Hasan s'est brûlé! Visiblement pas encore réveillé en ce mercredi matin, où déjà aveuglé par le soleil tapant très fort, ce spécialiste du café turc a voulu faire un peu trop le malin pour attirer la clientèle dans son échoppe et, s'il essaie de donner le change en public, il n'y a aucun doute: il a approché sa main beaucoup trop près de la plaque de cuisson. Une scène classique de la vie à Istanbul ou Trabzon? Non. Cette petite tranche de vie se déroule à Skopje, capitale hautement multiculturelle de la République de Macédoine du Nord, là où est attendu le Lausanne-Sport pour renouer avec son histoire européenne, quinze ans après ses derniers voyages à Moscou, Prague et Palerme.
A Skopje, il est donc possible -et même recommandé- de boire un vrai café turc, celui avec le marc scotché au fond de la tasse, à deux pas de statues de philosophes grecs montrant le chemin vers le Musée de l'archéologie. Le quartier bulgare est lui aussi là, tout près, et ces multiples influences feraient presque oublier que cette très agréable cité, il y a un peu plus de vingt ans, était yougoslave. Des portraits de Tito et des uniformes ornés de l'étoile rouge viennent rappeler cette réalité et le fait que ce très jeune pays, la Macédoine du Nord, se trouve aujourd'hui littéralement au carrefour de toutes les cultures de l'Europe du sud-est.
Le vieux bazar, à l'atmosphère très détendue et agréable, sympathiquement animé mais sans regorger de touristes, abrite des mosquées et des églises, lesquelles sont distantes de quelques dizaines de mètres à peine. Et, assis à la terrasse d'un café, il suffit de lever les yeux pour apercevoir une croix géante sur la colline, la Croix du Millénaire, plantée au sommet du mont Vodno comme pour rappeler que l’orthodoxie veille sur la Macédoine et Skopje.
Ici, d'ailleurs, quasiment toutes les références à la Macédoine «du Nord» sont gribouillées par la population, que ce soit sur les musées ou les bâtiments officiels. Le «Severna» de «Makedonia», écrit en cyrillique, est très souvent tracé ou tagué, et le conflit avec les Grecs, s'il a été diplomatiquement réglé, n'est visiblement pas encore oublié par tous. Comme souvent dans les Balkans, et dans la région élargie, l'histoire n'est pas simple et les rancoeurs viennent d'assez profond. Et dans le cas de la Macédoine et de la Grèce, les racines du conflit remontent même à la période des grands récits historiques, ceux des conquêtes.
Le brouille, en quelques mots? La Macédoine est une région du nord de la Grèce actuelle, de laquelle est originaire Alexandre Le Grand et est, de facto, une terre richissime en histoire antique. Les deux pays se disputent la paternité du grand homme, l'un des conquérants les plus célèbres de l'histoire du monde. Après des années de dispute, un accord officiel a été trouvé, et même signé, en 2018 pour que la Macédoine, le pays, s'appelle officiellement Macédoine du Nord, tout en effaçant les références à Alexandre Le Grand, lequel ne peut plus être un symbole national, un honneur réservé à la Grèce... et à sa région, la Macédoine. Ainsi, la gigantesque statue de 24 mètres du héros, érigée en 2010 en plein centre de Skopje et toujours bien présente, est désormais baptisée... Statue du Guerrier à Cheval!
Alexandre Le Grand a dû être anonymisé!
Un peu comme si Guillaume Tell ne pouvait être appelé que «Bon type à l'arbalète» ailleurs qu'à Altdorf... On caricature, bien sûr, l'histoire est plus complexe, et il n'empêche que Skopje a dû s'accommoder de ce compromis et continue de faire cohabiter toutes les cultures de la région, à l'image de cette autre statue de deux grands hommes, Kirill et Methodi, les deux frères qui ont inventé l'alphabet cyrillique et permis aux peuples slaves de lire et écrire dans leur langue, et d'avoir accès aux textes religieux.
Ces deux savants sont honorés le 24 mai, un jour saint en Bulgarie pour plusieurs très bonnes raisons, et les voir ainsi représentés à Skopje dit tout de l'atmosphère de cohabitation qui règne dans cette ville que les Albanophones appellent Shkup et les Turcophones Üsküp et où les cafés écrivent leurs menus non seulement dans plusieurs langues différentes, mais aussi au travers de deux alphabets.
Aujourd'hui forte de 500'000 habitants (près d'un tiers de la population du pays), Skopje est toute proche de Pristina (75 kilomètres), de Tirana (150) et de Sofia (175) et pas si loin de Belgrade (320) et d'Athènes (500), ce qui en fait un carrefour pas forcément important, mais en tout les cas symbolique, y compris sur le plan culinaire. Les baklavas turcs côtoient les köfte et les cevapcici typiques des Balkans et la bière locale, la Skopsko, est absolument partout, à toute heure de la journée, tout comme les vendeurs de souvenirs et de «vrais-faux» sacs Louis Vuitton, qui coûtent très certainement vingt fois moins cher ici que sur les Champs-Elysées parisiens.
Skopje vit à son rythme cet été, avec le muezzin qui réveille les touristes très exactement à 5h18 en ce mercredi matin, et la chaleur étouffante (près de 40 degrés en plein après-midi) n'empêche pas de prendre le chemin du stade, bien au contraire. Il faut franchir le Vardar, le fleuve, qui traverse la ville et n'est large que de quelques dizaines de mètres, puis traverser le très joli Parc de la francophonie pour découvrir la National Arena. Celle-ci a le bonheur de se trouver à à peine dix minutes à pied du centre-ville, ce qui est toujours une bonne idée.
Surprise: des dizaines de jeunes venus de l'Europe entière ont pris possession des lieux cette semaine. Une sauteuse en hauteur suédoise s'échauffe sous le regard de plusieurs Slovaques qui attendent leur tour, tandis que des coureurs polonais enchaînent les tours de stade. Le Festival européen de la Jeunesse a en effet pris ses quartiers dans la capitale macédonienne du 20 au 26 juillet, mais le stade, tout de rouge et de jaune, laissera la place jeudi soir au football et à la Conference League, comme l'indique une inscription peinte tout autour de l'enceinte: «Futbalot na prvo mesto». Le football en première place.
Le LS risque d'avoir un peu chaud jeudi soir
C'est ce stade, fort de 30'000 sièges, que découvrira le Lausanne-Sport ce mercredi soir pour la reconnaissance (le trajet sera court, le club vaudois ayant choisi son hôtel à... cinq mètres en face du stade!), à la veille d'affronter le Vardar jeudi. A quoi s'attendre? Sans doute pas à un stade plein, mais il devrait y avoir de l'ambiance tout de même, tant le club macédonien rêve lui aussi de retrouver un peu de sa gloire passée. L'Europe étant le seul moyen d'y parvenir, le LS sera très attendu. Il risque de faire chaud à Skopje jeudi soir!