Inquiétudes en Italie
L'ombre de la mafia plane sur le projet de pont entre la Sicile et le continent

Le projet de pont entre la Sicile et la Calabre suscite des inquiétudes quant à l'infiltration mafieuse. Matteo Salvini le défend comme un outil de lutte contre la mafia, tandis que des experts craignent qu'il ne profite aux organisations criminelles.
Publié: 11.06.2025 à 11:27 heures
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Les experts craignent l'infiltration de la mafia dans le projet du pont reliant la Sicile au continent.
Photo: AFP
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AFP Agence France-Presse

Le ministre des Infrastructures et des Transports Matteo Salvini (extrême droite) défend le projet pharaonique de pont entre la Sicile et la Calabre comme un outil de «lutte contre la mafia». A l'inverse, des experts et élus locaux craignent qu'elle ne lui profite.

Le pont Messine, dont le coût pour les finances publiques est estimé à 13,5 milliards d'euros, «passe par la création d'opportunités d'emploi et d'espoir pour les jeunes de la région», souligne Matteo Salvini. Mais nombre d'élus locaux et d'experts redoutent que la 'Ndrangheta et la Cosa Nostra, les mafias respectives de Calabre et de Sicile, ne profitent largement de cette manne.

La mafia dans l'économie légale

Car les groupes mafieux se sont adaptés à leur époque en intégrant l'économie légale. Les mafias ne s'imposent plus «avec le fusil, mais se faufilent par d'autres voies, plus sophistiquées», explique à l'AFP Rocco Sciarrone, docteur en sociologie à l'université de Turin, spécialiste de la criminalité organisée.

La mafia a investi l'économie légale via des sociétés écrans, des prête-noms et des réseaux de corruption, unissant «entrepreneurs au visage propre, cols blancs et comptables», illustre-t-il. Sont particulièrement concernées toutes les «prestations à faible complexité technique et ancrées dans le territoire, comme les terrassements, mais aussi la fabrication de ciment et le recrutement de main d'œuvre», poursuit le sociologue.

Des sociétés liées à la criminalité

Mais si par leur «contrôle violent du territoire» les clans peuvent influencer les travaux publics «par le bas», leur ingérence se fait aussi «par le haut, de manière plus insidieuse, notamment à travers la corruption et la mise à disposition de ressources financières». Des infiltrations facilitées par le complexe réseau d'entreprises sous-traitantes employées sur les chantiers.

Les entreprises «propres» remportant les appels d'offre peuvent être forcées d'employer des sociétés affiliées à la criminalité, par exemple «pour l'achat de matériaux» ou «le transport de déchets», indiquait dans un rapport fin mai la Direction nationale des enquêtes antimafia.

Risques et inquiétudes

Le procureur général de Messine a lui aussi mis en garde contre le risque d'infiltration de la mafia dans la construction du pont, mafia dont «le pouvoir se cache derrière les ouvrages publics». Matteo Salvini, principal promoteur du projet, a dit contester l'argumentaire «selon lequel, dans les zones où il y a une présence mafieuse, il vaudrait mieux ne rien faire. Ce serait un forfait de l'Etat.»

De l'argent public destiné au pont risque déjà de finir dans les poches de familles liées à la mafia qui possèdent des dizaines de milliers d'hectares dans les zones concernées par les chantiers. Les indemnités qui seront versées pour l'expropriation ou l'utilisation de ces terrains finiraient ainsi entre leurs mains, selon le journal Il Fatto Quotidiano.

Contrôles et normes

Pour éviter de faire des cadeaux à la mafia, le gouvernement a proposé de placer les expropriations et les entreprises liées aux travaux sous le contrôle d'une structure centralisée de prévention antimafia relevant du ministre de l'Intérieur.

Mais le président de la république Sergio Mattarella a bloqué cette procédure, objectant qu'elle n'est «pas du tout plus stricte que les normes ordinaires» et seulement employée «en cas d'urgence», ce qui n'est pas le cas du pont, dont la construction s'étendra sur presque une décennie.

Selon Rocco Sciarrone, l'Etat devrait miser davantage sur «les capacités d'investigation préventives et d'analyse» pour «mettre la main sur la filière de contrôle des entreprises». Des capacités d'investigations mises à mal par la récente réforme de la justice voulue par le Garde des Sceaux Carlo Nordio, qui limite l'usage des écoutes téléphoniques, poursuit Rocco Sciarrone. «Nous avons une législation d'avant-garde en Italie, mais il faut donner à la magistrature les moyens d'agir», conclut-il.

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