La Nati change de style
Pia Sundhage, le choix de Rafel Navarro, l'avenir... Johan Djourou dit tout

Le départ de Pia Sundhage, les critiques de l'opinion publique, la nomination de Rafel Navarro, son propre rôle à l'ASF, l'avenir du football suisse... Johan Djourou livre son ressenti en exclusivité pour Blick depuis Jerez de la Frontera.
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

L’équipe de Suisse termine sa folle année 2025 avec un stage sous le soleil de l’Andalousie. Johan Djourou, nouveau directeur technique des équipes nationales féminines, a accepté, pour Blick, de revenir sur tous les thèmes importants liés à la Nati, dont, bien sûr, le remplacement de la très populaire Pia Sundhage par Rafel Navarro.

Le premier match de Rafel Navarro avec la Nati

Sydney Schertenleib et les Suissesses se sont inclinées 2-1 face à la Belgique vendredi. Prochain match, mardi à 12h contre le Pays de Galles.
Photo: keystone-sda.ch

La Nati a perdu face à la Belgique (1-2) le premier de ses deux matches de préparation à Jerez de la Frontera. Pas le départ idéal pour le nouveau sélectionneur Rafel Navarro, mais la Nati a montré de belles choses par moments, notamment dans la construction du jeu. 

Ce qu’en dit Johan Djourou: C’était un match avec une identité différente de ce que l’on avait connu. Je trouve que les joueuses ont vite intégré les préceptes et les idées de Rafel Navarro. On a vu de très très bonnes choses en si peu de temps, après seulement quatre séances d’entraînement. Le point négatif, c’est qu’on n’a pas été assez efficaces dans les deux surfaces de réparation. On aurait pu se créer plus d’occasions et on a pris le dernier but en contre d’une manière évitable. Nous sommes déçus du résultat, mais je pense que le contenu était très intéressant.

Pourquoi le choix de Rafel Navarro

Le Catalan de 39 ans a signé jusqu'en 2029.
Photo: keystone-sda.ch

Le Catalan de 39 ans n’avait jamais été entraîneur principal à haut niveau, il ne parle aucune langue nationale et il ne connaissait de son propre aveu rien au football suisse avant de devenir sélectionneur de la Nati. Son seul lien avec la Suisse était d’avoir côtoyé Ana-Maria Crnogorcevic et Sydney Schertenleib au FC Barcelone, où il occupait depuis six ans le rôle d’adjoint. Et pourtant, il a signé jusqu’à l’été 2029, à la surprise générale. Blick publiait le matin même de sa nomination un article avec une dizaine de prétendantes et de prétendants, sans que son nom ne soit cité, même pas en marge. 


Ce qu’en dit Johan Djourou: Après avoir pris le décision de ne pas prolonger le contrat de Pia, la ligne directrice était d’avoir une vision sur le long terme. L’idée de la fédération était d’amener quelqu’un ayant beaucoup d’énergie, avec aussi beaucoup d’expérience. Et c’est vrai qu’on est allés regarder au-delà des personnes auxquelles on pense en premier lieu. On a tendance à toujours regarder les profils qui sont au premier plan. Et on a tendance à dire: il faut un entraîneur principal. Mais il y a un début à chaque chose. A un moment donné, pour avoir sa chance, il faut bien que quelqu’un la donne. Je l’ai vécu à Arsenal sur le plan personnel. Rafel Navarro était un profil qui était dans mes contacts, j’ai pu discuter un peu avec lui. Il remplissait beaucoup de cases par rapport à son âge, par rapport à sa philosophie, par rapport aux joueuses aussi, et le type de joueuses que nous avons. 

Ce que peut apporter Rafel Navarro à l’ASF

La Suisse a une nouvelle identité de jeu.
Photo: keystone-sda.ch

Fort de son expérience au FC Barcelone, Rafel Navarro a des idées et l’envie de les transposer. Mais, concrètement, que peut apporter le Catalan à l’ASF, au-delà des 90 minutes de match? 

Ce qu’en dit Johan Djourou: L’Euro a été une page très très importante. On a fait un énorme pas en avant avec Pia. On devra toujours lui en être reconnaissant. Mais aujourd’hui, on est dans cette stratégie de développer ces joueuses et de franchir des paliers sur le plan du jeu. Avec Rafel, on peut développer une stratégie à long terme, ce qu’il a déjà fait dans le passé. Le fait qu’il ait entraîné des garçons et des filles, qu’il ait été chef de la méthodologie dans un club, étaient des éléments qui me plaisaient énormément et qui ont parlé à Marion. Voilà pourquoi nous avons pensé à lui. Ensuite, le premier contact a été fait, juste pour sonder, et quand on a vu qu’il était intéressé et que le timing était bon, on a pu avancer. On parle du FC Barcelone, il faut que tout soit aligné. Et tout l’était, de chaque côté. Quoi de mieux aujourd’hui, je me pose la question en toute honnêteté, d’avoir la possibilité d’avoir un homme qui a travaillé pendant six ans au FC Barcelone, qui a travaillé avec Jonatan Giraldez, aujourd’hui à Lyon, avec Lluis Cortes ,aujourd’hui responsable du développement en Arabie saoudite, avec Pere Romeu, qui est l’entraîneur du Barça aujourd’hui? Toute cette expérience, on veut en profiter. Il ne faut pas oublier que cela ne fait que six ans que l’Espagne est sur le devant de la scène, c’est un projet qui a été développé, pensé, et d’avoir avec nous un homme avec autant d’expérience et de vécu nous sera bénéfique.

L’identité catalane

Comment concilier identité catalane et «Schweizer weg», se demande Rafal Navarro?
Photo: keystone-sda.ch

Le FC Barcelone a une identité de jeu et une vraie culture football. Est-elle compatible avec la Suisse? N’y a-t-il pas le risque que le nouveau coach soit un peu trop dogmatique et cherche à imposer des idées qui ne sont pas en phase avec la réalité des joueuses de la Nati? 

Ce qu’en dit Johan Djourou: Rafel le sait. Il en est même très conscient. C’est le premier message que j’ai eu avec lui au téléphone. Il a une idée, on a des joueuses. On a un type de joueuses. Nous ne sommes pas l’Allemagne, nous ne sommes pas le Brésil, nous ne sommes pas le FC Barcelone. Mais il peut y avoir des similitudes. On le sait, ce n’est pas du jour au lendemain que la Suisse va jouer comme le FC Barcelone. La Suisse est la Suisse et restera la Suisse. Mais le but, c’est justement d’adapter une identité et un style de jeu avec notre culture. On ne va jamais s’éloigner de notre «voie suisse», ce qui est très très important. Mais on va faire en sorte de prendre les points qui prédominent dans ces deux cultures pour en tirer le meilleur. Et je pense qu’il y a vraiment le potentiel de faire de grandes choses.

Le départ de Pia Sundhage

Johan Djourou est reconnaissant envers Pia Sundhage du travail effectué, mais l'ASF veut voir plus loin désormais.
Photo: TOTO MARTI

Les critiques envers l’ASF ont été nombreuses après le départ de Pia Sundhage, laquelle était très appréciée de l’opinion publique. Le succès de l’Euro a attiré des centaines de milliers de spectateurs devant leur téléviseur et, si les personnes suivant le football de près ont majoritairement compris pourquoi le contrat de la Suédoise n’avait pas été prolongé, cela n’a pas été le cas d’une immense partie de ce «nouveau public». L’ASF a-t-elle été prise au piège de la popularité de Pia Sundhage? Celle-ci, en communiquant en premier, a-t-elle mis l’ASF dans l’embarras? Au-delà de la décision en elle-même, le timing et la communication ont-ils été bons? 

Ce qu’en dit Johan Djourou: Remettons les choses dans leur contexte. Il y a eu une euphorie émotionnelle lors de l’Euro, c’était une grande et belle fête. On passe en quarts avec un match de folie à Genève à la dernière minute, on s’attache à cette belle équipe et on s’attache bien sûr aux personnages qui font partie de ce staff. Ce pas en avant, il a été rendu possible grâce à Pia également et aux décisions qu’elle a prises. Parce qu’avant et pendant l’Euro, il n’y avait pas de directeur technique, donc les décisions, c’était Pia qui les prenait. Après l’Euro, une fois l’euphorie retombée, est arrivé le temps de l’analyse. Et là, il faut penser sur le long terme, et non pas juste sur le court terme comme cela a été le cas à l’Euro. Il faut tout mettre sur la table, y compris la Ligue des Nations, par exemple, avec cette relégation qui nous place aujourd’hui dans une position où la Coupe du monde va être plus dure à atteindre. Ce ne sera pas impossible, mais ce sera plus compliqué. Et même l’Euro, en l’analysant froidement, on passe le groupe, mais on ne gagne qu’un match. Ca se joue à peu de choses. Et à une minute près, notre décision de ne pas proposer de prolongation de contrat à Pia aurait été perçue comme logique. Chez les gens qui suivent le football de près, je pense que notre décision a moins surpris que chez le grand public, en raison de l’émotion liée à l’Euro. Mais pour nous, en tant que Fédération, c’est important de poser des bases pour la suite. Après, au niveau de la communication et du timing, il y a des enjeux internes que l’on ne maîtrise pas toujours. Dès le début, il était prévu de prendre la décision entre les rassemblements en automne. Mais, on peut bien sûr discuter du moment idéal, mais il n’y en a jamais vraiment. Je pense qu’il était important pour l’avenir que l’entraîneur qui est en place aujourd’hui ait ces deux matches amicaux de novembre et décembre ici en Espagne pour pouvoir commencer de la meilleure des manières en février.

Sa promotion cet automne

Photo: TOTO MARTI

Jusqu’à cet été, Johan Djourou était «coordinateur technique» à l’ASF. Voici le Genevois désormais «directeur technique de toutes les équipes nationales féminines». Que change cette promotion pour lui au quotidien? 

Ce qu’en dit Johan Djourou: Il y a une vraie différence, c’est qu’aujourd’hui, je prends le lead de toutes les équipes nationales, avec la possibilité, et la mission, de développer un fil rouge. Qu’est-ce qu’on peut améliorer? Aujourd’hui, on aimerait potentiellement que toutes les équipes se qualifient plus régulièrement pour les tournois internationaux. Et tout ça, ça commence avec un travail de base, qui existait bien sûr, mais sans ligne directrice. Ma mission, c’est d’amener une continuité, un lien permanent entre le bas et le haut, entre tous les gens qui oeuvrent pour le football féminin en Suisse.

Ses rôles et son hyperactivité

En plus de ses multiples activités, le Genevois prend le temps de participer à des matches de gala, comme ici face à Ronaldinho à Lucerne.
Photo: TOTO MARTI

Consultant sur Ligue 1+, la chaîne officielle du championnat français, Johan Djourou voyage régulièrement à travers la France pour assister aux matches et les analyser. En plus, il s’occupe toujours d’une équipe féminine chez lui à Lancy et est désormais responsable du développement du football féminin en Suisse. Question très directe: comment fait-il? 

Ce qu’en dit Johan Djourou: Je suis très motivé, ça c’est sûr (rires). Et l’organisation me permet de mener plusieurs projets de front: avec la Fédération, nous avons trouvé un accord pour que je puisse continuer Ligue 1+, et les séances à Lancy ont lieu le soir. Ce qui est essentiel aujourd’hui, c’est de poser des bases solides. On veut que le nouvel entraîneur se sente à l’aise, soutenu dans ses idées, qu’il puisse vraiment imposer sa vision. Et puis, favoriser l’échange entre tous les coachs: celui des M16 avec ceux des M17, des M15, des M19… et avec Rafel évidemment. L’objectif, c’est d’avoir une vraie continuité dans le travail. On l’a déjà vu en quelques jours: les filles prennent beaucoup de plaisir. Il faut transmettre cette culture du jeu, cette exigence, cette connaissance, à toutes les sélections. C’est comme ça qu’on amènera nos équipes nationales au plus haut niveau.

La relève

Noemi Ivelj fait partie des jeunes leaders de cette épatante nouvelle génération.
Photo: keystone-sda.ch

Iman Beney, Sydney Schertenleib, Noemi Ivelj, Smilla Vallotto, Leila Wandeler… La Suisse dispose de joueuses de grand talent dans la tranche d’âge 18-21 ans, ce qui autorise de grands espoirs pour l’avenir. Mais comment est la situation juste derrière, du côté des filles qui ont entre 15 et 17 ans aujourd’hui? 

Ce qu’en dit Johan Djourou: La suite s’annonce très intéressante. On a de très, très bonnes joueuses. Quand on regarde les M17 qui jouent actuellement les qualifications, ou même les catégories en dessous, on se rend compte que la Suisse a un profil assez unique. Techniquement, les joueuses sont très fortes, et athlétiquement il y a aussi de belles qualités. Mais ce qui manque encore parfois, c’est le développement de la compréhension du jeu: le QI football. L’orientation du corps, l’angle du pied, la capacité à casser des lignes… Ce sont des détails qui font la différence, et qu’on doit intégrer très tôt dans la formation. On a un projet pilote au sommet de la pyramide, mais il doit aussi s’inscrire dans un projet à long terme. Et ça, je pense que c’est très prometteur pour le futur. 

La Coupe du monde 2027 au Brésil

La route vers la Coupe du monde s'annonce escarpée pour les Suissesses.
Photo: keystone-sda.ch

En ayant été reléguées dans le groupe B de la Ligure des Nations, les Suissesses vont devoir faire face à une mission très compliquée pour se qualifier pour la Coupe du monde au Brésil. La première étape passe par un groupe à quatre composé de Malte, de l’Irlande du Nord et de la Turquie. L’idéal serait de finir en tête, afin d’avoir un premier tour de barrage plus accessible. Le deuxième tour devrait quoi qu’il arrive être furieux, vu que l’Europe ne qualifie que quatre équipes directement. Dans le pire des cas, la Suisse affronterait au dernier tour une équipe comme la France, l’Allemagne ou l’Espagne. Dans le meilleur des cas, la Belgique, la Norvège ou l’Ecosse. Bref, le chemin vers le Brésil s’annonce de toute façon escarpé. 

Ce qu’en dit Johan Djourou: Avec du recul, je pense que le format de qualification peut vraiment nous aider à structurer notre projet. Nous sommes dans un groupe de Ligue B qui est abordable. Rafel et son staff vont pouvoir analyser les adversaires, cibler leurs faiblesses et surtout s’appuyer sur nos forces. Si on termine en tête, le premier tour de barrage sera favorable. Ensuite, oui, on pourrait tomber sur une grande nation, si ce n’est pas l’Espagne, la France ou une autre équipe du top, mais ça ferait un test parfait. Et il y a aussi la possibilité d’un tirage plus accessible. Ce qui compte, ce n’est pas le chemin, ce sont nos chances de nous qualifier. Et je suis convaincu qu’elles existent. Nous sommes dans un processus, et nous avons du temps pour préparer cette équipe afin qu’elle soit prête le jour où ça comptera vraiment. Chaque rassemblement, chaque match, chaque minute de travail va être précieuse. La meilleure équipe gagnera, bien sûr, mais nous serons armés pour rivaliser.

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