Il avance d’un pas tranquille en cet après-midi d’automne, un sourire contagieux aux lèvres. «Aujourd’hui, je suis vraiment heureux», dit-il. Pourtant, il a dû traverser bien des vallées sombres. À 29 ans, Edson Harlacher, fils d’un Suisse et d’une Angolaise, est père de deux enfants et travaille désormais comme gestionnaire dans un bureau. Autrefois, il était considéré comme l’un des plus grands espoirs défensifs du hockey suisse.
À 18 ans, il fait ses débuts en Ligue nationale A avec Kloten, s’impose rapidement comme titulaire et signe un contrat professionnel. Il passe par toutes les sélections nationales juniors, des moins de 16 ans aux moins de 20 ans, disputant quatre championnats du monde avec la Suisse. Son rêve: rejoindre un jour la NHL. Mais avant tout, il veut vivre de sa passion. Ce qu’il parvient à faire très jeune.
Avec Hischier, Meier, Siegenthaler et Suter aux Mondiaux
Il y a dix ans, Harlacher participait au Mondial M20 à Helsinki. À ses côtés: les futures stars de NHL Nico Hischier, Timo Meier, Jonas Siegenthaler et Pius Suter. Mais aussi les héros d’argent du Mondial 2025 Denis Malgin, Calvin Thürkauf, Andrea Glauser, Damien Riat et Noah Rod.
Contrairement à eux, Harlacher a disparu des radars depuis longtemps. Il a terminé sa carrière à Bülach, en MyHockey League, avant de ranger définitivement les patins il y a un an et demi. «C’était trop, entre le travail et la famille. J’étais partout et nulle part à la fois», explique-t-il.
Le tournant après la relégation de Kloten
Le point de rupture, selon lui, remonte à la saison 2018-2019: la première après la relégation de Kloten en Swiss League. «Je me sentais attaché au club, et tout le monde pensait qu’on allait remonter immédiatement», se souvient-il. Il refuse alors d’autres offres. Une décision qu’il regrette aujourd’hui: «C’était peut-être une erreur. Si j’étais sorti de ma zone de confort, les choses auraient pu tourner autrement».
Son style de jeu, plus tactique, s’accorde mal à la Swiss League, plus désordonnée. Il peine à s’imposer, retrouve un peu de rythme en fin de saison, mais le club échoue sa mission remontée. Et quand il espère prolonger, Kloten le libère tardivement. «Ce fut un choc, en plein été, quand il était presque impossible de retrouver une équipe», raconte-t-il.
Kloten le renvoie deux fois
Harlacher rejoint alors Bülach dans l’urgence, puis dépanne brièvement à La Chaux-de-Fonds avant d’être rappelé par Kloten… qui le libère à nouveau à la fin de la saison, en pleine pandémie. «Revivre ça a été dur. J’étais revenu dans le top 4 des défenseurs», souffle-t-il.
Ses espoirs de carrière professionnelle s’envolent. Devenu père à 23 ans, il traverse une période d’incertitude et d’angoisse. Grâce à sa belle-mère, recruteuse de métier, il décroche un emploi dans un magasin spécialisé en articles de cuisine.
La descente dans la dépression
D’un côté, il ressent un soulagement. De l’autre, un vide. «Parfois, je me demandais ce que je faisais là. Je devrais être sur la glace», confie-t-il. Il tente un retour à Bülach, puis à Winterthour, mais là aussi, l’aventure s’arrête après une saison. «On ne s’est pas mis d’accord», dit-il simplement.
Les années suivantes sont marquées par une profonde détresse. «J'avais l'impression d'être un raté. J’étais déçu de moi-même, je me demandais ce que les gens pensaient de moi, moi qui avais soudainement disparu de la scène», raconte-t-il. Ses pensées s’assombrissent: «Je n’ai jamais eu d’idées suicidaires, mais j’étais clairement en dépression».
En paix avec lui-même
Harlacher finit par consulter un thérapeute. «Heureusement, car cela m’a aidé à faire le point et à retrouver de la motivation. Si je n’avais pas fait cette démarche, je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui», confie-t-il. Il estime que le sujet est trop souvent négligé: «Quand un sportif voit sa carrière s’effondrer, il n’a souvent plus aucun soutien. Il se retrouve seul face à la nouvelle réalité et à ses peurs».
S’il témoigne aujourd’hui, c’est pour sensibiliser les jeunes joueurs, mais aussi les parents et les fans: «Tous les grands talents ne deviennent pas des stars». Il ne cherche pas de coupable: «J’étais trop modeste, j’aurais pu en faire plus». Sa famille a été son refuge. Sa femme, ses enfants et ses parents lui ont permis de tourner la page. «Aujourd’hui, je me dis que j’ai atteint la LNA, et que c’est déjà une réussite. Tout le monde n’y arrive pas», sourit-il. En tout, il a disputé 164 matchs professionnels.
Le retour sur la glace
Quand il repense à ses anciens coéquipiers Hischier, Meier ou Siegenthaler, il ne ressent aucune amertume. «Je suis heureux pour eux. Ce sont de bons gars, on a toujours eu une super entente.» Harlacher boucle la boucle à Bülach, son club formateur, avant de s’éloigner du hockey pendant un an. «C’est là que j’ai compris à quel point ce sport me manquait.»
Le Zurichois contacte alors les ZSC Lions, qui lui proposent un poste d’entraîneur adjoint chez les moins de 16 ans élite. Depuis cette saison, il partage son temps entre son travail (80 %) et la formation des jeunes. «C’est un équilibre parfait. J’y prends énormément de plaisir», confie-t-il. Et surtout, il transmet son expérience: «Si quelqu’un sait ce que ça fait d’être un grand espoir qui n’a pas percé, c’est bien moi».