Etait-ce son cadeau de départ? Noë Dussenne, en tout cas, n’a jamais lâché Beyatt Lekoueiry depuis l’arrivée du talent mauritanien à Lausanne. «Beyatt, good player! Good goal!» a ainsi crié à plusieurs reprises l’exubérant défenseur belge dans les couloirs de l’Astana Arena jeudi soir, alors que son coéquipier tentait de répondre en anglais aux journalistes kazakhs. Visiblement encore un peu timide, le milieu offensif du LS s’est contenté de sourire, sans répondre à Noë Dussenne, et en essayant de reprendre le fil de ses interviews.
Le chambrage permanent de Noë Dussenne
«Je pense qu’il est content que je marque», a souri Beyatt Lekoueiry, âgé de 20 ans à peine, en révélant que son aîné n’arrête pas de le chambrer à l’entraînement. «Il me dit toujours que je n’ai aucune finition devant le but! A chaque séance j’y ai droit… Mais avant les matches, il m’encourage, il me dit que je vais marquer.» L’a-t-il encore fait ce jeudi avant d’affronter le FK Astana? «Oui, bien sûr. Il m'a défié!» Alors, quand le jeune Mauritanien a marqué le 1-0 face aux Kazakhs, avec énormément de sang-froid qui plus est, il s’est précipité vers le numéro 6 du LS pour célébrer avec lui.
«C’est mon premier but avec Lausanne, c’est spécial. En plus, il est important!». Et comment! Si les Vaudois n’avaient pas ouvert la marque, juste après la pause, qui sait ce qui aurait pu se passer lors de ce troisième retour de Conference League? Cette réussite a complètement assommé les Kazakhs et, de facto, offert la qualification au Lausanne-Sport. Encore mieux: ce but n’est pas venu de nulle part, mais bien d’une magnifique combinaison offensive, qui prouve que les automatismes sont déjà là, même en ce tout début de saison.
«On a une mentalité très collective. On fait tout ensemble, même à l’entraînement, on prépare des actions comme ça, à deux ou à trois. L’un fait la passe, l’autre finit, c’est comme ça», confirme le Mauritanien au sujet de son excellente entente avec Kaly Sène et Gaoussou Diakité, mais aussi les autres attaquants comme Alban Ajdini et Nathan Butler-Oyedeji.
Le temps de s'adapter, sans pression
Si Beyatt Lekoueiry est un joueur important en ce début de saison, et se trouve aussi bien avec ses coéquipiers, c’est parce que ses dirigeants lui ont très intelligemment laissé le temps de s’adapter. Arrivé cet hiver d’Istra, en Croatie, le talentueux meneur de jeu a été présenté comme le successeur d’Alvyn Sanches, ce qui aurait pu lui mettre un peu de pression. Mais, dans le même temps, Stéphane Henchoz a tout de suite insisté sur la nécessité de lui donner plusieurs mois afin d’appréhender le changement de pays et de championnat.
Même lorsque le joyau du LS s’est blessé, en mars, son «héritier» n’a pas été propulsé sur le terrain avec de trop grosses responsabilités. Ludovic Magnin l’a fait jouer, et il n’a de loin pas toujours été brillant, mais il n’a pas été jugé sur ses performances mitigées. Au contraire, elles ont même été perçues comme des étapes obligatoires dans sa progression.
Un contrat jusqu'en 2028 à Lausanne
Le Mauritanien lui-même se montre reconnaissant envers le club à ce sujet. «J’avais parlé à tout le monde avant de signer à Lausanne, ils m’avaient tout bien expliqué. Tout était clair.» Tout est toujours plus simple quand la communication est franche et le talent n'a pas hésité à signer un contrat valable jusqu'en 2028. Le LS aurait d'ailleurs déboursé une somme estimée à deux millions de francs pour le faire venir (le club ne confirme jamais les sommes en public), ce qui démontre une grande confiance dans ses qualités.
Un homme qui le connaît bien s'appelle Paolo Tramezzani, l'homme qui l'a entraîné au NK Istra avant qu'ils partent quasiment en même temps pour le canton de Vaud au mois de janvier. Beyatt Lekoueiry a signé à Lausanne, l'Italien un peu plus au nord à Yverdon, et ils se sont revus avec plaisir. «Beyatt est arrivé fin août en Croatie, c'était la première fois qu'il sortait de son pays et je l'ai fait jouer tout de suite, je m'en rappelle très bien. Il m'a rendu cette confiance, il a été vraiment bon. Il a de très très grandes qualités», assure Paolo Tramezzani.
Paolo Tramezzani l'a aidé à s'adapter à l'Europe
Le pense-t-il de taille à devenir le successeur d'Alvyn Sanches? La réponse est oui. «C'est un vrai 10, c'est le poste où il peut le mieux s'exprimer. Il peut aller très haut, mais il a besoin de soutien. Imaginez: un garçon né en 2005 qui débarque de Mauritanie et arrive en Croatie... Ne pas l'aider et le laisser seul aurait été une énorme erreur. Nous l'avons beaucoup soutenu, ce qui est normal. Et nous avons une équipe très jeune. Notre attaque, ce n'était que des joueurs de 20 ans à peine, comme lui. Il s'est senti tout de suite comme à la maison. Si Lausanne fait la même chose, et je suis convaincu que ce sera le cas, Beyatt va performer», enchaîne l'Italien.
Beyatt Lekoueiry n'a lui aussi que des belles paroles pour «Mister» Tramezzani. «C’est lui qui m’a lancé, c’est un grand monsieur, j’ai un grand respect pour lui. Il m’a beaucoup aidé durant mes six mois en Croatie, je suis reconnaissant envers lui», confirme le Mauritanien. «Quand je suis arrivé à Istra, je ne comprenais rien, mais le football, c’est sur le terrain, c’est tout. Mais en Suisse, les gens parlent français, c’est quand même plus facile», admet-il dans un sourire.
Un centre de gravité très bas et un bon dribble
«Beyatt, c'est un joueur spécial, avec de grandes qualités, comme son dribble et son centre de gravité bas. Ce qui me plaît, c'est qu'il est très appliqué à l'entraînement, il est attentif et prêt à fournir les efforts nécessaire pour s'imposer», estime quant à lui Peter Zeidler, son entraîneur actuel, qui le fait jouer seul en numéro 10, mais aussi à deux milieux offensifs, comme à Astana, ce qui a bien fonctionné aussi. Une manière de dire que, peut-être, Alvyn Sanches et lui pourraient même jouer ensemble une fois que l'international suisse sera de retour sur les pelouses.
Il doit gagner en constance, bien sûr
Alors, quelles sont les limites du talentueux jeune homme? Lui-même ne semble pas le savoir. «J’ai travaillé dur pour arriver jusque-là, et ce n’est pas fini. Je veux améliorer ma finition et beaucoup d'autres choses. C’est un travail du quotidien», répond-il, en éludant un peu la question.
Peter Zeidler, lui, a une idée plus précise: la clé sera la répétition des bonnes performances, dans un schéma au fond assez similaire à celui traversé par Alvyn Sanches. Au début de sa carrière pro, le joyau du LS était capable de fulgurances, mais aussi de passer complètement à côté de parties, voire même de plusieurs rencontre d'affilée. Il a ensuite gagné en expérience et en constance, et s'est retrouvé à être décisif quasiment chaque semaine avant sa blessure. Le parallèle avec Beyatt Lekoueiry, de deux ans son cadet, est sans doute là.
Il n'aura pas le temps de souffler en septembre
«Beyatt n’avait jamais débuté un match avec cette intensité», glissait ainsi Peter Zeidler après le match aller face à Astana. Il lui faut donc s'y habituer, progresser encore, tout en étant performant tous les trois jours, mais l'entraîneur allemand le sait déjà: son joueur n'aura pas le temps de se reposer durant la trêve internationale de septembre. La Mauritanie joue en effet deux matches de qualification à la Coupe du monde, face au Togo et au Soudan du Sud.
«Je suis content pour lui», glisse son entraîneur, lequel aurait tout de même préféré que son talentueux milieu de terrain souffle un peu... Le fera-t-il débuter ce dimanche, à La Tour-de-Peilz face à Vevey, trois jours après son but à Astana? Pas impossible...