Le cercle polaire, source de tensions
Les grandes puissances se disputent le pouvoir au Nord

Les Etats-Unis renforcent leur présence au Groenland, la Russie envoie de nouvelles troupes vers le Nord, et la Chine mène des recherches avec un agenda cachée. Pourquoi cette vaste étendue glacée devient-elle soudainement le centre des enjeux géopolitiques mondiaux?
Publié: 30.03.2025 à 15:19 heures
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Depuis la base isolée de Pituffik, les Etats-Unis surveillent les trajectoires des avions, entre la Russie et le continent américain.
Photo: keystone-sda.ch
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Chiara Schlenz

Au cœur de l'immensité glacée du Groenland se trouve Pituffik, la station militaire américaine la plus au nord et probablement la plus isolée. Cette station se trouve à 1500 kilomètres de la capitale groenlandaise Nuuk, et à 1207 kilomètres au nord du cercle polaire. Autrement dit, au bout du monde. Le vice-président américain J.D. Vance et son épouse Usha Vance ont d'ailleurs visité l'île, malgré les protestations locales.

Cette région glacée constitue en fait un enjeu stratégique majeur. Il n'est donc pas surprenant que les Etats-Unis, la Russie et la Chine se positionnent dans le Grand Nord. Mais qu'est-ce qui rend cette région si attirante?

La frontière invisible du cercle polaire

D'un point de vue géostratégique, l'Arctique revêt une grande importance. Celui qui y est stationné ne contrôle pas seulement les routes aériennes polaires, mais sécurise également le flanc nord de l'Amérique du Nord. Une vulnérabilité qui a longtemps été sous-estimée.

Depuis la station isolée de Pituffik, les Etats-Unis détectent les lancements de missiles russes, calculent leurs trajectoires et activent en cas de besoin leurs systèmes de défense antimissiles. Les missiles hypersoniques, qui volent à basse altitude et sont difficiles à localiser, rendent le système de détection «Upgraded Early Warning Radar» (radar d'alerte amélioré) à Pituffik indispensable pour la sécurité américaine et européenne.

Une vulnérabilité américaine

«Pituffik est l'œil stratégique de l'Amérique», déclare l'analyste de défense danois Peter Ernstved Rasmussen au «New York Times». L'expert américain Troy Bouffard va même plus loin: il considère que Pituffik est actuellement le site militaire le plus important des Etats-Unis.

La présence américaine sur place reste toutefois limitée: seuls 150 soldats environ sont stationnés en permanence à Pituffik. Ce dernier est le seul site militaire américain situé au sein du cercle polaire, un contraste frappant en comparaison avec les 32 bases militaires russes dans la région. Romain Chuffart, président du Conseil de l'Arctique, souligne un point crucial dans l'entretien qu'il nous accorde: «Son unicité met également en lumière la vulnérabilité de la défense américaine en Arctique.»

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Une approche uniquement axée sur la sécurité comporte le risque d'accentuer les tensions
Romain Chuffart
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Il n'est donc pas surprenant que le président américain Donald Trump veuille non seulement renforcer sa présence dans la région, mais également placer le Groenland sous pavillon américain. Cependant, Romain Chuffart met en garde: «Plus de militaires ne signifie pas forcément que c'est une meilleure solution. Une approche uniquement axée sur la sécurité comporte le risque d'accentuer les tensions.»

Là où les puissances mondiales s'affrontent

Les îles de l'Arctique ne sont pas seulement des éléments stratégiques militaires, elles jouent aussi un rôle crucial d'un autre point de vue. L'Arctique fond, et avec elle, des couches de glace qui étaient impraticables depuis des siècles. Cela ouvre de nouvelles routes maritimes et donne accès à d'énormes réserves de ressources naturelles. Les cinq pays riverains, soit le Canada, la Russie, la Norvège, le Danemark (via le Groenland) et les Etats-Unis (via l'Alaska) se battent de plus en plus agressivement pour ces zones d'influence.

Au cours des dix dernières années, la Russie a modernisé et remis en service plus d'une douzaine de bases militaires le long de sa côte nord. Par ailleurs, la marine russe emprunte de plus en plus fréquemment le passage du Nord-Est pour ses patrouilles militaires. «Bien que la militarisation dans l'Arctique ne soit pas aussi élevée que pendant la Guerre froide, la réactivation par la Russie de bases soviétiques et le développement de sa flotte du Nord ont suscité des inquiétudes légitimes», avertit l'expert.

La Chine s'impose, elle aussi, dans l'Arctique, mais de manière plus subtile. Sous prétexte de coopération scientifique, plusieurs installations de recherche ont été installées, souvent accompagnées de brise-glaces qui pourraient théoriquement être utilisés à des fins militaires. Pékin poursuit sa propre «route de la soie polaire», et aspire à long terme à un rôle de puissance arctique, même si la Chine n'est pas un pays riverain sur le plan géographique.

Une nouvelle Guerre froide?

L'Arctique n'est pas encore une zone de conflit, mais le risque d’un nouveau conflit de type Guerre froide plane... Jeudi, la Russie a clairement évoqué son intention de créer un «contrepoids stratégique à l’OTAN» dans cette région.

Le président Vladimir Poutine a affirmé être ouvert à une coopération économique, y compris avec des partenaires occidentaux, tout en lançant un avertissement sans équivoque: aucune ingérence étrangère ne sera tolérée. Parallèlement, Moscou renforce sa présence militaire dans l’Arctique en y déployant de nouvelles troupes et en testant régulièrement des armes dans ces conditions extrêmes.

Dans cette région hautement stratégique, chaque action, chaque installation, chaque déclaration peut provoquer une réaction en chaîne. Loin d’être une simple étendue de glace immaculée, l’Arctique est devenu un baril de poudre sous une fine couche de givre.

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