Il pleut quelques gouttes en ce jeudi après-midi au moment de l'interview. «On va quand même dehors?, demande Fred Holdener, l'agent de Lian Bischsel. Ces temps, nous sommes tout le temps à l'intérieur.» Il faut dire que son joueur est actuellement dans une phase clé: préparer sa deuxième saison en NHL avec les Dallas Stars.
Attablé à la terrasse de l'auberge des Quatre Vents à Fribourg, le Soleurois n'a balayé aucun sujet. Bien au contraire. S'il ne veut pas s'étendre sur son bannissement en équipe de Suisse toujours en cours, il le regrette évidemment. Le sélectionneur Patrick Fischer ne devrait donc pas lui envoyer d'ordre de marche tant pour les JO que pour le Mondial à domicile. Cela lui permet de penser à lui, à sa carrière et à rien d'autre. Interview.
Lian, tu arrives à m'expliquer pourquoi on se voit ici, à Fribourg?
Je travaille de manière individuelle avec Ilya Khanenko, mon skill coach. On a construit un plan très précis, et on le suit ensemble. L’idée, c’est de progresser sur les détails techniques qui peuvent faire la différence en NHL. C’est vraiment ce travail spécifique qui me fait avancer.
Tu travailles avec lui depuis longtemps?
Oui, ça fait plusieurs années. Il a aussi bossé avec mon préparateur physique, et ensemble, ils ont créé une structure qui me correspond parfaitement. Cet été, on a mis en place un vrai programme, semaine après semaine, et on l’applique de manière rigoureuse. C’est une relation de confiance: on se connaît bien, il sait ce dont j’ai besoin, et je sais que je peux me reposer sur lui pour progresser dans les bons domaines.
En plus de ces entraînements spécifiques, tu patines donc avec Gottéron?
Oui, c'est une excellente opportunité, pour moi. C’est un plus d’aller sur la glace avec une équipe, parce que tu retrouves le rythme du jeu, les passes, le tempo. Ils sont en train de terminer leur préparation estivale et le rythme est déjà très élevé et l'intensité est un vrai plus pour moi.
Ton club de Dallas suit-il ça de près?
Non, pas vraiment. C’est nous qui décidons. Après chaque saison, on fait un point avec eux, et comme j’ai eu de très bons résultats aux tests physiques ces deux dernières années, ils m’ont dit: «Continue comme ça, on te fait confiance». C’est un bon signe: ça veut dire qu’ils estiment que ma préparation en Suisse est optimale. Ça me donne une liberté précieuse, parce que je peux rester proche de mes repères, de ma famille, tout en travaillant exactement comme je le souhaite.
Tu n’as que 21 ans, ta marge de progression est énorme. Sur quoi mets-tu l’accent?
En salle, le plus important pour moi, c’est le tronc et la stabilité. Le haut du corps est déjà solide, mais les jambes, l’explosivité, c’est encore une clé. Je veux continuer à construire ça. Sur la glace, l’été est fondamental: en saison, tu joues tous les deux jours et tu n’as pas vraiment l’occasion de développer ton jeu. Là, je peux travailler mes aptitudes techniques et mes prises de décision. Je veux aussi sortir un peu de ma zone de confort habituelle. Je travaille sur des aspects offensifs, des tirs ou encore marquer des buts. Je ne me focalise pas seulement sur la défense. J’essaie de devenir un joueur plus complet.
En un an, tu es passé de la Suède à l’AHL, puis à la NHL et même aux play-off. Tu réalises parfois la vitesse à laquelle ça va?
Oui, c’est allé très vite. Mais en même temps, je me dis que je n’ai encore rien accompli. Mon but, c’est de m'établir en NHL, pas seulement un défenseur qui a joué quelques matches. C’est un processus. Je dois toujours regarder en avant. Bien sûr, quand je repense au moment où j’ai quitté la Suisse pour aller en Suède, ça me semble fou d’être déjà là aujourd’hui. Mais si tu commences à trop réfléchir à la vitesse du chemin parcouru, tu perds ton énergie. C'est pour ça que j'essaie de ne pas trop regarder en arrière.
Ton premier match NHL, avec un but marqué, ça devait être fou…
Toute cette journée était incroyable. Tout était spécial, dès le matin avec l’entraînement, puis les médias toute la journée. Le coach m’avait dit: «Profite, c’est une journée unique. Aujourd'hui, tu as le droit de faire des erreurs, personne ne t’en voudra, l’important, c'est de vivre le moment.»
Tu as vraiment réussi à profiter?
Oui, j'ai vraiment essayé de suivre ce que me disait mon coach. Et puis marquer ce but, c’était au-delà de tout ce que j’imaginais. Tu grandis en rêvant de jouer un jour en NHL, mais tu ne t’attends pas à ce que ça se passe de cette manière. C’est un souvenir gravé à vie.
Tu étais un premier tour de draft. Tu as ressenti cette pression au moment d'arriver en NHL?
Honnêtement, non. J’ai toujours su que peu importe ta place à la draft, ce qui compte, c’est le travail que tu fais après. Quand je suis parti en Suède, il y avait de la pression. En AHL, pareil. Mais j’ai appris à mettre ça de côté et à me concentrer sur le hockey. Que tu sois choisi au 1er ou au 5e tour, à la fin, tu dois prouver que tu mérites ta place. Pour moi, être un choix de première ronde, ce n’est pas un poids, c’est juste un détail sur mon CV.
Tu as commencé en AHL durant plus d'une saison avant d’être rappelé par les Dallas Stars Finalement, c’était peut-être une bonne étape d'avoir à patienter un peu?
Oui, je crois que c’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Au début, tu veux forcément être directement en NHL, mais avec le recul, la AHL m’a donné du temps. J’ai pu m’habituer, travailler, comprendre ce qu’on attendait de moi. Le directeur sportif m'avait dit qu’il avait un plan pour moi et qu’il croyait en moi. C’était important, parce que ça m’a donné la confiance pour rester patient. Quand l’appel est arrivé, j’étais vraiment prêt.
Comment as-tu vécu ces play-off en NHL?
C’était fou. Très intense, évidemment, et très exigeant physiquement et mentalement. Mais c’est exactement mon style de hockey: serré, engagé, chaque détail compte. Jouer devant ces patinoires pleines, sentir l’énergie, c’était incroyable. Tu apprends énormément en play-off, à chaque match. C’est une expérience qui te change comme joueur.
Dans le vestiaire, tu côtoies des stars comme Jamie Benn ou Tyler Seguin. Pas trop intimidant?
Au début, oui. Quand tu arrives, tu les regardes et tu te dis «Ces gars-là, je les voyais à la télé quand j’étais petit.» Mais ça passe vite. Après une ou deux semaines, tu réalises que ce sont des personnes normales, des coéquipiers comme les autres. Dans le vestiaire, je reste moi-même, je parle, je rigole. C’est un groupe super, avec une très bonne ambiance.
Tyler Seguin a joué à Bienne durant la grève en 2012. Vous parlez de la Suisse ensemble?
Oui, souvent. Il m’a raconté quelques anecdotes de son passage ici. C’est toujours intéressant d’entendre des joueurs de ce calibre parler de ton pays. Et puis, au-delà de ça, je prends beaucoup de conseils des gars plus expérimentés, que ce soit sur la glace ou en dehors. Ça fait partie de l’apprentissage, et j’essaie de profiter de chaque moment pour apprendre.
La vie aux États-Unis, pas trop dure à gérer?
Non, parce que je suis parti de la maison très tôt, à 16-17 ans. Je suis habitué à être loin de ma famille. Et puis j’aime ça, être livré à moi-même, devoir m’organiser. En AHL, j’avais une maison avec des coéquipiers, donc ce n’était pas compliqué. À Dallas, j’ai d’abord été à l’hôtel, puis j’ai trouvé un appart. Tout était bien organisé, je n’ai pas eu de souci.
Ta famille a pu venir te trouver quelques fois?
Oui, pendant les play-off, ils sont venus deux ou trois semaines. C’était génial de partager ça avec eux. Pour moi, c’était une saison tellement intense, et pouvoir les avoir là sur place, c’était un vrai cadeau. Et maintenant, l’été, je profite au maximum du temps avec eux.
Qu’est-ce qui te manque le plus de la Suisse?
La famille, les amis, les repas tous ensemble, les barbecues. Aux États-Unis, je passe souvent des soirées seul. Ce n'est pas un problème et j'y suis habitué. Mais en Suisse, j'en profite pour avoir un maximum de moments conviviaux avec ma famille. C'est finalement la seule chose qui est impossible de recréer dans un autre environnement. Je rentre à Dallas le 10 septembre et le camp va recommencer une semaine plus tard. J'ai encore quelques soirées pour profiter.
Et l’équipe nationale suisse? Comment vis-tu ce bannissement?
C’est difficile à accepter. Je suis fier de jouer pour mon pays, ce que j’ai fait à de nombreuses reprises par le passé. Je serai heureux lorsque l’on me rappellera en équipe nationale le moment venu. Comme je l'ai déjà dit, la Suisse est ma maison et ça a été fantastique de m’entraîner et de faire ma rééducation ici cet été.
Tout de même... Tu vas donc manquer les JO et le Mondial en Suisse. Ce n'est pas anodin.
Oui, mais c'est vraiment ce que je ressens depuis toujours: si je ne peux pas changer quelque chose, je ne fais en sorte que cela ne me coûte pas d'énergie. J'ai été suspendu par la Fédération et tant que la sanction n'est pas levée, je ne peux rien changer. Alors, je me concentre sur moi et rien d'autre. Mon opération du tibia et ma rééducation (ndlr: opération liée à une fracture survenue il y a deux ans lors d’un tournoi avec l’équipe nationale) ont été intenses. Cela m’a poussé à me concentrer sur ma préparation pour une saison cruciale, afin d’atteindre mon objectif: m’imposer comme joueur établi en NHL avec les Dallas Stars.