«Jamais un club de 3e division n’a disputé la finale de la Coupe de Suisse de football. Le 1er juin, ce sera donc exceptionnel», relève fièrement Mario D’Uva, team manager du FC Bienne. Face au FC Bâle, champion, le modeste club de la cité bilingue n’aura pas la partie facile.
Ce que l’on peut d’ores et déjà exclure, en cas de victoire bâloise, c’est l’idée d’un FC Bienne européen cet automne. Les règlements de l’UEFA ont changé, favorisant désormais les viennent-ensuite derrière les deux leaders de Super League qualifiés en Ligue des champions. Un soulagement au fond, si l’on s’arrête sur les moyens dont dispose le club. Bienne est devenue une ville de hockey. «En termes de budget, on ne peut pas comparer le hockey et le foot, soutient Mario D’Uva. Le HCB jouit d’un budget annuel de 20 millions de francs et le FC Bienne de 1,1 million, juniors inclus, ce qui laisse à l’équipe première environ 800 000 francs. Le hockey est clairement devant.»
Enceinte moderne remarquablement équipée, la Tissot Arena, temple de béton érigé en 2015, abrite une patinoire de 6400 places et un terrain de foot doté de 5200 places. Tout autour, des terrains d’entraînement essentiellement synthétiques, où garçons et filles se dépensent sous le regard intransigeant de quelques dizaines de parents massés derrière le grillage, convaincus du talent hors norme de leur progéniture.
Mario D’Uva s’en amuse. Il se rappelle un garçon pétri de talent «que son père couvait tellement qu’il venait en personne l’attendre après l’entraînement pour lui porter son sac». «Il se prenait déjà pour une star à 15 ans... Ingérable! Il n’a jamais joué plus haut qu’en 3e Ligue.» Mario D’Uva a des principes. Pour ce fier transalpin, le respect, ça se gagne. Né à Bienne, il est ici chez lui. Un vrai pilier que cet inconditionnel de la Juventus que l’on surnommera Super Mario, même s’il n’en a ni la casquette rouge, ni la moustache, ni la salopette bleue.
Une pelouse fragile
Voilà plus de cinquante ans qu’il a débarqué au club. Dans les méandres bétonnés de la Tissot Arena, il est le maître des clés. On découvre grâce à lui des installations de tout premier plan. Le revers de la médaille? «L’équipe première n’a pas le droit de s’entraîner sur le terrain principal, à cause du type de pelouse naturelle, trop délicat, soupire-t-il. Une surface synthétique va la remplacer. Je ne suis pas fan, mais au moins, les joueurs pourront s’entraîner dans le stade...»
Si la Tissot Arena a 10 ans, impossible de ne pas évoquer le mythique Gurzelen, qui fut le jardin du FC Bienne durant cent treize ans (!) et le théâtre d’exploits. «En 2011, on avait éliminé le FC Bâle en quarts de finale de la Coupe avant de céder contre Sion», se remémore Mario D’Uva.
«Le Gurzelen, c’est toute ma jeunesse. A la sortie du stade, il y avait un restaurant type carnotzet où les gens se bousculaient. C’était super convivial. La Tissot Arena, c’est juste un stade.» On se demande d’ailleurs bien pourquoi l’enceinte porte encore le nom de cette marque qui, à l’instar des grands groupes horlogers présents à Bienne, ne figure pas parmi les sponsors principaux de l’équipe de foot. Une bizarrerie.
Au Gurzelen, le football a laissé la place à une quarantaine de projets communautaires dont un vaste jardin potager, un cinéma en plein air, un terrain de tennis sur herbe, une buvette associative ou encore un atelier de réparation de vélos. Autre ambiance.
Pas de promotion
Au club depuis deux ans, le coach Samir Chaibeddra fait un sacré boulot. Il a réussi à insuffler un nouvel état d’esprit, enterrant les vaines rivalités qui pourrissaient le climat entre jeunes joueurs arrogants, instaurant aussi plus de respect entre Alémaniques et francophones. Sans un sérieux coup de mou lors des dernières journées de championnat, le FC Bienne pouvait sérieusement envisager la promotion en Challenge League. C’était l’objectif numéro un. Il n’en sera rien. «La 1re Ligue Promotion est un championnat très difficile, souligne Mario D’Uva, parce que, en fin de saison, un seul club accède à la Challenge League.» L’intersaison sera donc agitée, nombre de joueurs biennois ayant déjà été approchés par d’autres clubs en vue de transferts.
D’ici à la finale de dimanche, il s’agira de se remobiliser. «L’ascension en Challenge League aurait généré un sentiment d’euphorie précieux pour disputer ce match historique», souligne-t-il à regret.
Série noire
Plusieurs drames ont ponctué la vie de Super Mario. Premier écueil à 17 ans: on lui diagnostique une thrombose... au bras droit. «J’ai dû être opéré d’urgence, avec interdiction de jouer pendant un an. Quand j’ai repris, à Aurore, j’ai très vite eu des problèmes de chevilles, puis de ligaments. A 18 ans, j’ai dû abandonner l’idée de devenir joueur pro et j’ai commencé les cours d’entraîneur. Je suis retourné à Bienne comme assistant pour m’occuper des juniors. J’ai obtenu mes diplômes et je suis resté vingt-cinq ans à me charger de la relève.»
«Je n’ai pas pu faire carrière comme joueur, mais j’ai la satisfaction d’avoir emmené des jeunes au haut niveau.» Parmi eux: l’inimitable Raphaël Nuzzolo (41 ans), un vrai Biennois dont la carrière s’est arrêtée à l’été 2023, laissant une trace indélébile dans l’histoire de Neuchâtel Xamax où il a inscrit 137 buts en 488 apparitions.
«Le football, c’est ma vie, ma passion», insiste Mario D’Uva, qui cache une blessure profonde remontant à ses 20 ans. Un drame qu’il n’évoque pas volontiers, survenu sur la route des vacances en Italie. Il avait pris le volant de sa petite Fiat Mirafiori encombrée de bagages. Sa sœur et ses parents étaient à bord. En chemin, la famille fait prudemment une halte à Côme. La suite? Une roue qui explose sur l’autoroute et l’accident, terrible. La sœur et la maman de Mario y laissent la vie. Le père, grièvement blessé, survivra. Mario s’en sort indemne, si l’on peut dire.
«Je n’avais plus goût à rien, avoue-t-il. Les gens du club m’ont permis de reprendre pied, de me reconstruire. Je me suis senti soutenu.» L’homme est aussi attachant qu’il était exigeant avec les juniors, dit-on. Il ne tolère pas les caprices. En dépit de belles histoires d’amour, il n’a pas eu d’enfant lui-même, «mais j’en ai eu des volées en tant que coach». Il ne s’est jamais marié non plus.
Polyglotte, il confie avoir fréquenté à Bienne l’école italienne d’abord, puis francophone à l’âge de 12 ans. «Le suisse-allemand, je l’ai appris durant mon apprentissage d’installateur sanitaire.» Mario D’Uva n’a cependant jamais quitté le monde du football. En voyant son club éliminer cette année en Coupe de Suisse le voisin Neuchâtel Xamax, Lugano et Young Boys, il a vécu une campagne inoubliable.
Mahir Rizvanovic, 19 ans, solide défenseur genevois formé au FC Meyrin puis au Servette FC, arrivé à Bienne le 1er juillet 2024, et l’attaquant lausannois Malko Sartoretti, meilleur buteur de la Coupe de Suisse cette saison, veulent croire en leurs chances face à la bande à Shaqiri: «On a bien réussi à vaincre Lugano et YB, pourquoi ne pas récidiver avec Bâle?»
«On se bat les uns pour les autres avec l’ambition de réaliser de grandes choses, insiste Mahir Rizvanovic. C’est notre force.» Cela suffira-t-il pour ramener le trophée à Bienne? Sait-on jamais.
Cet article a été publié initialement dans le n°22 de L'illustré, paru en kiosque le 30 mai 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°22 de L'illustré, paru en kiosque le 30 mai 2025.