Un record de billets vendus (plus de 600’000 pour 31 matches), des audiences télévisées qui explosent, 4000 personnes à un entraînement de la Nati, des cortèges qui regroupent 10’000 personnes un soir de semaine à Genève et 14’000 à Berne un dimanche, des supporters qui viennent de l’étranger par dizaines de milliers et qui sont éblouis par les beautés de la Suisse, lui offrant une publicité énorme et gratuite… L’Euro 2025 est une réussite totale, au-delà même des espérances de son organisateur, l’UEFA, et attire un tout nouveau public, bien différent de celui des compétitions masculines. Plus de femmes. Plus de familles. Moins d’agressivité. Moins de testostérone.
«Je ne vais plus voir un match de football masculin, ça ne m’intéresse plus. Et Dieu sait que j’aimais y aller», soupire Baptiste, supporter de la Suisse venu en train du canton de Neuchâtel, juste avant le match face à la Finlande à Genève. Pourquoi donc ne suit-il plus le football pratiqué par des hommes? «Franchement, même à la télévision j’ai de la peine. Le jeu est haché, les joueurs désagréables, il y a trop de fric… Toutes ces raisons-là m’ont dégoûté du football petit à petit. Les billets sont chers, vous ne savez pas qui vous allez croiser dans le train en rentrant et je ne m’identifie plus aux joueurs. Certains sont sympas, j’ai toujours eu de l’affection pour Xherdan Shaqiri. Mais je ne me vois plus dépenser 200 francs pour aller voir un match. J’ai regardé le dernier Euro à la TV, j’espère toujours que la Suisse gagne. Mais c’est tout.»
Connaît-il une joueuse de la Nati? «Avant le tournoi, je vais être honnête, non. Même Alisha Lehmann, j’en ai entendu parler, mais je ne peux pas dire que je connaisse ses qualités de footballeuse. Mais là, avec l’Euro en Suisse, je m’y intéresse. J’aime beaucoup Lia Wälti par exemple.»
La «fraîcheur» de ces «filles géniales»
Baptiste n’est pas le seul à découvrir le football féminin cet été à l’occasion de cet Euro, lequel met une lumière formidable sur ce sport. Des milliers de Suissesses et de Suisses s’y sont mis et découvrent la «fraîcheur» de ces «filles géniales», Smilla Vallotto et son franc-parler en tête. Sa réaction ultra-spontanée après le match nul contre la Finlande au micro de Christophe Cerf, le reporter de la RTS, a fait sensation («Je m’en bats les couilles, on est qualifiées!»).
Et, globalement, le public voit que ces joueuses sont plus accessibles et, en une phrase, se prennent moins la tête que leurs homologues masculins. Le constat n’est pas nouveau, mais il éclate désormais en pleine lumière grâce aux projecteurs de l’Euro. Car oui, des filles jouaient au foot ces dernières années en Suisse et n’ont pas attendu juillet 2025 pour le faire.
«On a toujours su que le foot féminin était super. Tous les gens et les journalistes qui nous ont suivi depuis vingt ans savent que c’est sympa et qu’il y a une superbe ambiance», sourit l’une des grandes pionnières du football féminin «moderne», Linda Vialatte. Emblématique présidente du club féminin d’Yverdon, elle se démène depuis des dizaines d’années dans un relatif anonymat et est l’une des personnes les plus légitimes pour recevoir un peu de l’amour du peuple suisse depuis deux semaines.
L’émotion de Linda Vialatte, la pionnière en Suisse romande
«D’un point de vue personnel, je trouve cet engouement incroyable. J’ai pleuré à Genève durant presque tout le match. Ce n’est pas possible de voir ça. J’avais la bouche ouverte tout du long et j’étais très très émue. C’est une satisfaction extraordinaire», explique-t-elle aujourd’hui, avec une émotion encore largement perceptible dans la voix. Elle qui a donné de son temps (et comment…) depuis la fin du XXe siècle pour que le football féminin se développe en Suisse romande se retrouve désormais submergée par une marée rouge et blanche.
La différence? L’Euro, bien sûr. «Avant, il manquait ce gros événement. Ce tournoi va faire énormément de bien à toutes ces filles qui font du foot. Avant, il y avait des gens qui s’intéressaient, mais qui n’osaient pas le dire. Cet Euro ouvre les portes aux familles, aux jeunes femmes et aux jeunes hommes. C’est super», assure l’Yverdonnoise.
Autre grande figure du football féminin, Pia Sundhage a exprimé son immense fierté après la qualification de la Suisse pour les quarts de finale et celle-ci ne concernait pas (seulement) le résultat. «Ce dont je suis la plus fière, c’est que dans les jardins de ce pays, des petites filles et des petits garçons vont désormais pouvoir s’identifier à Iman Beney et Lia Wälti», s’est réjouie la Suédoise. Au stade, à Bâle, Berne et Genève, des hommes portent des maillots au nom de «Xhaka» et «Schär», mais aussi désormais floqués «Reuteler» et «Calligaris». Une nouveauté totale, en tout cas à cette ampleur.
«Ces moments, je les avais rêvés et espérés»
Une autre femme qui a bien failli pleurer ces derniers jours s’appelle Noémie Beney. Ancienne joueuse de l’équipe de Suisse, elle a elle aussi connu les matches disputés devant des dizaines de personnes, voire des centaines pour les grosses affiches. Alors, quand elle voit des stades pleins, et 30’000 personnes qui se lèvent pour chanter l’hymne national, elle a les frissons même en en reparlant plusieurs jours après. «Ces moments, je les avais rêvés et espérés, mais ce tournoi a dépassé toutes nos attentes. Bien sûr qu’on a vu que tous les billets étaient vendus, mais on avait peur que les gens ne se déplacent quand même pas. Pour dire la vérité, on ne savait pas à quoi s’attendre. Et là, rien que d’y repenser, j’ai les larmes qui montent aux yeux. Et le mot qui me vient en premier en tête, c’est: enfin.»
La Nord-Vaudoise ne ressent en effet aucune jalousie, bien au contraire. Aujourd’hui intégrée au staff de la Nati en tant que «talent manager», c’est-à-dire responsable du suivi et du développement des plus jeunes joueuses, la tante d’Iman vit cet Euro au plus près du terrain. «Et je suis hyper heureuse de voir ce qui arrive en ce moment pour les joueuses. C’est un processus permanent. Avant ma génération, des femmes se sont battues. Puis cela a été à notre tour. Et puis aux suivantes. Et les filles d’aujourd’hui vont encore se battre pour les prochaines. Le développement du football féminin est exponentiel. Il ne faut pas se leurrer, il a été longtemps bloqué par les hommes, je n’hésite pas à le dire. Mais aujourd’hui, il grimpe.» Et il est inarrêtable, comme le dit un slogan de l’UEFA.
Alors, ces joueuses sont-elles vraiment plus «fraîches» que les hommes? Ou cette perception est-elle une vue de l’esprit, du fait que le grand public les découvre aujourd’hui seulement? Sandy Maendly a forcément un regard pertinent sur la question, elle qui est l’une des meilleures joueuses de l’histoire de la Nati et occupe désormais le rôle de consultante auprès de la RTS. «C’est vrai que je suis passée de l’autre côté du miroir. Et je pense que c’est une réalité. Les joueuses qui arrivent aujourd’hui en équipe nationale n’ont pas été formatées.
Elles ont suivi un parcours de haut niveau, mais elles ont encore quelque chose de différent. Les plus jeunes, elles, n’auront pas forcément connu autre chose, donc il faudra voir comment ça évolue. Mais les joueuses d’aujourd’hui, de par leur parcours de vie et de footballeuses, n’ont pas forcément eu les mêmes rêves et les mêmes perspectives que les garçons, donc elles vivent les choses différemment. Avec plus de fraîcheur et moins de distance, le mot est juste.»
Faut-il comparer avec le football masculin? La réponse est non
Il n’en reste pas moins que les Norvégiennes ont eu un comportement désagréable lors du premier match face à la Suisse, multipliant les pertes de temps et les simulations, un peu comme l’Islande d’ailleurs. Il n’existe évidemment pas un football masculin 100% sale et un homologue féminin 100% propre. Personne, d’ailleurs, ne se hasarde sur ce terrain. Mais Lia Wälti, capitaine de la Nati, a un regard très critique et très clair sur la question: «J’ai envie que le football féminin se développe. Mais pas qu’il prenne le chemin du football masculin. Je n’aime pas ces comparaisons», a-t-elle encore lâché cette semaine en conférence de presse à Thoune.
Noémie Beney approuve. «Lia a complètement raison. Le football féminin ne doit pas être un copier-coller du football masculin, il doit garder son identité et ce qui fait sa force. Avant, on disait que le football masculin et le football féminin étaient différents, avec une connotation péjorative pour les filles. Aujourd’hui, ce mot a une connotation positive, parce que l’on dégage d’autres valeurs, que l’on doit cultiver et conserver.»
Sandy Maendly rejoint totalement ses deux collègues footballeuses, d’autant que l’argent commençant à affluer (encore gentiment, mais quand même) dans le football féminin, les effets pervers pourraient commencer à débarquer en parallèle. «Oui, c’est une crainte. On n’atteindra jamais les montants du football masculin, il ne faut pas se leurrer, mais quand même, les revenus augmentent déjà. Oui, le risque d’une dérive existe et il va falloir bien gérer cette évolution.»
Le fric arrive, les problèmes aussi?
Noémie Beney est d’accord. «Je ne sais pas comment on peut faire pour lutter contre ça. A chaque fois que je le peux, je parle aux jeunes joueuses, je les mets en garde. Mais oui, c’est un challenge pour les années à venir. Les plus jeunes doivent se rappeler d’où l’on vient et ce qui fait notre force.» Une joueuse comme Iman Beney peut-elle prendre le «courgeon» en signant à Manchester City et en voyant les livres sterling arriver en nombre sur son compte en banque? Qui sera là pour la freiner et si l’envie lui en prenait, lui éviter d’inviter des nains à sa soirée d’anniversaire, pour rester dans l’actualité?
Mais aujourd’hui, en tout cas, les filles jouent au foot «pour jouer au foot», en exagérant un peu. Ainsi, la joueuse de couloir Nadine Riesen a lâché une petite phrase en apparence innocente ce mardi lorsqu’elle a été invitée à dévoiler le discours de motivation d’Alisha Lehmann avant le mach contre la Finlande. «Alisha nous a simplement dit que nous avions rêvé de ce moment quand nous étions petites, que nous nous étions battues pour, et que nous devions en profiter». Des paroles qui n’existent plus, ou vraiment à la marge, dans le football masculin.
Le beau geste de Smilla Vallotto
Autre exemple de fraîcheur, signé Smilla Vallotto, encore elle. Après le match face à la Finlande, la Genevoise aperçoit une fillette qui lui demande son maillot. «Mais je l’avais déjà promis à mon frère… Alors, je lui ai donné mes chaussures. Une bonne paire, avec laquelle je me sentais à l’aise. C’est un beau cadeau je crois», a souri la tornade Smilla. A voir le sourire énorme de la jeune fille, la joueuse a visé juste. «Si on peut faire plaisir à une enfant et lui donner envie de devenir footballeuse avec un petit geste, pourquoi s’en priver?»
Quelques semaines auparavant, à Salt Lake City, les footballeurs de la Nati ont dû se faire prier, à l’exception notable de Dan Ndoye, pour aller saluer la poignée de supporters ayant effectué le long et coûteux déplacement jusque dans l’Utah. Même comportement à Nashville quatre jours plus tard. De quoi désoler les fans de la Nati masculine, qui ne demandent rien d’autre qu’un petit geste de la main, un selfie, voire peut-être de temps en temps un maillot. «J’espère que ce sera toujours le cas chez les filles. On doit y veiller», insiste Noémie Beney.
Alors oui, aujourd’hui, et pour combien de temps encore, le football féminin est plus «pur» ou, en tout cas, épargné par une bonne partie des dérives qui frappent son grand frère, sans tomber non plus dans l’angélisme. Des querelles de vestiaires, il y en a. Les guerres d’ego existent. Les jalousies aussi. Et des joueuses comme la Norvégienne Ada Hegerberg et l’Espagnole Aitana Bonmati mettent énormément de distance avec les médias, mais aussi avec le public, étant devenues de véritables «marques» part entière, sur les réseaux sociaux et dans la vie. «Ces deux joueuses sont dans une autre sphère, c’est sûr», reconnaît Sandy Maendly.
Le Barça attire plus de 90’000 personnes au stade
Le football féminin espagnol, justement, a connu une envolée spectaculaire de sa popularité ces dernières années et a plusieurs longueurs d’avance sur ce qu’il se passe aujourd’hui en Suisse. Il est donc intéressant d’observer son évolution, car elle pourrait ressembler à ce qui menace le football féminin helvète. Le scandale planétaire autour de Luis Rubiales, accusé d’agression sexuelle pour avoir embrassé de force une joueuse, n’a en rien diminué l’enthousiasme et le FC Barcelone a attiré voilà une année… 91’648 spectatrices et spectateurs pour un match de Champions League féminine.
«Pour moi, il y a deux moments clés, assure Sara Gutiérrez Alcaraz, journaliste à RTVE. Le premier? «Quand le Barça a commencé à gagner ses premiers titres, à partir de 2021. Même si c’est un club et non la sélection, il y a tellement de joueuses du Barça en équipe nationale que les supporters du Barça sont aussi allés voir la Roja. Le deuxième moment, c’est la Coupe du monde. Ce tournoi a tout changé. On était en Australie et on nous disait qu’ils installaient des écrans géants dans les rues espagnoles pour suivre les matchs. On se demandait si c’était réel, parce que ça n’était jamais arrivé.
Les horaires n’étaient pas pratiques, mais malgré ça, les gens ont commencé à vraiment s’enthousiasmer pour la sélection. Je pense que même si elles n’avaient pas gagné, le public serait resté. Mais le fait qu’elles aient gagné a tout changé. Beaucoup d’enfants ont commencé à jouer au foot après avoir vu les championnes du monde. Les médias ont commencé à leur réserver plus de place, que ce soit à la radio, à la télé ou dans la presse écrite. Ça a vraiment pris une nouvelle dimension.» Plusieurs joueuses sont devenues des stars, mais, pour ce qui est du championnat, rien n’a vraiment changé.
«Pour les petites équipes, c’est très différent que pour le Barça ou le Real, enchaîne la journaliste espagnole. Généralement, 100 à 200 spectateurs viennent pour ces petits clubs. Granada, Tenerife, Levante-Badalona, le Madrid CFF, l’Espanyol, le Deportivo, Valence… Pour tous ces clubs-là, ça reste difficile d’attirer du monde. Le Barça, c’est vraiment à part. Ils gagnent beaucoup de titres, c’est un grand club, ils jouent la Ligue des champions. Et puis il y a eu un moment où l’équipe féminine marchait très fort alors que l’équipe masculine ne gagnait rien. Du coup, beaucoup de fans du Barça masculin se sont dit: ‘Allons voir les filles qui, elles, gagnent!’»
Dans un grand stade, c’est mieux
Le fait de jouer dans des grands stades aide aussi, ce qui est le cas en Suisse, sans que ce soit une règle d’or pour autant. Young Boys, par exemple, n’a pas encore pris la décision d’appeler son équipe féminine Young Girls, mais fait office de pionnier puisque tous les matches se jouent au Wankdorf. Ainsi, le public s’habitue, prend ses repères, et vient toujours plus nombreux. Les matches décisifs pour le championnat ont été vécus en direct au stade par 10’000 personnes, soit un tiers de la capacité de l’enceinte.
Mais Servette, la grande référence sportive en Suisse ces dernières années, échoue pour l’instant complètement à capitaliser sur les résultats de son équipe. La demi-finale de Coupe face à Bâle a attiré quelques centaines de personnes, perdues dans l’immensité du Stade de Genève. Et, quelques jours plus tard, le quart de finale de championnat contre GC s’est joué devant 80 personnes sur le terrain annexe du stade de Chênois…
Mais voilà que cet Euro arrive et que la lumière qu’il envoie espère servir de «boost» pour tout le monde. Encore faut-il savoir faire fructifier cet héritage, ou cette «legacy», comme l’appelle officiellement l’Association suisse de football. «La Nati a fait un entraînement public avant le tournoi, il y avait 300 personnes à Zurich. Les premiers résultats ont été bons, cette équipe plaît, et il y avait 4000 personnes pour le même événement deux semaines après à Berne. C’est top, encourageant, il se passe quelque chose», se réjouit Sandy Maendly.
De là à dire que les spectatrices et spectateurs se rueront dans les stades pour voir jouer Bâle, Lucerne, Saint-Gall, Thoune et Servette, il y a un pas difficile à franchir… d’autant que quasiment aucune des joueuses de la Nati ne joue en Suisse. Iman Beney, l’une des joueuses les plus populaires, va partir pour Manchester City, et le championnat suisse n’accueillera qu’une poignée des héroïnes de cet été. Difficile de capitaliser sur l’euphorie naissante autour de cette équipe, donc.
L’équipe de Suisse sera plus suivie, c’est une certitude
«Honnêtement, j’espère surtout que l’engouement autour de l’équipe de Suisse va rester très élevé. Sincèrement, ça, je peux y croire et cela doit être un objectif de l’ASF. Il faudra encourager cette équipe cet automne et les prochains mois aussi, elles vont tenter de se qualifier pour la Coupe du monde au Brésil, il y a une belle histoire à écrire avec toutes ces jeunes qui performent et les anciennes qui les encadrent», espère Sandy Maendly.
Pour le championnat, par contre, cela s’annonce plus aléatoire. Laquelle des 10’000 personnes qui a marché de la gare de Lancy Pont-Rouge jusqu’au Stade de Genève jeudi dernier ira-t-elle voir un match de Servette? Sans même parler des téléspectateurs… Linda Vialatte, en tout cas, va continuer ses efforts du côté d’Yverdon. Sans relâche, comme toujours. «On espère très fort que cet enthousiasme ne va pas retomber après le tournoi. Il se peut que l’engouement soit un feu de paille, mais je n’y crois pas, et je suis convaincue qu’une partie des gens qui ont découvert la spontanéité et la fraîcheur du football féminin vont venir nous voir.»
Des ambitions irréalistes?
Mais les clubs doivent s’en donner les moyens, à l’image d’Yverdon Sport qui a annoncé un «plan stratégique à sept ans» avec des objectifs très ambitieux. Le club nord-vaudois veut avoir plus de 900 filles au sein de son mouvement, et une moyenne de 2000 spectateurs en saison régulière, 3500 en play-off. Soit à peu près le public qu’a attiré la saison dernière son équipe masculine en Super League. YS a professionnalisé le contrat de son entraîneur Arnaud Vialatte, désormais entraîneur-manager et consacré à 100% sur sa tâche.
«On a déjà vu à Yverdon que les matches des finales ont amené du monde au stade, assure Linda Vialatte. Jeudi au Stade de Genève contre la Finlande, j’ai vu des personnes qui habitent le Nord-Vaudois et qui ne viennent jamais voir les filles. C’est super. Je leur ai dit: ‘J’espère qu’on vous verra au Stade municipal’et ils ont rigolé. Ça montre de l’intérêt pour le sport féminin. La principale chose à souligner est que si on donne la possibilité aux jeunes femmes de performer, avec un staff professionnel, un préparateur physique ou de bonnes conditions d’entraînement, elles progressent. On voit depuis dix ans que les clubs qui ont professionnalisé leurs structures proposent un spectacle bien meilleur.»
En Suisse, comme en Europe, d’ailleurs, ce que ne manque pas de relever Sandy Maendly. «Il y a vraiment eu un saut de qualité dans le football féminin depuis quatre ou cinq ans, je dirais. Les filles s’entraînent mieux, donc jouent mieux, et le spectacle s’améliore. On le voit dans cet Euro avec des super matches.»
Là où certains matches pouvaient être pénibles à regarder, y compris à plus haut niveau, voilà encore quelques années, le tournoi actuel a offert des oppositions magnifiques, même lors de matches sans enjeu. Ainsi, le match entre la Pologne et le Danemark a été extrêmement spectaculaire, avec des buts splendides, alors que les deux équipes étaient déjà éliminées avec zéro point. Bien des gens qui ont découvert le football féminin lors de cet Euro ont considérablement changé d’avis, à l’image du journaliste du «Matin» Nicolas Jacquier, lequel l’a avoué avec beaucoup d’auto-dérision et pas mal de courage dans un édito très récent intitulé: «Je trouvais ça nul, mais le foot féminin, c’est génial.»
Dominique Blanc y croit depuis le début
Un homme qui lui est convaincu depuis longtemps que le «fote féminin», c’est génial, s’appelle Dominique Blanc. Bonne nouvelle pour le football de ce pays, le Vaudois est président de l’Association suisse de football depuis 2019 et c’est en (très) grande partie grâce à lui que l’Euro se joue aujourd’hui de Genève à Saint-Gall. Linda Vialatte, qui sait reconnaître les vrais bienveillants de la première heure par rapport aux opportunistes d’aujourd’hui, salue le personnage.
«Je lui ai envoyé un message pour le remercier d’avoir cru en nous. On a travaillé longtemps ensemble quand il était président à l’Association cantonale vaudoise de football. Il a toujours été pro-football féminin et on lui a donné l’envie de se battre. Il a été au bout de son rêve… et du nôtre. On ne peut être qu’heureux et lui dire merci», relève l’historique présidente d’Yverdon Sport Féminin. Le principal intéressé ne veut évidemment pas tirer la couverture à lui, même s’il le mériterait, et salue surtout la formidable réussite de cet Euro.
«Le résultat dépasse nos attentes. Il faut être clair: on n’imaginait pas qu’il y aurait une telle euphorie en Suisse», avoue-t-il, surpris de l’engouement et prompt à répondre dans un sourire à Pia Sundhage, laquelle avait chambré le peuple suisse quelques jours plus tôt. «Je ne pensais pas que les Suisses étaient capables d’être aussi exubérants», a taquiné la Suédoise. De quoi faire sourire Dominique Blanc, lequel croit à la sincérité des fans, tout comme à celle des joueuses. «Je crois qu’il y a une authenticité de l’engagement sur le terrain que l’on ressent depuis les tribunes.»
Se pose alors, et fort logiquement, la question de l’héritage, qu’il soit populaire, médiatique ou sur le plan des infrastructures, le gros point de développement du football féminin aujourd’hui. Si des dizaines, des centaines ou des milliers de filles s’inscrivent à la rentrée dans un club suisse, il y a de forts risques qu’elles ne soient pas acceptées. Il manque des entraîneurs et entraîneures, mais la tendance est à la hausse.
«On est entrées dans la brèche, mais…»
Le gros souci: il manque des terrains et des vestiaires. Et ça, ça ne se règle pas en trois semaines. Linda Vialatte le sait particulièrement bien. «Il va falloir serrer les rangs, pour que l’héritage perdure dans les clubs. C’est comme dans l’histoire des femmes de manière globale: on est entrées dans la brèche mais il faut continuer à lutter. Quand on voit que TF1 a préféré diffuser Chelsea-PSG plutôt que le match de l’équipe de France féminine… Il ne faut pas se dire que c’est acquis», grince l’Yverdonnoise.
Car oui, TF1, comme d’autres médias, dont Blick bien sûr, est une entreprise commerciale, qui cherche à faire le plus d’audience possible afin d’optimiser ses revenus. Le match du PSG a attiré 4,8 millions de téléspectateurs sur TF1, contre 2,3 pour celui des Françaises sur France 2. Aujourd’hui, c’est indéniable, le football masculin attire plus de monde que le football féminin et génère énormément plus de revenus. L’UEFA rend ses chiffres publics et les rentrées monétaires d’un Euro masculin dépassent le milliard de dollars. Or, Nadine Kessler, directrice du football féminin à l’UEFA, a participé à une conférence de presse à Nyon, juste avant le début de l’Euro, où elle a dévoilé que le tournoi féminin serait déficitaire de 20 à 30 millions d’euros.
Avec l’Euro 2025, l’UEFA perd de l’argent
Aujourd’hui encore, malgré le succès phénoménal du tournoi et le record de billets vendus, l’UEFA organise donc l’Euro à perte. Pourquoi? Parce que les billets sont moins chers, que les sponsors paient moins, que les droits TV sont moindres et que les primes versées aux joueuses augmentent. En 2025 encore, l’UEFA doit faire preuve de volontarisme et accepter de perdre de l’argent pour enclencher le mouvement. Le but: créer un mouvement «inarrêtable» et grignoter chaque jour un peu plus de chemin. La route est encore longue, les défis nombreux, mais elle est tracée.