causé par l'horreur de la guerre. Ils envoient certains hommes en mission suicide, les frappent, les enferment dans des cages ou les attachent à des arbres. Et quand ces soldats reviennent de la guerre, aucun soutien psychologique ne les attend. Rien que la violence.

A ce cocktail explosif s’ajoute une explosion de la consommation d’alcool: 2,3 milliards de litres en 2023. Un record.

Des familles hantées

Mais les militaires ne sont pas les seuls à porter les séquelles de cette guerre. Pour les familles de victimes, voir les criminels relâchés est une torture.

Oksana Pekhteleva se bat pour que justice soit rendue à sa fille Vera, tuée à 23 ans par son ex-compagnon. Séparée depuis deux mois, Vera était retournée chez lui pour récupérer ses affaires. Les voisins ont appelé la police, entendant ses cris et ses pleurs pendant des heures. Personne n’est intervenu. Elle a été battue, violée, étranglée, poignardée, torturée. Son corps portait 111 blessures.

Condamné à 17 années de prison, le meurtrier de Vera n’en aura purgé qu’une. Il a rejoint le front. Il a depuis été démobilisé. «C’est un cauchemar, un véritable enfer», confie Oksana Pekhteleva. Cette dernière voit souvent des photos du bourreau de sa fille sur les réseaux sociaux en train de faire la fête et de profiter de la vie. 

La famille a tenté de faire barrage: lettres au Kremlin, rendez-vous avec des responsables… Rien n’y a fait. «C'est un meurtrier cruel. C'est un maniaque, et pourtant nous n'avons aucun moyen de savoir où il se trouve.»

Des héros intouchables

Le drame vécu par Vera et sa famille est loin d’être un cas isolé. Plusieurs médias russes indépendants rapportent des histoires d'anciens détenus ayant récidivé après leur libération. Certains sont prêts à repartir sur le front pour échapper, à nouveau, à la justice.

Pendant ce temps, les chaînes officielles en font des héros. Intouchables. Difficile de les critiquer publiquement. Et pour les familles des victimes, aucun recours juridique possible: dès qu’un criminel enfile l’uniforme, la justice s’efface.

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