Des bars à strip-tease à Coachella
Comment Lady Gaga s’est imposée en bête de scène survoltée

La chanteuse pop a enflammé la scène du célèbre festival de Coachella avec l’un de ces shows extravagants (et plus politique qu’il n'y paraît) dont elle a le secret. Mais Lady Gaga revient de loin.
Publié: 19.04.2025 à 08:42 heures
Stefani Germanotta a créé Lady Gaga, un spectacle à elle seule.
Photo: Kevin Mazur/Getty Images for Coa
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Elle est arrivée sur un lit de mort, entourée de danseurs masqués, dans une ambiance spectrale. A feint le trépas, bruits de battements de cœur au ralentis à l’appui. Puis s’est soudainement réveillée sur les premières notes de «Bad Romance». Vendredi 11 avril, Lady Gaga a enflammé la scène du célèbre festival de Coachella, en Californie. Et si on n’en attendait pas moins de cette performeuse hors pair, qui a habitué son public à des shows incroyables, dans lesquels la pyrotechnie, les vocalises, les costumes et les chorégraphies impressionnent, la chanteuse a tout de même réussi à surprendre.

Que ce soit en dansant avec un squelette ou en disputant une partie d’échecs géants, perchée au sommet d’une immense crinoline ou seule au piano, Lady Gaga a livré une prestation hors norme devant ses «little monsters», les «petits monstres» comme se surnomment ses fans, qui n’aiment rien tant que la voir sortir des sentiers battus. Il faut dire que depuis son premier album, «The Fame», en 2008, la chanteuse joue la carte de la différence, voire de l’anomalie. Parce que le début de son parcours a été semé d'embûches, qu’elle a mis du temps à faire accepter son style (et son physique) dans une industrie formatée, la New-yorkaise ne compte plus le lâcher. Et l’utilise même pour faire de la politique.

Des débuts contrariés

Si quelqu’un avait dit à Stefani Germanotta en 2005 qu’elle deviendrait cette superstar, sans doute ne l’aurait-elle jamais cru. À 19 ans, la jeune femme est bloquée entre ses grandes ambitions et un monde qui se refuse à elle de la plus douloureuse des manières. Son envie de musique est si forte qu’elle a abandonné ses études d’arts plastiques pour s’y consacrer pleinement. Mais toutes ses auditions pour des comédies musicales se passent mal.

Pour joindre les deux bouts, elle travaille comme serveuse dans des bars à strip-tease, puis comme go-go danseuse. «J’étais nue dans un bar avec des billets accrochés à mes seins et mes fesses», résume-t-elle sans détour au «New York Mag». Lorsqu’elle signe enfin avec un label, le contrat est annulé rapidement: sa musique ne plaît pas. Dévastée, Lady Gaga fait alors un choix crucial en renonçant à une partie de son avance (850’000 dollars tout de même) pour garder les droits sur ses titres déjà partiellement produits. Parmi ceux-ci figure «Paparazzi», qui sera son quatrième single à se classer dans le top 10 des charts américains.

C’est aussi à 19 ans que Lady Gaga commence à expérimenter du stress post-traumatique à la suite d’un viol, commis par un producteur. Des années plus tard, elle s’en ouvrira aux médias. «J’ai presque essayé de l’effacer de ma mémoire», confie-t-elle à «Vogue». «Et quand cela a fini par sortir, c’était comme un énorme monstre affreux. Et il faut affronter le monstre pour guérir.» Ces révélations éclairent de manière différente sa musique, notamment la chanson «Til it happens to you», qui dénonce clairement les violences sexistes et sexuelles – elle est au départ utilisée dans un documentaire sur le sujet.

La technique Warhol

Pour percer, Lady Gaga va suivre tous les conseils que lui donne l’industrie musicale, à commencer par ceux des producteurs Rob Fusari et Vincent Herbert: pas question de se pointer aux enregistrements en tenue de sport et mieux vaut qu’elle se teigne en blonde. Terrifiée à l’idée qu’on la trouve trop laide, la chanteuse ne mange qu’une fois par jour pour maigrir et obéit immédiatement en raccourcissant ses vêtements et en changeant la couleur de ses cheveux. Elle pense aussi surtout à faire refaire ce nez que tout le monde lui dit trouver trop imposant pour espérer tourner le moindre clip ou monter sur scène.

Puis, elle lit Andy Warhol et c’est une révélation: comme le pape du pop art, elle décide que travailler sur le contenu est vain si on ne se concentre pas sur le contenant. De la même façon que le nom Warhol est devenu une marque, Stefani Germanotta doit être un spectacle à elle-seule. Chanter bien ne suffit pas. Il faut marquer les esprits. En travaillant sur une chanson aux accents dance, Lady Gaga embauche aussi une chorégraphe et une équipe créative pour imaginer tout un univers qui va avec. Un univers dans lequel elle est donc blonde, vêtue d’argenté et s’expose sans limite. «Son physique quelconque a été le moteur de son ambition», analyse le couturier Jean-Paul Gaultier, qui lui a consacré un documentaire, dans «Paris Match». «Elle a surmonté ses complexes par de l’exhibitionnisme.»

Lady Gaga ne le sait pas mais elle s’apprête à changer de vie. Le rappeur Akon, l’un des artistes du label Interscope, entend sa maquette et crie avoir trouvé la nouvelle Madonna. Ce fameux titre, c’est «Just Dance». Un succès mondial dès sa sortie, en 2008, même si les États-Unis mettront une bonne année avant de l’écouter.

Un spectacle à elle seule

À partir de là, Lady Gaga accélère et va très vite. Tous ses singles sont accompagnés de clips originaux, façonnés avec la «Haus of Gaga», un collectif qui travaille sur ses tenues et son univers visuel en général. Lorsque sort le single «Paparazzi», qui commence comme un film d’Alfred Hitchcock avant que la diva ne se réinvente dans des looks futuristes, le monde de la mode n’en revient pas. «Soudain, tous les designers de la planète s’échangeaient des photos d’elle», raconte un ancien membre de la «Haus of Gaga» au «New York Mag».

https://www.youtube.com/watch?v=d2smz_1L2_0

Lady Gaga n’en restera évidemment pas là: entre robe en viande et maquillage gothique, bodys à paillettes portés sans rien d’autre et lunettes d’un mètre d’envergure, la star applique rigoureusement la stratégie d’Andy Warhol pour devenir célèbre. Son amour de la performance lui vient de son plus jeune âge: même si elle apprend seule le piano à 4 ans, Stefani Germanotta veut d’abord être actrice et tente d’intégrer une célèbre école américaine d’acting alors qu’elle n’a qu’une douzaine d’années. Adulte, la voilà donc arrivée au point où elle peut tout faire, pousser de la voix et jouer en même temps. Et qu’importe si son jusqu’au-boutisme (c’est-à-dire ses costumes extravagants et les pianos XXL qui apparaissent sur scène comme par magie) lui fait perdre à l’époque quelque 3 millions de dollars par tournée.

Photo: KEYSTONE

Être une bête de scène en ne se contentant pas de recycler ce qu’a fait Madonna avant, cela demande de la culture. Lady Gaga aime travailler la sienne. Un saut à Paris est toujours l’occasion d’aller au musée s’inspirer des plus grands. Elle commence à fréquenter les bras de drag queens pour s’en inspirer. L’artiste collectionne aussi les pièces de couturiers, notamment Thierry Mugler, Yves Saint-Laurent et Alexander McQueen, et achète aux enchères des bijoux de designers. «C’est ça qui a changé le game avec elle: elle a fait passer toutes les autres artistes pop pour des flemmardes», avance Guenael Geay, ancien directeur marketing international chez Universal, en charge notamment de Lady Gaga, dans le podcast «Têtu bavarde». Ce faisant, la chanteuse construit son personnage mais, surtout, s’achète de la tranquillité: personne n’attend d’une personnalité aussi atypique qu’elle se fasse effectivement refaire le nez.

Le marketing est devenu politique

Ce pas de côté, chez Lady Gaga, est évidemment une stratégie marketing – Andy Warhol l’admettait totalement – mais aussi, aujourd’hui, un levier politique. Son titre «Born this way» résume à lui seul le projet: mener, grâce à la musique, vers l’acceptation de soi. Ce hit, sorti en 2011 sur l’album éponyme, hurle ainsi qu’il n’y a «pas d’autres façons d’être» puisque «je suis née ainsi». «Beaucoup de tubes pop prônent l’empowerment. Mais ‘Born this way’ a un aspect plus revendicatif et a vraiment cristallisé son statut d’icône queer», note Guillaume Moglia, créateur de contenus spécialisé dans la pop, pour le podcast «Têtu bavarde».

Immédiatement adoptée par nombre de personnes LGTB+, la chanson vient s’ajouter au discours inclusif qu’a toujours tenu la chanteuse, qui est aussi la première superstar à avoir inclus le terme «trans» dans une chanson. Que ce soit pour encourager à surmonter le harcèlement – qu’elle a elle-même subi à l’école – ou pour dénoncer les discriminations dont les minorités sont victimes.

Photo: KEYSTONE

Celui-ci n’a jamais été aussi fort que sous l’Amérique de Donald Trump. En 2017, alors qu’il vient d’être élu, elle est chargée du mythique concert de la mi-temps du Super Bowl. Et enchaîne l’hymne américain avec un appel à aimer tout le monde, avant d’entonner très vite «Born this way». Lors de la dernière cérémonie des Grammy Awards, en février, la chanteuse a pris la parole pour défendre, comme elle l’a toujours fait, les personnes trans. «Elles ne sont pas invisibles», a-t-elle déclaré alors qu’elle venait récupérer sur scène le prix de la meilleure performance vocale en duo avec Bruno Mars. «Les personnes trans méritent de l’amour, la communauté queer mérite d’être soutenue.» Des paroles bien plus frontales que nombre de celles de superstars de la musique.

Lady Gaga, loin d’un personnage

Mais l’extravagance, même choisie, est aussi plombante. De Lady Gaga, on a tout dit, mais surtout qu’elle en faisait trop. Et si cette volonté perpétuelle de choquer n’était qu’un artifice pour camoufler un manque de talent? Certains ont osé avancer cette éventualité. On pourra leur rétorquer qu’il faut vraiment n’avoir jamais écouté un piano-voix de la chanteuse pour douter de ses capacités. Et qu’elle a, par ailleurs, souvent été la seule actrice à sauver dans des films ennuyeux («A Star is born»), moyens («House of Gucci»), voire catastrophiques («Joker: folie à deux»).

Photo: IMAGO/ZUMA Press

Mais c’est encore elle qui se défend le mieux, d’abord dans «Vogue»: «Je ne suis pas une marque.» Son meilleur plaidoyer pour la sincérité est sûrement donné au «New York Mag»: «Lady Gaga, c’est mon nom. Si vous me connaissez, et que vous m’appelez Stefani, alors vous ne me connaissez vraiment pas.»

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