Un «vieux singe» aux «nibards gonflables» qui serait le «binôme couillu» de son mari, président de la République française. Voilà un fragment des messages insultants laissés sur les réseaux sociaux par les dix personnes qui comparaissaient, en début de semaine, devant la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris.
Tous et toutes ont entre 40 et 60 ans, sont insérés socialement. Et tous et toutes s’en sont pris à Brigitte Macron, l’accusant d’être une femme transgenre qui aurait falsifié son état civil.
Une Première dame pas comme les autres
Une rumeur complotiste, née en 2021 avec la publication d’une vidéo d’une «journaliste amateur» et d’une medium qui sera visionnée plus de 500’000 fois avant d’être supprimée. Pour résumer les propos incohérents qui y sont tenus, la vraie Brigitte Macron serait en réalité décédée il y a des années. Et celle qui se tient aux côtés d’Emmanuel Macron aujourd’hui est son grand-frère, Jean-Michel Trogneux, âgé de 80 ans, qui aurait fait une transition de genre.
Désormais, cette théorie abracadabrantesque se propage jusqu’aux Etats-Unis par l’entremise d’une influenceuse d’extrême droite, Candace Owens, que le couple Macron a également attaqué en justice. Pour y avoir activement contribué, les dix prévenus entendus cette semaine sont visés par des réquisitions allant de trois à douze mois de prison avec sursis. Le délibéré sera rendu début janvier.
Que cette affaire éclate à ce moment-là, contre cette «Première dame» – la formule est abusive, les conjointes des présidents de la République n’ayant aucun statut officiel en France – ne doit rien au hasard. Brigitte Macron occupe une place à part dans la galaxie des épouses de chefs de l’Etat. De par son âge, son histoire intime avec le président mais aussi son engagement à ses côtés, qui va bien plus loin que celui de celles qui l’ont précédé, et se révèle bien plus politique, l’ancienne professeure de Français est une cible idéale.
Un couple «pas tout à fait normal»
Dès le départ, le couple que la septuagénaire forme avec Emmanuel Macron ne peut qu’interpeller. Tous deux ont 24 ans de différence. Statistiquement, c’est rarissime: les derniers chiffres publiés sur le sujet par l’Insee, l’institut national chargé de ce genre d’études chez nos voisins, montrent qu’en France, l’homme est plus jeune que sa femme dans seulement un couple hétérosexuel sur dix. Mais surtout que l’écart d’âge moyen n’est que de quatre ans.
Ce qui pourrait n’être qu’un détail a en réalité son importance. Emmanuel Macron l’admet lui-même le jour de son mariage, le 20 octobre 2007, devant ses deux témoins, Henry Hermand et Marc Ferracci, aujourd’hui député des Français de l’étranger en Suisse: lui et Brigitte forment «un couple pas tout à fait normal». Lorsqu’ils se rencontrent, en 1993, il n’a que quinze ans, elle 39. Elle est sa professeure de théâtre au lycée de la Providence d’Amiens, ville du nord de la France dont ils sont tous les deux originaires.
Il faut imaginer l’émoi que ce rapprochement suscite au sein de la bourgeoisie amiénoise dont font partie les parents de Brigitte, alors mariée à André-Louis Auzière, et qui s’en sépare en 1994. Le père de la professeure tient une pâtisserie réputée. «C’est l’histoire complexe d’une femme qui va quitter sa famille pour un jeune homme qui a 24 ans de moins qu’elle. À la pâtisserie d’Amiens, les clients posent des questions», raconte à BFMTV la journaliste Sylvie Bommel, journaliste et autrice d’une biographie de la Première dame.
Maëlle Brun, journaliste people qui a elle aussi retracé le parcours de Brigitte Macron dans un livre, confirme auprès de RMC: «Elle faisait partie de la bonne société amiénoise. Ses amis lui ont tourné le dos mais elle s’est également d’elle-même mise en retrait.»
Un storytelling verrouillé
Cette histoire d’amour peu conventionnelle explique en partie les rumeurs complotistes sur la transidentité fantasmée de celle qui a aujourd’hui 72 ans. D’abord parce qu’elles ont poussé le couple Macron à verrouiller toute communication. Sylvie Blommel raconte ainsi avoir été appelée par l’entourage d’Emmanuel Macron lorsqu’en 2016, elle enquêtait déjà, à Amiens, sur Brigitte Macron. Dans les équipes de celui qui n’est alors que candidat à la présidentielle française, on souhaite maîtriser le storytelling autour de leur rencontre.
Celui-ci n’est pas forcément aisé à mettre en place. Comment justifier une romance entre un mineur et sa professeure? Officiellement, leur idylle n’a réellement commencé qu’après la majorité d’Emmanuel Macron. «Petit à petit, il a vaincu toutes mes résistances. Avec patience», racontera Brigitte dans un documentaire sur son époux réalisé par Pierre Hurel. Maëlle Brun nuance: «On ignore quand cela a commencé, c’est un tabou.» Toujours est-il que cette communication verrouillée ouvre déjà la voie aux théories les plus farfelues.
Sexisme et âgisme
Mais celles-ci sont surtout calquées sur des représentations sexistes et âgistes. Pour le dire crûment, c’est aussi parce que ces représentations conduisent à penser qu’aucun homme ne peut être attiré par une femme beaucoup plus âgée que lui, et certainement pas au point de vouloir l’épouser, qu’on cherche une autre explication à l’existence de ce couple.
Pendant la campagne présidentielle de 2017, puis plusieurs années du premier mandat d’Emmanuel Macron, le tout Paris bruisse d’une rumeur sur une supposée relation homosexuelle entre lui et Mathieu Gallet, alors PDG de la société nationale Radio France. «La rumeur du Macron homosexuel et celle sur Brigitte ont la même racine: il y a quelque chose d’inexplicable dans cette histoire», analyse Sylvie Blommel. «Comment une femme peut-elle être amoureuse d’un garçon de 24 ans de moins qu’elle? Si Macron est homosexuel, alors ce couple n’en est pas un. Si Brigitte est un homme, ce couple n’en est pas un non plus.»
Une «cagole»?
Sans aller jusqu’à verser dans le complotisme, de nombreuses personnalités ont visé le physique de Brigitte Macron. En juillet 2017, alors qu’il est reçu à l’Élysée, Donald Trump ne manque pas de faire une bourde, sous couvert de compliment. «Vous êtes tellement en forme», lance-t-il en désignant son corps, comme s’il était surpris, à une Brigitte Macron qui ne laisse rien paraître.
La différence d’âge dans le couple présidentiel français est pourtant…exactement la même que celle entre le président américain et sa femme, Melania. En 2019, dans un contexte de fortes tensions diplomatiques entre Paris et Brasilia, le ministre de l’Économie brésilien dit tout haut que la Première dame française «est vraiment moche».
Dans la presse, le «Financial Times» la traite de «cagole», «Charlie Hebdo» la dessine enceinte en légendant qu’Emmanuel Macron est capable de faire des miracles, et de nombreux articles la désignent comme une «cougar». Un terme utilisé pour pointer du doigt les femmes qui se mettent en couple avec des hommes plus jeunes, et qui n’a pas d’équivalent au masculin – alors que la situation inverse est bien plus courante.
Une femme d’influence
L’âge de Brigitte Macron pousse souvent à la comparer aussi à une mère pour son président de mari. Il s’agit, là encore, de sexisme, comme l’explique le sociologue Eric Fassin dans les colonnes du «Parisien»: «Derrière l’homme de pouvoir, il faudrait toujours chercher la femme. Et de nous expliquer que l’épouse aurait de l’influence, trop suggère-t-on, sur l’époux qu’elle a rencontré quand il était son élève.» Ce narratif est également encouragé par le rôle que Brigitte Macron a choisi de jouer auprès d’Emmanuel. Car celui-ci diffère quelque peu de celles qui l’ont précédée.
Si l’Elysée emploie deux collaborateurs pour gérer son agenda et ses relations avec la presse, ainsi que deux assistantes à temps partiel, pour un coût annuel d’environ 310’000 euros, la Première dame n’a toujours ni rémunération, ni frais de représentation.
Mais en coulisses, son couple fusionnel ne fonctionne pas sans elle. Emmanuel Macron lui fait relire tous ses discours, l’appelle plusieurs fois par jour pour discuter des affaires courantes et lui demander son avis. Elle analyse et débriefe toutes ses allocutions, toutes ses interventions médiatiques. On lui prête également une grande influence dans son domaine de prédilection, l’école.
C’est elle, d’ailleurs, qui a repéré dès 2016 Jean-Michel Blanquer, celui qui deviendra le premier ministre de l’Éducation nationale du président en 2017. Elle, aussi, qui a fait passer des entretiens pour trouver un nouveau communicant à l’Élysée en 2019, comme le raconte «Le Monde».
Donnée plus conservatrice que son époux par de nombreux politiques français, elle s’en défend auprès du même journal. Mais entretient des liens étroits avec Nicolas Sarkozy, échange avec l’animateur phare des médias ultra-droitiers Pascal Praud et s’attire les faveurs de Philippe de Villiers, ex-député européen classé lui aussi très à droite. «Brigitte, c’est la bourgeoisie catholique de province, celle qui célèbre les valeurs de la France conservatrice: l’effort, la stabilité sociale, le temps long», célèbre-t-il.
Renverser les narratifs
Avec cette épouse qui ne ressemble à aucune autre, cette Première dame qui ne se cantonne pas aux associations caritatives mais donne son avis sur tout, l’enjeu pour le couple Macron est souvent de renverser les narratifs. En 2022, alors que son mari est en campagne pour sa réélection, Brigitte se fait toute petite pour, surtout, ne pas donner l’impression qu’elle tire les ficelles.
Leur couple a aussi été l’occasion, pendant la première campagne présidentielle, de «raconter une histoire politiquement utile», comme le résume Eric Fassin. «'J’ai su, dans ma vie privée, m’arracher aux normes'; de même, 'dans ma vie publique, je ne suis pas un président normal: je transcende les normes politiques'.»
Mais ces communications bien rodées, qui se jouent en une de «Paris Match» ou dans des documentaires télévisés, ne fonctionnent pas contre la bourrasque du complotisme distillé principalement en ligne. Celui-ci, alimenté aussi par un mécontentement social – le mouvement des «gilets jaunes», apparu en 2018, a beaucoup participé de la propagation de rumeurs sur le couple présidentiel – ne se satisfait d’aucune réponse rationnelle.
«Le mot d'ordre, c'est d'attaquer»
Dès lors, «le mot d’ordre, c’est d’attaquer», résume auprès de BFMTV Tristan Bromet, directeur de cabinet de Brigitte Macron. «Elle a choisi la justice, donc elle a déposé plainte.»
En France, le jugement des dix prévenus entendus cette semaine à Paris sera donc connu en février prochain. Par ailleurs, la «journaliste» et la médium responsables de la toute première vidéo à lancer la théorie d’une Première dame transgenre ont été condamnées en première instance pour diffamation, puis relaxées en appel, au motif qu’être qualifié de personne trans n’est pas une atteinte à l’honneur ou la considération.
Cette affaire judiciaire-là se résoudra en cassation, la plus haute juridiction française. Enfin, aux Etats-Unis, les conseils du couple Macron espèrent un procès rapide, dès 2026, pour faire condamner Candace Owens.