Au téléphone, on sent le mélange d'impatience et d'excitation dans la voix de John Nicolet. Dans quelques heures à peine, le journaliste de la RTS aura son casque vissé sur les oreilles, dans une cabine à Sölden. Ce week-end, le ski alpin – le «sport de cœur» du Fribourgeois établi en Valais – fait son retour en Autriche.
Celui qui a débuté lors de la saison 2014/15 va donc vivre son 12e exercice à l'antenne – avec toujours la même passion. Interview de l'homme qui commente également les compétitions d'athlétisme pour la chaîne publique.
John, tu vis un âge d'or au niveau de l'athlétisme, tout comme au niveau du ski suisse. J'imagine que tu es plutôt épanoui dans ton job actuellement?
Oui, c'est clair. Je me considère comme vraiment privilégié, parce que les résultats des athlètes suisses et des skieurs suisses participent à mon bonheur dans mon travail. Souvent, ça veut aussi dire plus de travail, parce que dès qu'il y a un succès, il y a plus de choses à écrire ou des interviews à faire. Mais c'est du bon travail, qui fait plaisir. Je ne peux pas être plus épanoui qu'à l'heure actuelle.
Tu remarques parfois des similitudes entre ce que tu fais pour l'athlétisme et pour le ski, surtout au niveau de ta préparation?
C'est totalement différent. Le ski alpin, je le suis toute la saison, ce qui me permet d'être au plus proche de l'action. Je la vois un peu comme une série Netflix: chaque week-end de Coupe du monde est un épisode qui a sa propre histoire, tout en faisant partie d'un récit global. Je suis vraiment dans cette optique de comprendre tout ce que les skieurs font d'une course à l'autre, comment ils se préparent, les fluctuations dans la saison, les courbes de forme, l'évolution du matériel. Il y a vraiment un suivi très proche.
Et en athlétisme?
C'est impossible, puisque je ne couvre pas tous les événements. Il y en a tellement, et aussi tant de disciplines et d'athlètes différents, que je suis presque plus en mode survie, à me dire: «Bordel, est-ce que je vais être suffisamment prêt?». Typiquement, lors des Championnats du monde, j'ai vu défiler des centaines d'athlètes.
Mais y a-t-il des similitudes?
Oui. Ce sont deux milieux où on a encore accès aux athlètes suisses. On peut leur parler et on a vraiment des infos qui viennent de la source. Les gens sont encore très terre à terre, proches du public et des médias.
Ce week-end, c'est le retour de la Coupe du monde à Sölden. Comment t'y es-tu préparé?
Ma préparation commence dès que les skieurs recommencent la leur. Je vois passer des posts de leurs entraînements sur Instagram, des news concernant les transferts au niveau des marques, etc. Je ne lâche jamais vraiment. En temps normal, je commence à préparer mes fiches début septembre mais, avec les Mondiaux d'athlétisme (ndlr: du 13 au 21 septembre), j'ai dû retarder ma préparation.
À quoi ressemblent ces fiches concrètement?
Pendant longtemps, j'ai fonctionné sur papier. Maintenant, j'utilise un programme de notes et j'ai une page par athlète que je complète au fur et à mesure de sa carrière. J'ai plusieurs tableaux. Celui de la «saison», avec des infos de base sur la préparation et les dernières nouvelles. Après chaque course, je note ce qui s'est passé pour cet athlète: pas seulement le résultat, mais comment il l'a obtenu ou comment il a été éliminé.
Et les autres tableaux?
Il y a les informations basiques: palmarès, bio avec infos sur son parcours, sa vie, son œuvre. Et j'ai aussi des tableaux par station. Je vois, par exemple, qu'il y a des athlètes plus à l'aise en descente, à Bormio ou Kitzbühel, parce que ce sont des courses très difficiles. Et d'autres qui performent mieux sur des pistes plus faciles, comme à Wengen.
On arrive au week-end de course. Comment te prépares-tu?
Il y a plusieurs moments où j'ai accès aux gens. J'ai la chance de pouvoir faire la reconnaissance des courses, ce qui n'est pas le cas de tous les journalistes. Le matin de la course, avant la première ou la deuxième manche, je ne parle pas aux athlètes, mais aux entraîneurs et aux techniciens. Je récupère énormément d'informations, sur les athlètes, mais aussi sur le parcours, la neige, le tracé. C'est très important, parce que je dois pouvoir analyser les performances même sans Patrice Morisod. J'assiste aussi à la séance des entraîneurs chaque soir avant les courses. Et puis, au fil des années, j'ai développé un bon contact avec les athlètes. Je peux avoir des petites discussions informelles, pour nourrir mon commentaire.
Et c'est toute cette préparation qui te permet d'éviter trop de répétitions à l'antenne?
Oui. Je vais commenter entre 40 et 50 skieurs pendant 45 courses. C'est extrêmement répétitif, donc il faut essayer de l'être le moins possible — dans les infos comme dans le vocabulaire. Je sais que j'ai mes petits travers, mes tics de langage, que j'essaie de corriger même si ce n'est pas toujours évident. Parfois, il y a aussi une fatigue mentale, quand on enchaîne quatre courses, ou deux descentes ou deux géants d'affilée. C'est difficile de se renouveler complètement, mais ça fait partie du challenge, c'est sûr.
Y a-t-il une discipline que tu préfères?
Je trouve la technique un poil plus intéressante que la vitesse, puisqu'il y a le suspense lié à la deuxième manche. En descente ou en Super-G, c'est parfois frustrant, parce que tu peux avoir un coureur avec un tout petit dossard qui réalise une superbe course, mais tu ne sais pas trop où il se situe. C'est difficile de s'enthousiasmer, de se dire qu'il va faire un podium. En fait, tu attends. Parfois, j'ai l'impression de ne pas avoir eu l'émotion que j'aurais aimé mettre en vitesse. Mais il y a quand même une adrénaline liée à la vitesse, à la limite permanente. C'est aussi beau, mais c'est différent. Au final, il y a des pour et des contre dans toutes les disciplines et, comme certains athlètes, je n'ai pas une favorite.
Justement, je vais te poser quelques questions dont les athlètes ont l'habitude avant chaque saison. Pour toi, une année olympique, ça change quelque chose?
Dans la narration, un peu, oui. D'autant plus avec la densité de l'équipe de Suisse actuellement, il n'y a pas de place pour tout le monde. Il y a une course à la qualification et il faut remplir les critères de Swiss-ski – tous doivent obtenir de bons résultats pour être pris. Et puis il y a l'enthousiasme d'aller aux Jeux, parce que je pense que dans le journalisme sportif, c'est un peu comme pour les athlètes: c'est le summum, l'événement majeur à vivre.
Pour toi, ce serait quoi une saison réussie?
Une saison où j'ai du plaisir et où je continue à apprendre. Depuis que je commente le ski, je suis devenu un peu geek du matériel, des réglages, des aspects techniques. Ce qui m'intéresse, c'est le développement du matériel, l'aspect mental, la relation à la prise de risque, la préparation physique… Tout ce qui entoure le ski, au-delà de skier. J'ai l'impression d'apprendre chaque année de nouvelles choses. Mais une saison réussie, ça passe aussi par des bons résultats suisses.
Justement, t'attends-tu à une saison comme la dernière, où les skieurs suisses vont tout rafler?
Je pense que les attentes sont similaires. Mais il faut se rappeler que tout s'est déroulé parfaitement la saison dernière: quasi aucune blessure, des athlètes qui ont explosé comme Alexis Monney ou Franjo von Allmen, d'autres qui ont atteint un niveau extraordinaire. Mais le ski ne pardonne aucune erreur. On l'a vu avec Cyprien Sarrazin, qui gagne à Kitzbühel et quelques mois après frôle la mort. Il suffit qu'un ou deux athlètes majeurs se blessent et les résultats ne seront pas les mêmes. Donc oui, les attentes sont hautes, mais refaire une saison aussi parfaite sera très difficile — même si, en théorie, c'est possible.