Un rapport alarmant
La France n'est pas un narco-Etat, mais une narco-nation

Notre voisin est de plus en plus submergé par le narcotrafic: tel est le constat d'un rapport officiel alarmant de l'Ofice de lutte contre les stupéfiants. Ce fléau qui touche toutes les couches de la société et alimente une violence inédite.
Publié: 04.08.2025 à 20:02 heures
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Dernière mise à jour: 04.08.2025 à 22:48 heures
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Mohamed Amra, de nouveau arrété le le 22 février en Roumanie, était le trafiquant de drogue le plus recherché de France.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Pas un narco-Etat. Mais une narco-nation. Le visage de la France face au trafic de drogue, tel que le dépeint un rapport tout juste publié de l’Office antistupéfiants (Ofast), est celui d’un pays de plus en plus gangrené par l’argent des stupéfiants, et par l’effet des drogues elles-mêmes.

Avec une inquiétude: l’épidémie de violence liée au narcotrafic va-t-elle finir par déstabiliser les institutions étatiques et installer une méfiance chronique envers les services de police spécialisés. Plusieurs officiers de police ont ainsi été mis en examen en juin à Marseille, présumés coupables d’avoir laissé s’évaporer dans la nature, au profit de leurs indics, 400 kilogrammes de cocaïne.

Pourquoi parler de narco-nation? Parce que tous les segments de la société française sont contaminés. Toutes les régions du pays sont touchées. Et toutes les catégories sociales sont impactées. L’office de lutte contre le trafic de stupéfiants emploie d’ailleurs dans son rapport une expression souvent entendue, mais jusque-là jamais consignée dans un document officiel: celle de «tsunami blanc». Le rapport de 62 pages, révélé par «Le Figaro» et «Valeurs Actuelles», estime que le narcotrafic est une «menace existentielle» pour le pays.

Chiffres sonnants et trébuchants

Le commerce des stupéfiants est devenu «le plus grand marché criminel du pays» avec près de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023. Les saisies record de cocaïne ont augmenté de 130% en 2024 (53 tonnes saisies par les autorités).

On connaît la violence des narcos français, dont certains clans basés à Marseille comme la DZ Mafia ou le clan Yoda – les deux sont des ennemis mortels – emploient des mineurs comme tueurs à gages, moyennant quelques centaines d’euros. On a aussi suivi, ces derniers mois, la traque de Mohamed Amra, le trafiquant de drogue originaire de la région de Rouen, en Normandie, arrêté à Bucarest en Roumanie en février, après une spectaculaire évasion lors de son transfert le 14 mai 2024.

L’assaut mené par ses complices contre le convoi pénitentiaire au péage d’Incarville avait coûté la vie à deux surveillants. 27 personnes, en plus du principal accusé, ont été arrêtées depuis son interpellation. Mohamed Amra, surnommé «La mouche» est l’un des premiers détenus à avoir été transféré ces jours-ci à la nouvelle prison de haute sécurité pour narcotrafiquants à Vendin le Vieil, dans le Pas-de-Calais. Une centaine de places y ont été construites sur le modèle des prisons antimafia italiennes.

Guerres de territoire

L’office en charge de la lutte contre le trafic de stupéfiants sonne la charge: «Nos villes sont désormais le théâtre de guerres de territoires qui se règlent à coups de kalachnikovs ou de grenades», note l’Ofast. Ces trafics sont «la cause de la majorité des violences crapuleuses constatées en France» peut-on lire.

En 2024, 367 assassinats et tentatives liés au narcotrafic ont été recensés. Ces crimes ont entraîné la mort de 110 personnes et en ont blessé 341. 173 villes ont été touchées depuis un an par les homicides sur fond de trafic. Marseille, Grenoble et Toulouse sont les métropoles les plus impactées.

Les interpellations récentes de policiers antidrogue à Marseille ont relancé la crainte de voir la France basculer dans la catégorie des narcos-Etats européens où l’emprise du trafic est telle que les forces de l’ordre, les douanes et l’administration pénitentiaire sont sous pression permanente. C’est le cas en Belgique ou aux Pays-Bas, en proie à la Mocro Maffia, dont les figures de proues sont des trafiquants d’origine marocaine.

Or, en France, un clan comme la DZ Mafia, qualifiée de «menace majeure» dans le rapport, pratique un même type d'entrisme. Ses indicateurs qui repèrent les domiciles des policiers et des surveillants, pistent leurs enfants à l’école et distribuent parfois les enveloppes de billets pour corrompre les dockers. Le fantôme des cartels sud-américains n’est plus très éloigné.

La Suisse aussi visée

Le rapport policier détaille les méthodes de ces groupes qui, depuis la France voisine, s’en prennent aussi à la Suisse. Les narcos sont accusés d’avoir recours aux enlèvements-séquestrations, aux «jambisations» (des attaques violentes ciblant les membres inférieurs dans un but de punition ou d’avertissement) et aux «rafalages» (tirs d’armes à feu en rafale) d’immeubles pour s’approprier un territoire.

Reste la question qui fâche peut-être le plus: celle de la consommation. «S’il y a des dealers, c’est bien parce qu’il y a des consommateurs», a rappelé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. En 2023, 3% des Français avaient déclaré avoir consommé au moins une fois de la cocaïne dans l’année, soit 1,1 million d’usagers contre 600'000 en 2017, selon l’Enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes (EROPP) menée par de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (Ofdt).

Une étude de cette institution l’affirme: «Bien qu’elle concerne dix à quinze fois moins de personnes que le cannabis, la consommation de cocaïne a donc connu un essor important qui s’est accéléré dans la décennie 2010. Recherchée pour ses propriétés stimulantes en contexte professionnel, festif ou sexuel, elle s’est démocratisée.» Quant au cannabis, il reste la drogue la plus consommée en France. L’Ofdt recense 5 millions d’usagers dans l’année; 1,4 million d’usagers réguliers et 900'000 usagers quotidiens.

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