Depuis plus de six mois, des centaines de milliers de citoyens israéliens manifestent dans tout le pays contre un projet de réforme judiciaire controversé. La réforme a désormais été adoptée. 64 des 120 députés ont voté pour. Dans le pays, la situation est explosive. Blick vous propose un tour d’horizon de la situation.
Pourquoi la réforme est-elle controversée?
La Knesset, le parlement israélien, a adopté ce lundi une mesure qui permet d’abolir en grande partie la séparation des pouvoirs et retire à la Cour suprême la possibilité de juger les décisions du gouvernement comme «inappropriées» et de les annuler. C'est sur cette base qu'en janvier le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, avait du démettre de ses fonctions le numéro deux du gouvernement, Arié Dery, condamné pour fraude fiscale.
En dehors de cette situation, cette clause du «caractère raisonnable» a été rarement utilisée par la Cour suprême, affirme Suzy Navot, professeur de droit constitutionnel et membre de l'Institut pour la démocratie israélienne (IDI). «Si la décision du gouvernement est corrompue, alors la Cour intervient», explique-t-elle.
«Il ne s'agit pas d'intervenir dans un domaine politique, ce que la Cour ne fait pas, mais sur le caractère raisonnable des nominations effectuées par le gouvernement ou par un ministre», précise Claude Klein, professeur émérite de droit à l'Université hébraïque de Jérusalem.
L’État d’Israël ne disposant pas d’une constitution, mais d’un recueil de lois fondamentales, la Cour suprême remplit un rôle important dans la préservation de l’État de droit et des droits de l’homme. «Cette loi met un terme à la possibilité pour la Cour suprême d'invalider une nomination du gouvernement, ce qui signifie la fin du recours à la justice contre une décision gouvernementale, explique Claude Klein. Cette décision est extrêmement grave car le gouvernement ou un ministre peut maintenant nommer qui il veut sans contrôle, lui donnant un pouvoir illimité.» Cette mesure s’intègre dans une réforme judiciaire plus large.
Qui est favorable à la nouvelle mesure?
La réforme de la justice a été réclamée en premier lieu par le Premier ministre Benyamin Netanyahou et son gouvernement de droite. Selon eux, la justice s’immiscerait trop dans les décisions politiques. Ils souhaitent renforcer la position du Parlement et du Premier ministre. Mais Benyamin Netanyahou pourrait également poursuivre des intérêts privés. En effet, plusieurs accusations ont été portées contre lui, notamment pour corruption. Un affaiblissement de la justice pourrait ainsi le protéger.
«C'est une grande victoire pour la coalition parce que si cette première loi a été votée malgré les protestations, ce sera plus facile de faire voter la suite», estime Julia Elad-Sternberg, professeur de sciences politiques de l'université Bar Ilan, près de Tel-Aviv.
Que dit l’opposition?
Les négociations entre le gouvernement et l’opposition n’ont pas abouti. Le Parlement a tenté de trouver un compromis lors d’une session marathon de dimanche à lundi. Le chef de l’Etat Isaac Herzog a affirmé sa volonté de trouver un accord. Le chef de l’opposition Yaïr Lapid a, quant à lui, écrit sur Twitter: «Je ferai tout mon possible pour parvenir à un large consensus en faveur d’un Israël démocratique et fort.» Mais cette tentative se révèle aujourd’hui être un échec.
Les opposants à la réforme considèrent les projets du gouvernement comme un danger pour la démocratie du pays. Ils craignent que la nouvelle mesure ne favorise la corruption et le licenciement ou l’occupation arbitraire de postes importants. Amit Becher, président de l’ordre des avocats, avait déjà annoncé avant le vote qu’il s’opposerait juridiquement au texte de réforme s’il était adopté.
Comment réagit la population?
Samedi, près d’un demi-million de personnes avaient déjà participé à des manifestations contre la réforme de la justice dans tout le pays. Des rassemblements ont également eu lieu dimanche et lundi. A Jérusalem, des opposants ont même campé devant la Knesset. Ils mettaient en garde contre l’instauration d’une dictature.
Des partisans de la réforme judiciaire ont également défilé dans les rues ces derniers jours pour montrer leur soutien à, selon eux, un rééquilibrage de la séparation des pouvoirs. A Tel Aviv, des dizaines de milliers d’entre eux se sont rassemblés ce dimanche.
La Histadrout, le plus puissant des syndicats d’Israël, qui compte environ 800’000 membres, a annoncé qu’elle pourrait déclarer une grève générale dans les prochains jours. Une association regroupant les 150 plus grandes entreprises du pays a déjà appelé à la grève lundi.
L’association médicale israélienne prévoit également de protester. Seules les urgences médicales et les soins à Jérusalem feront l’objet d’une exception. Selon ses propres informations, l’association regrouperait environ 95% des médecins. Une courte grève avait déjà eu lieu la semaine dernière, comme le rapporte le «Guardian». Les manifestants s’inquiétaient alors que la réforme de la justice ne «détruise le système de santé». Mardi, les médecins pourraient désormais être rejoints par environ 73% des internes, comme l’annonce l’Intern Doctors Organisation.
L’armée est-elle menacée d’effondrement?
Le chaos règne également au sein de l’armée. Dans un premier temps, environ 4000 réservistes avaient déclaré qu’ils refuseraient de faire leur service militaire volontaire si la mesure était acceptée. Vendredi, plus d’un millier de réservistes de l’armée de l’air s’étaient alors joints à la protestation. 10'000 autres objecteurs de conscience les ont rejoints le lendemain. Dimanche, selon le «Spiegel», des soldats actifs ont aussi annoncé leur intention de refuser de servir.
Le chef de longue date du Mossad, Yossi Cohen, qui comptait autrefois parmi les proches de Benyamin Netanyahou, a publié un appel à stopper la réforme de la justice. Selon le média allemand, une lettre, signée par des centaines de membres de l’armée, a été publiée. Ces derniers mettent également — en vain — en garde contre la réforme.
Israël étant impliqué dans des conflits militaires, un effondrement de l’armée pourrait avoir de graves conséquences. Le chef d’état-major Herzi Halevi a déclaré qu’Israël ne serait alors «plus en mesure d’exister en tant que pays dans cette région». En effet, une armée affaiblie ferait le jeu des ennemis d’Israël.
(Avec l'AFP)