Comparaison des sexes
Voici ce que les footballeuses perçoivent concrètement en moins

Le football féminin est en plein essor. Pourtant, le retard financier par rapport aux hommes est encore énorme. D'autres sports sont bien plus équilibrés. Tour d'horizon.
Publié: 27.06.2025 à 18:02 heures
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Dernière mise à jour: 27.06.2025 à 18:04 heures
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La capitaine de l'équipe nationale Lia Wälti peut à peine vivre du football. Ses collègues masculins (sur la photo, le capitaine de la Nati Granit Xhaka) nagent dans l'argent.
Photo: Montage / Toto Marti, Keystone / Michael Buholzer
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Peter Rohner et Tina Fischer
Handelszeitung

L’Euro féminin de football organisé en Suisse s’annonce comme le tournoi de tous les superlatifs. Dès le mois de mai, presque autant de billets avaient été vendus que lors de la phase finale en Angleterre il y a trois ans. L’UEFA s’attend à plus de 500 millions de téléspectateurs et téléspectatrices dans le monde, soit un tiers de plus qu’à l’Euro 2022.

Des noms prestigieux à l’échelle mondiale, d’Amazon à Playstation, figurent parmi les sponsors. La dotation a presque triplé, passant de 16 à 41 millions d’euros, alors que le nombre de participantes reste inchangé.

Il y a encore quelques années, lors de la phase finale en Suède en 2013, les meilleures footballeuses du continent se disputaient une mini-prime de 2,2 millions d’euros. Mais aujourd’hui, bien plus d’argent est en jeu. Lors de l’Euro féminin 2017 aux Pays-Bas, l’UEFA avait encaissé 13 millions d’euros, contre plus de 60 millions en Angleterre en 2022. Cette année, ce sera encore davantage. Rien que les revenus issus des droits de diffusion s’élèvent à 85 millions d’euros, soit plus du double du record établi il y a trois ans.

Challenge League plutôt que Champions League

Aussi impressionnants que puissent paraître les records et aussi fort que soit la croissance, sur le plan financier, les femmes ne jouent toujours au mieux qu’en Challenge League par rapport aux hommes. Les montants en jeu restent dérisoires du point de vue du football masculin : l’Euro masculin de l’an dernier en Allemagne, par exemple, a rapporté à l’UEFA 2,5 milliards d’euros. Les équipes se disputaient une cagnotte de 330 millions d’euros.

Comparaison dans le football. Aitana Bonmatí, milieu de terrain à Barcelone, gagne 900'000 francs par an - contre Cristiano Ronaldo, avant-centre à Al-Nassr, qui touche plus de 200 millions.
Photo: Getty Images

Et pourtant, les primes sont le domaine où l’écart tend le plus à se réduire. En moyenne, les hommes ne reçoivent désormais «que» cinq fois plus que les femmes – et non plus vingt fois plus. L’écart diminue également lors des Coupes du monde.

Le président de la FIFA, Gianni Infantino, a annoncé il y a deux ans que les femmes et les hommes recevraient les mêmes primes à partir de 2026/2027. Et les fédérations nationales s’efforcent elles aussi de corriger cette inégalité flagrante: la Norvège a été, en 2017, le premier pays à instaurer l’égalité salariale pour les équipes nationales A.

Les clubs, eux, sont encore loin du compte. Car dans ce domaine, ce sont les lois du marché qui s’appliquent: les salaires et les indemnités de transfert dépendent des revenus (potentiels). Les stars masculines garantissent des stades pleins, de fortes audiences télévisées, et augmentent les chances de titres et de primes de victoire. Chez les femmes, on joue plus modeste, même si les joueuses s’entraînent tout aussi dur et se battent pendant quatre-vingt-dix minutes. En Ligue des champions féminine, 24 millions d’euros sont redistribués. Chez les hommes, c’est 2,5 milliards – cent fois plus.

C'est pourquoi même les femmes qui gagnent le plus, comme Aitana Bonmatí ou Sam Kerr, ne gagnent qu'une fraction de ce que Cristiano Ronaldo et compagnie encaissent. Seules une vingtaine de femmes dans le monde ont un revenu annuel supérieur à 250'000 francs. Certes, l'écart salarial est également important chez les femmes, mais contrairement aux hommes, peu d'entre elles peuvent en vivre. La grande majorité d'entre elles, en dehors des ligues de haut niveau, exerce un autre travail pendant la journée.

Dans l’ombre des hommes

Tout cela tient, en fin de compte, à la faible attention médiatique accordée au football féminin, même si certains matches au sommet attirent désormais plus de 50’000 spectateurs et que l’audience télévisée progresse. «Le football féminin reçoit moins d’attention et donc aussi moins d’argent de la part des sponsors et de la vente des droits de diffusion», explique Jonas Puck, professeur d’économie à l’Université de Vienne et vice-président du club First Vienna FC. «Tout dépend de la manière dont ce sport est perçu, et c’est là-dessus qu’il faut agir.»

Car le football reste en Europe fortement associé aux hommes. Il a près d’un siècle d’avance sur le football féminin, y compris en Suisse. Le plus ancien club masculin, le FC Saint-Gall, a 146 ans. L’année de naissance du football féminin en Suisse est considérée comme étant 1968, avec la fondation du Damenfussballclub Zürich (DFC Zürich).

Le tennis fait exception

L’héritage historique du sport comme domaine masculin pèse aussi sur les femmes dans d’autres disciplines. Le basket et le hockey sur glace, en particulier, ont longtemps été considérés comme des sports d’hommes, ce qui explique l’ampleur actuelle de l’écart salarial entre les sexes. Dans les disciplines plus récentes, cet écart tend toutefois à être moins marqué.

Comparaison en basket-ball. Caitlin Clark, meneuse de jeu à Indiana Fever, reçoit 9,1 millions de francs - contre Stephen Curry, meneur de jeu aux Golden State Warriors, avec un salaire de 125 millions de francs.
Photo: Getty Images via AFP

Seul le tennis échappe à ce schéma. Les Britanniques ont inventé le tennis sur gazon moderne dans les années 1870. Dès 1884, le tournoi de Wimbledon accueillait une compétition féminine. En 1900, le tennis féminin faisait son entrée aux Jeux olympiques. Grâce à l’engagement de Billie Jean King, fondatrice de la WTA, l’US Open a été, dès 1973, le premier tournoi du Grand Chelem à offrir des primes égales aux femmes et aux hommes. Aujourd’hui, l’égalité salariale est la norme dans tous les grands tournois.

En matière de sponsoring également, les hommes et les femmes disposent dans le tennis de perspectives de revenus similaires. Dans le ski, les femmes ne sont pas désavantagées non plus puisque les primes sont en général équivalentes, et les revenus dépendent non pas du genre, mais des contrats publicitaires et de la présence sur les réseaux sociaux.

Comparaison en tennis. Coco Gauff enregistre 25 millions de francs - versus Jannik Sinner qui en enregistre 43 millions.
Photo: imago/Paul Zimmer

Le sport féminin reste largement sous-médiatisé

La manière dont le sport féminin est perçu dépend aussi de sa couverture médiatique. Pendant trois décennies, celle-ci a stagné, plafonnant jusqu’en 2019 à seulement 5% du contenu sportif. Depuis, la tendance est à la hausse, mais aujourd’hui encore, un article ou sujet sportif sur cinq seulement concerne des athlètes féminines.

La publicité télévisée reflète cette réalité, et l’Euro féminin en fournit une bonne illustration. Selon les chiffres de la régie publicitaire Admeira, qui appartient comme ce journal au groupe Ringier, un créneau de trente secondes juste après l’hymne national pour les matchs Suisse – Finlande et Suisse – Islande coûte 20’250 francs. Ce sont les montants les plus élevés – seul le spot publicitaire juste avant la séance de tirs au but en finale coûte 5000 francs de plus.

Ce qui semble beaucoup pâlit toutefois en comparaison avec l’Euro masculin. Le prix pour un spot de trente secondes pendant le match de groupe Suisse – Allemagne atteignait jusqu’à 92’500 francs, soit plus de quatre fois plus. «Nous ne faisons pas de distinction en termes de prix unitaire», affirme Frank Zelger, CEO d’Admeira. Le prix brut de base par mille contacts pour un créneau publicitaire est même jusqu’à 6% plus élevé lors de l’Euro féminin que pour l’Euro masculin. En moyenne, il s’élève à 134 francs contre 125 francs pour les hommes. Alors, pourquoi un tel écart malgré tout?

Comparaison en boxe. Amanda Serrano combat pour 6,6 millions de francs - contre Tyson Fury et ses 121 millions.
Photo: Getty Images for Netflix © 2024

La publicité a moins de valeur

«Ce qui fait monter les prix, c’est la demande, autrement dit le nombre de téléspectateurs dans le groupe cible des annonceurs», explique Frank Zelger. L’Euro masculin a rassemblé un public jusqu’à quatre fois plus large. Cela se répercute directement sur le prix final d’un spot publicitaire. Pour la finale de l’Euro féminin, les estimations tournent autour de 300'000 téléspectateurs, contre environ 1,1 million devant l’écran pour la finale masculine l’an dernier – soit un facteur de 3,7.

À l’échelle du marché sportif global, Zelger précise qu’Admeira génère ses plus gros revenus publicitaires grâce au football et aux Jeux olympiques. Viennent ensuite, avec un peu de distance, les championnats du monde de hockey sur glace et les courses de ski annuelles. Le reste pèse peu – «sauf lorsqu’un héros local gagne tout». À l’époque où Roger Federer était encore actif, le tennis attirait davantage de public et représentait un investissement publicitaire prisé. L’actuelle série de succès du skieur Marco Odermatt en est un autre exemple.

À la recherche d’une héroïne locale

Mais cette logique ne fonctionne pas toujours. Certes, le cycliste Fabian Cancellara a dominé le contre-la-montre pendant des décennies et remporté à trois reprises le Tour des Flandres. Pourtant, le cyclisme n’a jamais vraiment percé sur le marché publicitaire suisse. Et la victoire de la Suissesse Marlen Reusser au Tour de Suisse cette année n’y changera probablement rien non plus.

Comparaison dans le cyclisme. Demi Vollering, dans l'équipe FDJ-Suez, reçoit 1 million de francs - versus Tadej Pogacar, dans l'équipe Emirates-XRG, avec 8 millions de francs.
Photo: Getty Images

Dans le cyclisme, autre bastion historique du sport masculin, l’égalité est encore loin d’être acquise. Seules quelques courses, comme le Tour des Flandres, ont instauré des primes équivalentes pour les femmes et les hommes. Mais sur les grands tours, l’écart entre les sexes reste frappant. Les primes des hommes sont six fois plus élevées sur le Giro d’Italia et même neuf fois plus sur le Tour de France – un écart que ni le nombre d’étapes ni celui des participants ne suffisent à expliquer. Le budget moyen d’une équipe masculine du World Tour s’élève à 28 millions d’euros. Les femmes doivent se contenter d’un septième de ce montant.

Les basketteuses, en revanche, enregistrent de nets progrès. La ligue américaine WNBA connaît une croissance si rapide que, selon les estimations de Deloitte, le basket pourrait détrôner le football dès cette année comme le sport féminin générant le plus de revenus au niveau mondial. Mais l’argent n’arrive que partiellement jusqu’aux joueuses. En moyenne, les hommes gagnent encore près de cent fois plus.

Qu’il s’agisse de basket, de tennis ou de football, l’intérêt pour le sport féminin ne cesse de croître. La liste des sponsors de l’Euro en témoigne clairement. L’engagement est massif: des géants mondiaux comme Volkswagen, Adidas, Amazon, Heineken ou Hublot aux partenaires nationaux tels que Swissquote, Miele ou Swisscom. Des entreprises qui, ces dernières années, se sont engagées pour la diversité. Aujourd’hui, on dit même qu’il est presque devenu incontournable pour elles de montrer leur soutien au football féminin.

C’est dans ce but que certaines entreprises lancent désormais des campagnes spécifiques, comme celle d’Axa avec le slogan «Keep on kicking». Une petite fille s’y demande pourquoi le football serait réservé aux hommes. Au fil du spot, on voit des filles et des femmes jouer ensemble sur un terrain – quels que soient leur âge ou leur situation de vie. Le message est clair: «Reste dans le jeu».

Comparaison dans le golf. Nelly Korda golfe pour 12 millions de francs - contre Jon Rahm et ses 88 millions.
Photo: Getty Images

L’Euro féminin comme levier de développement

C’est un credo qui réjouit Luana Bergamin. La coprésidente du réseau Sportif milite pour plus de diversité dans les instances sportives et les fédérations. Elle ne croit pas à l’utopie d’une égalité qui surviendrait du jour au lendemain. Et elle comprend mal pourquoi on attendrait déjà aujourd’hui qu’un Euro féminin connaisse le même succès qu’un Euro masculin: «Ce débat est absurde», affirme-t-elle.

«L’Euro féminin est un outil de développement pour faire avancer durablement le sport. Aucune autre discipline, restée aussi longtemps dans l’ombre des hommes, n’a connu un tel bond qualitatif en matière de niveau de jeu, d’entraînement ou d’infrastructures.» Cette compétition offre une scène idéale pour montrer tout ce que les footballeuses ont accompli en peu de temps. «C’est maintenant que l’Association suisse de football doit saisir cette opportunité.»

Car le football féminin n’a rien d’ennuyeux, malgré les différences physiques. «Ce n’est pas un football moins attractif: c’est un autre jeu, qui met davantage l’accent sur la technique, davantage sur le sport lui-même», explique l’économiste Jonas Puck. Pour réduire un tant soit peu les inégalités, il faut selon lui travailler à améliorer la perception de ce sport: «Cela suppose de soutenir la base et d’investir dans la qualité». Le genre ne devrait pas être un critère pour décider de regarder un événement sportif ou non. Ce qui compte, ce sont les émotions, les histoires.

Et des histoires, l’Euro féminin en écrira dès le 2 juillet. Des histoires capables, espérons-le, de séduire de nouveaux sponsors, d’élargir la portée du football féminin et de captiver tous les amateurs et amatrices de sport.

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