Rencontre avec un monument
La légende du ski Roland Collombin: «Ma rééducation, c’est ma famille!»

L'icône du ski Roland Collombin se remet de son opération du foie chez lui, en Valais. Il se bat contre un cancer au moyen d'une chimiothérapie. «Je ne suis pas encore prêt à mourir», lance-t-il. Rencontre avec un monument.
Publié: 21.09.2025 à 09:01 heures
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Dernière mise à jour: 21.09.2025 à 09:06 heures
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Roland Collombin avec son épouse Sarah, sa fille Emmanuelle et son fils Pierre dans sa maison de Versegères (VS).
Photo: Sedrik Nemeth
Peter Rothenbühle (texte), Sedrik Nemeth (photos)
Schweizer Illustrierte

Après son opération et trois semaines d’hospitalisation à Winterthour, Roland Collombin aurait dû se rendre directement à la clinique de rééducation de Crans-Montana. Mais «La Colombe» ne s’est jamais laissé dicter sa conduite: «Ma rééducation, c’est ma famille! A l’hôpital, je ne pouvais guère dormir, mais à la maison, je dors bien. Ce dont j’ai besoin, ce sont les délicieux feuilletés de la cuisine de ma femme Sarah», dit-il en riant. «Aujourd’hui, j’ai enfin pu bien manger, il y avait du poisson», se réjouit-il. En raison d’une infection qu’il a ramassée à l’hôpital, il a eu des complications gastriques. «J’ai vécu l’enfer. Mais maintenant, ça va mieux.»

Ici, c'est le chef qui sert. Dans son restaurant «La Streif» à Martigny, Roland sert de la raclette. Son épouse Sarah veille à ce qu'il ne se fatigue pas trop.
Photo: Sedrik Nemeth

C’est aussi parce que son «clan» veille désormais à ce qu’il ne manque de rien. Sa femme Sarah, avec laquelle il est marié depuis 40 ans, sa fille Emmanuelle, qui tient un studio de Pilates à Sion, et son fils Pierre, ébéniste. Certes, l’ancien athlète a perdu 14 kilos à cause de son cancer du foie, «surtout de la masse musculaire, mais j’avais un peu de réserve», se marre-t-il. Il est toutefois hors de question de boire une gorgée de Fendant ou d’alcool désormais. Il reçoit toujours ses invités dans son carnotzet, la pièce la plus importante de sa maison en Valais. Il y sert du vin blanc, mais pour lui, il n’y a que de l’eau du robinet. «Quand tout sera terminé, je reprendrai une vie normale, comme avant», dit-il en se projetant.

Lorsque le vainqueur de la descente de Kitzbühel en 1973 s’ennuie, il descend de son domicile de Versegères à Martigny-Bourg, dans son petit restaurant «La Streif», situé dans la ruelle que l’on surnomme Rue de la Soif. Il y racle quelques raclettes pour ses clients. Ensuite, il se met au volant de sa Porsche bleue: «Ce n’est pas une voiture électrique, non, une vraie voiture», lance-t-il. Il remonte jusqu’à la maison de ses parents et grands-parents. C’est là qu’il est venu au monde et qu’il a toujours vécu depuis. Roland Collombin prend les virages avec autant d’entrain qu’un pilote de rallye. Mais si faire du rallye était autrefois son rêve, son médecin s’y est opposé à cause de son dos.

Roland Collombin aime prendre les virages avec sa Porsche flambant neuve.
Photo: Sedrik Nemeth

Tumeurs au foie

L’année dernière, l’icône du ski a reçu un diagnostic de cancer du foie. Sa fille Emmanuelle a alors demandé à Antoine Hubert, ami et propriétaire du groupe de cliniques Genolier, de lui trouver le meilleur chirurgien. C’est ainsi qu’on lui a recommandé Pierre-Alain Clavien, un Valaisan qui opère à Winterthour. Depuis, l’opération est terminée et les pronostics sont positifs.

«Les gens ont dit: 'C’est comme ça, si tu bois trop d’alcool, c’est le foie qui se détériore.' Mais mon médecin a examiné mon foie de près. Si une cirrhose s’est déjà développée, ils ne t’opèrent plus. Mon foie n’a pas de cirrhose, il est fonctionnel à 87%. On a juste dû enlever quelques petites tumeurs sur le foie», explique l’ancien skieur. Pour la chimiothérapie, on lui a placé une petite pompe dans le ventre, où une charge ciblée de médicament était directement dirigée sur le foie. «Le foie continue à se développer même à un âge avancé. Deux semaines seulement après l’opération, il était régénéré», explique sa fille Emmanuelle.

Roland Collombin lors de la descente hommes 1974 à Kitzbühel.
Photo: SI

Dans sa clinique de rééducation personnelle, c’est-à-dire son carnotzet, la famille organise des soirées raclette avec des amis ou des cars entiers de touristes qui viennent rendre visite au phénomène Collombin. Les murs sont couverts de trophées, de chopes et de médailles. Les skis de descente Rossignol de 2,23 mètres occupent une place de choix, preuve de la fidélité du Valaisan à sa marque.

«Je veux rester mon propre patron»

Pourquoi n’a-t-il jamais décroché de juteux contrats publicitaires, comme ses concurrents? «Je ne voulais pas», lance-t-il simplement. Ou manquait-il de talent pour négocier avec les entreprises? «Les deux! Ni envie ni talent», dit-il en riant. «L’agence McCormack m’avait déjà contacté lorsque j’étais à la clinique pour paraplégiques de Bâle, chez le Dr Guido Zäch, après mon accident en 1975. Je leur ai dit que je ne voulais rien savoir de tout ça, que je voulais rester mon propre patron», se souvient-il.

Depuis, il est effectivement son propre patron. Il poursuit de manière indépendante la distribution de boissons de son père Maurice. Non pas qu’il n’ait pas gagné d’argent avec les courses de ski. «500’000 par an, c’est pas mal», reconnait-il. Cela lui a suffi pour acheter un petit restaurant dans le village, qu’il a appelé «La Colombe» et qu’il a depuis transmis.

Il lance un coup d’oeil à sa fille Emmanuelle et dit: «Maintenant, j’ai quand même une patronne.» Il est reconnaissant qu’elle s’occupe de sa santé. Son épouse Sarah lance: «Il a même deux patronnes!»

«Un aimable loustic»

Sa carrière de skieur fut courte: d’abord champion du monde de descente chez les juniors, il a ensuite enregistré dix victoires en descente, l’argent olympique à Sapporo et, en 1974, il a gagné les quatre classiques de Wengen, Garmisch, Avoriaz et Kitzbühel. Il a aussi décroché le globe de cristal en 1973 et 1974. Puis vinrent les deux chutes lors de courses d’entraînement à Val d’Isère, deux fois au même endroit. Le lieu s’appelle depuis «la bosse à Collombin». Sa carrière était terminée.

Roland Collombin habite depuis toujours dans la même maison en Valais.
Photo: Sedrik Nemeth

«Je ne m’en souviens plus, j’ai tout oublié», assure Roland Collombin. En réalité, il sait exactement ce qui s’est passé là-bas. Il est fier de ces deux années de succès: onze podiums en deux ans, c’est extraordinaire. Quel était son secret? «Je dis toujours qu’il faut être intelligent, avoir un bon feeling. Je n’ai pas eu besoin de rester une heure sur la piste pour savoir où descendre. C’était mon talent.» Et qui étaient ses pires concurrents? «Je n’ai jamais vu de concurrence, j’ai juste fait mon truc.» Russi? «Il était mon modèle, il est plus âgé, je lui ai demandé conseil et tout à coup, je me suis retrouvé devant lui.» Que dit-il de Marco Odermatt, le héros moderne du ski suisse? «Il est magique. C’est comme moi un bon vivant, il aime faire la fête et a aussi ce feeling. Je ne pense pas qu’il puisse expliquer lui-même pourquoi il est si bon.»

Sans accident, Roland Collombin serait probablement entré dans l’histoire comme le meilleur descendeur suisse de tous les temps. Les experts sont unanimes sur ce point. «Il aurait certainement remporté l’or aux Jeux olympiques de 1976, c’est un vrai malchanceux, mais il a toujours été un fonceur et tout simplement un adorable loustic», déclare l’ancien conseiller fédéral Adolf Ogi, qui a mené les Suisses au succès en tant que responsable de la Fédération de ski à Sapporo. La raison pour laquelle il a skié de manière si instinctive, s’est toujours tenu correctement sur les skis, mais ne s’est jamais entraîné autant que ses collègues, reste un mystère.

«Je ne voulais pas suivre les ordres»

«Je trichais un peu avec l’entraînement», explique le principal intéressé. «Je m’entraînais dur, mais seulement à la maison, jamais sur ordre dans le groupe!» À l’école de recrues déjà, il faisait tout pour se faire virer. «Alors au bout de deux mois, j’ai reçu une lettre de la Fédération de ski qui me menaçait de me virer, pas de l’armée, mais de la Fédération de ski!»

Lorsque sa maladie a été révélée, il a déclaré dans la presse qu’il avait peur de mourir. Il précise aujourd’hui: «Je n’ai pas peur, mais je ne veux pas mourir maintenant, car il y a encore tellement de choses à vivre. J’ai reçu une lettre me disant que Jésus m’attendait. Merci beaucoup!» Va-t-il allumer un cierge à l’église? «Pas encore! Je ne suis pas très croyant…» Comment résumerait-il sa vie? «J’ai profité au maximum et j’espère que cela continuera encore un certain temps.»

La prochaine étape pour lui sera de participer au Toni Sailer Golf Memorial en Autriche, où il se rendra avec son fils, meilleur golfeur que lui. «Je ne suis pas très bon sur le terrain de golf», avoue Roland, «j’y vais seulement pour rencontrer des gens.» Là encore, il prononce ces mots avec ses yeux brillants et un magnifique sourire. Mais il est l’heure de la sieste. Fatigué, il entre dans le salon, s’assoit sur le canapé devant la télévision et s’endort aussitôt.

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