Leen Heemskerk ne sera pas à Skopje ce jeudi, à son grand regret. «J'aurais aimé vivre ce premier match européen avec l'équipe, mais j'ai de très importants rendez-vous, dont un avec Jim Ratcliffe», confie le président du Lausanne-Sport, par ailleurs Chief Financial Officer d'INEOS. Va-t-il en profiter pour demander une petite rallonge au big boss de l'entreprise britannique en vue de renforcer le LS pour ses prochaines échéances? Il sourit, lui qui a déjà entendu cette question à des dizaines de reprises. «Non, ça ne fonctionne pas comme ça. Mais je suis prêt à expliquer encore une fois comment ça marche entre INEOS et le Lausanne-Sport, pas de souci», répond-il poliment. Le Néerlandais est d'ailleurs redevenu président du club vaudois, une fonction qu'il avait déléguée ad interim au vice-président Vincent Steinmann depuis le mois de mars, afin de se mettre en conformité avec les règles UEFA concernant la multipropriété.
Leen Heemskerk, vous êtes de nouveau officiellement le président du Lausanne-Sport. Mais dans les faits, vous ne vous étiez pas vraiment éloigné du club, si?
Statutairement et officiellement, oui. Vous connaissez le règlement sur la co-propriété. Si Manchester United, Nice et le Lausanne-Sport jouaient la même compétition, on devait le faire ainsi pour avoir le droit de débuter la compétition. Au final, les résultats sportifs ont fait que ce mouvement était inutile, mais on n'avait pas d'autre choix. On aurait aimé jouer la Champions League jusqu'au bout, mais on fera avec la Conference League.
Mais dans quelques mois, vous devrez refaire la même manoeuvre... C'est un peu hypocrite de la part de tout le monde, non? On n'imagine pas que vous n'aviez plus aucun contact avec le LS quand même...
Je suis resté proche du club, parce que je suis d'abord un supporter du LS. Pour le reste, on va voir. J'ai bon espoir que l'UEFA change un peu ses règles ou en tout cas les adapte. Il y a tellement de clubs aujourd'hui qui appliquent ce modèle de copropriété, entière ou partielle, qu'il faudra bien qu'il y ait des discussions. En tout cas, on fera à chaque fois le nécessaire pour être dans les règles. Des gens m'ont demandé si c'était vraiment nécessaire. La réponse est oui, on n'a pas le choix.
On l'a vu d'ailleurs avec Crystal Palace, interdit de jouer l'Europa League parce que John Textor possédait également Lyon.
Exactement. C'est pour ça qu'on a fait ce changement interne et on a bien fait d'être prévoyants.
Le LS va débuter son aventure à travers le continent ce jeudi à Skopje, quinze ans après la dernière, mais vous sentez-vous déjà comme le président d'une équipe européenne? Ou ce terme est-il selon vous réservé à ceux qui arrivent en phase de ligue?
Je vois ce que vous voulez dire. Ce que je peux vous répondre, c'est qu'on veut y arriver, c'est sûr. Déjà, sportivement, c'est très intéressant. Nous voulons jouer chaque match pour le gagner, donc ces qualifications, on les attaque avec l'ambition d'aller au bout. Et puis, dans le but de faire grandir le club, la rentrée d'argent d'une phase de ligue serait intéressante. C'est un peu comme en Coupe de Suisse: les premiers tours ne rapportent pas beaucoup. Mais au bout, il y a une belle récompense. Donc abordons ces deux premiers matches avec ambition.
J'en reviens à ma première question, et je sais que je vous la pose tous les douze mois, mais elle est fondamentale selon moi: quand on voit les sommes dépensées à Manchester United, surtout, et à Nice, déjà moins, n'est-ce pas tentant de demander à Jim Ratcliffe de lâcher un billet ou deux?
Et je vous réponds qu'on doit faire grandir le club pas à pas, en étant patient et en visant le long terme. Déjà, il faut bien dire une chose, qui n'a pas changé: INEOS donne de l'argent au Lausanne-Sport. Et pas qu'un peu. Si le «daily business» tourne, et que le déficit diminue chaque année un peu plus, c'est bien parce que le LS a un partenaire puissant, que ce soit pour l'équipe ou le stade. La réponse à votre question, vous la connaissez: on doit faire entrer plus d'argent, augmenter nos recettes pour nous permettre plus de choses. Pas en demandant de l'argent à INEOS encore et encore.
D'accord, mais un cercle vertueux, cela s'enclenche. Atteindre la phase de ligue de la Conference League, c'est engranger des revenus, c'est augmenter l'attractivité du club. On pourrait imaginer que le LS aurait plus de chances d'y parvenir avec des joueurs plus forts... que vous aviez sous la main d'ailleurs. Je pose ma question autrement: pourquoi n'est-il pas possible d'obtenir une rallonge pour garder Teddy Okou?
Mais de nouveau, parce qu'on regarde plus loin. Acheter des joueurs de niveau Champions League ne garantit pas de gagner la Champions League. Et c'est la même chose à tous les échelons. Aujourd'hui, le Lausanne-Sport a une direction claire et est appuyé par INEOS. On veut grandir, ce qu'on continue à faire, et construire les bases du succès.
Depuis trois ans, c'est indéniable, la progression sportive est réelle. Ascension en Super League, maintien, puis qualification européenne et demi-finale de Coupe. Mais il subsiste un point noir tout de même au niveau du nombre de joueurs de l'académie intégrés à la première équipe, non?
C'est une question de temps et un processus qui va porter ses fruits... et qui le fait déjà, d'ailleurs. C'est difficile d'intégrer la première équipe du Lausanne-Sport et c'est bien que ce soit difficile, cela montre que cette équipe a un certain niveau. Mais Ethan Bruchez, Lorenzo Bittarelli, Souleymane N'Diaye et Sekou Fofana sont proches de ce niveau. Karim Sow, Alvyn Sanches et nos gardiens Thomas Castella et Tim Hottiger, ça compte quand même aussi, non? Nos M21 ont été promus en Promotion League au terme de play-off parfaitement maîtrisés et nous avons prêté beaucoup de joueurs, avec succès, à d'autres clubs vaudois de Challenge League. Nous sommes très contents du travail de Massimo Ceccaroni avec l'académie et la saison dernière a été un très grand succès à ce niveau.
Comment définiriez-vous vos relations avec les autorités lausannoises et vaudoises?
Vaste question! Globalement, je dirais qu'elles sont très bonnes. Nous sommes dans une situation de win-win. La ville a construit un stade de qualité. Et le club aujourd'hui le fait vivre et l'anime. Nous avons parfois des discussions sur le plan opérationnel, mais si l'on voit les choses en grand, alors nous avons de quoi être satisfaits de la collaboration.
Votre vice-président Vincent Steinmann est parfois un peu plus virulent concernant la question des supporters...
Et je le comprends parfaitement. Si nous avons un point sur lequel nous avons une divergence d'opinion avec les autorités vaudoises, c'est probablement à ce sujet. Nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur la question de la responsabilité et oui, je ne suis pas content du tout lorsque la décision est prise de fermer notre stade, complètement ou partiellement, pour des actes qui sont commis en dehors. Ça, oui, ça me fâche, parce que c'est une injustice pour nos supporters et une rentrée d'argent manquante pour nous. Nous sommes pénalisés, y compris sur le plan sportif, parce que les deux fois où c'est arrivé, en plus, nous avons perdu. On part avec un désavantage sur les autres clubs, où les autorités locales sont plus compréhensives. C'est comme si le LS commençait la saison avec trois points de moins.
Restons sur le thème du stade. Vous êtes le président d'une équipe qui joue l'Europe, avec un football souvent attractif, dans une enceinte magnifique et adaptée à sa réalité. Mais La Tuilière est souvent à moitié remplie, ou à moitié vide, je ne sais pas. Comment l'expliquez-vous? Aux Pays-Bas, chez vous, cela n'arrive pas.
Je ne me l'explique pas. On voit encore aujourd'hui lors de l'Euro féminin que la Suisse peut déborder de passion pour le football. Alors, je réponds à votre question en disant: je ne sais pas. J'ai l'impression que c'est sympa de nous voir jouer, nous avons une équipe jeune, attractive, qui a des résultats. Je constate avec dépit que c'est difficile aussi pour Servette et Sion, et que c'est plus facile visiblement en Suisse alémanique. Avoir plus de supporters nous permettrait d'avoir plus de recettes, d'être plus attractifs, de progresser tout simplement. J'ai compris que nous n'aurions pas plus de droits TV en Suisse, mais je vais continuer à me battre pour attirer des supporters supplémentaires.
En plus, avec Peter Zeidler, vous avez engagé un coach excitant...
Oh oui! Et Ludovic Magnin l'était aussi, dans un autre style c'est vrai (rires)!
Avez-vous été surpris par le départ de Ludovic Magnin à Bâle, justement?
Ludovic m'avait toujours dit que si un grand club venait un jour, il demanderait peut-être à partir. Il était très attaché à Lausanne et n'allait pas «partir pour partir». Il est ambitieux, ce qui me plaît chez lui. Et cet été, il m'a appelé et m'a dit: «Président, je peux partir dans un grand club.» Je lui ai dit que j'étais content pour lui, puis il m'a dit que c'était en Suisse. Là, j'ai été surpris. Des grands clubs en Suisse, il n'y en a que deux. Il m'a dit que c'était un des deux. A Lausanne, nous sommes heureux quand un joueur part dans un plus grand club, nous serre la main et nous dit que c'était très bien chez nous. Un coach, c'est la même chose...
Sauf qu'un joueur, vous le laissez partir si l'indemnité de transfert est bonne. Avez-vous été rémunéré pour Ludovic Magnin?
Nous avons trouvé un arrangement. Il n'est pas parti gratuitement.
Ludovic Magnin a atteint tous les objectifs que le LS lui a assignés lors des trois dernières années. Je dois dire que j'ai été surpris cet été lorsqu'aucun objectif n'a été clairement énoncé pour Peter Zeidler. Que sera une saison réussie pour le LS, alors?
Sur le plan des résultats, se battre pour être dans la première moitié du classement et procurer des émotions en Europe, c'est à dire déjà passer ce premier tour, dans l'immédiat, et aller le plus loin possible comme je l'ai dit tout au début de notre discussion. Et puis, continuer à jouer un football attractif, tout en développant nos joueurs et en les faisant progresser.
Mais pourquoi ne pas dire clairement: top 6?
C'est notre ambition. Quand je dis première moitié du classement, je dis top 6. Mais nous avons un nouvel entraîneur, beaucoup de nouveaux joueurs et une équipe globalement plus jeune qu'il y a une année. Et il y a un paramètre important: Ludovic Magnin avait le luxe d'avoir à chaque fois une semaine entière pour préparer son équipe. Là, dès la toute première semaine, c'est semaine anglaise, deux fois de suite! Je n'oublie pas également qu'il y avait voilà quelques mois des joueurs prêts à performer, dont on connaissait la valeur. Cette année, beaucoup ont un grand potentiel, mais sont encore très jeunes. Je pense que le LS sera excitant à voir jouer cette année. En tout cas je l'espère.
Mais certains de ces joueurs, s'ils sont très excitants sur le papier, je vous rejoins, sont en prêt. Je pense à Enzo Kana-Biyik et à Gaoussou Diakité. N'est-ce pas un peu embêtant?
Si on n'avait que des joueurs en prêt, je vous répondrais oui. Mais ce n'est pas le cas. Bryan Okoh a signé, c'est un gros renfort. Brandon Soppy aussi. D'autres également. Nous avons un bon mix de très gros talents en prêt, de joueurs qui se sont engagés chez nous et d'autres qui sont restés.