Nouvelle directive anti-pollution
«L'écocide», ce génocide contre l'environnement, va-t-il entrer dans le droit européen ?

Franz Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, l'a redit mercredi 26 octobre en marge de la présentation du nouveau plan anti-pollution de l'UE: non au crime «d'écocide» dans le droit communautaire.
Publié: 26.10.2022 à 18:18 heures
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Le vice-président de la Commission européenne, Franz Timmermans, l'a redit devant la presse à Bruxelles mercredi 26 octobre: la définition en droit du crime d'écocide prendra du temps avant d'être arrêtée...
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Richard WerlyJournaliste Blick

Les industries polluantes sont-elles en train de gagner la bataille juridique menée contre elles par l’Union européenne (UE)? A priori, la réponse est un «non» catégorique. La preuve? La présentation ce mercredi 26 octobre à Bruxelles, par le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans, du plan communautaire «zéro pollution» dans l’eau et l’air. Lequel vise «à réduire de plus de 75% le nombre de décès prématurés liés aux particules fines d’ici 2032» et à éliminer les polluants dangereux d’ici 2050 dans les 27 pays membres de l’UE.

Pression des normes et des réglementations

Pas question donc, pour l’Union, de relâcher la pression des normes et des réglementations écologiques. «C’est ce que nous demandent les citoyens», a plusieurs fois répété devant la presse le socialiste néerlandais. Sauf que la Commission n’a pas non plus l’intention de franchir la ligne rouge et d’utiliser l’arme massue d’une traduction en droit pénal du crime «d’écocide». Ce terme, brandi de plus en plus souvent par les organisations de défense de l’environnement, désigne la destruction ou l’endommagement irrémédiable d’un écosystème.

Au Parlement européen, les eurodéputés de la Commission ENVI (environnement, sécurité alimentaire et santé publique) ont pourtant réclamé plusieurs fois ce passage à l’acte, qui permettrait de faire comparaître des entreprises ou des individus devant la justice pour des délits de pollution aggravée. Une proposition de résolution déposée le 5 octobre dernier par Saskia Bricmont, eurodéputée écologiste belge, justifie l’insertion de ce crime dans le droit communautaire. «L’Union européenne doit étendre la compétence de la Cour pénale internationale (ndlr: CPI, basée à La Haye) au délit d’écocide», argumente cette élue qui préconise de l’introduire dans une future directive européenne «pour prévenir et poursuivre les crimes transnationaux contre l’environnement les plus sérieux».

La base juridique nécessaire n'existe pas

Qu’en pense la Commission européenne, gardienne des traités et seule à disposer de l’initiative législative communautaire? «Que ce terme d’écocide soit utilisé, y compris par moi-même pour désigner la menace que représente la perte de biodiversité, est justifié, a répondu Franz Timmermans. Mais passer de cette définition politique à une définition en droit peut prendre du temps. Nous n’avons pas, pour l’heure, la base juridique nécessaire, mais nous prenons évidemment très au sérieux la demande du Parlement européen.»

En 2017, le Conseil fédéral avait été interrogé sur le sujet de la criminalisation de «l’écocide» par l’élue verte Adèle Thorens Goumaz. La réponse de l’exécutif reconnaissait alors des lacunes en droit national, qui n’ont pas trouvé réponse depuis: «En Suisse, le droit pénal environnemental consiste presque exclusivement en des infractions constitutives de contraventions et de délits, pouvait-on lire. Il n’existe que peu d’infractions qualifiées de crimes. Le cadre pénal est donc très limité, même en cas de graves délits environnementaux.»

Refus suisse d’étendre la compétence de la Cour pénale internationale

Une extension de compétence de la CPI, dont la Confédération est signataire depuis 1998, avait été écartée: «Pour le Conseil fédéral, il n’y a pas lieu d’élargir le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le fait de causer des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel constitue déjà expressément un crime de guerre. D’autres types de crimes de guerre peuvent également entrer en ligne de compte, étant donné que l’environnement est en principe protégé, de par sa qualité de bien de caractère civil. Les éléments constitutifs du crime contre l’humanité s’appliquent également. La procureure de la Cour pénale internationale entend porter une attention renforcée, dans le cadre légal en vigueur, aux crimes qui ont un impact sur l’environnement.»

Retour en force des industries polluantes

Cette bataille légale autour d’un possible crime d’écocide est toutefois révélatrice des inquiétudes ambiantes sur un retour en force des industries polluantes, sur fond de guerre en Ukraine et des tensions sur le marché des hydrocarbures. L’Union européenne, qui entend mener le combat mondial contre le réchauffement climatique, est ainsi de plus en plus critique du Traité sur la charte de l’énergie, dont la France vient d’annoncer son retrait.

Macron annonce le retrait français de la Charte pour l’énergie:

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Cet accord international conclu en 1994 vise à assurer la sécurité énergétique grâce à des marchés «plus ouverts et concurrentiels». Il a été signé par l’ensemble des États membres de l’Union européenne et les pays de la Communauté des États indépendants de l’ex-URSS, dont la Russie. Il permet aux énergéticiens de demander, devant un tribunal arbitral, des compensations aux Etats dont les législations affectent leur rentabilité. En 2021, le groupe allemand RWE a ainsi entamé des poursuites contre les Pays-Bas, après leur décision de sortir du charbon.

Une version modernisée de ce traité, finalisée en juin, est en cours d’examen, et sa signature était initialement envisagée pour la fin novembre en Mongolie. La Suisse, qui l’a signé, a estimé en 2021 qu’un retrait «irait à l’encontre de ses intérêts». Dossier à suivre…


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