Jadis, on ne les voyait, armés d’un gros téléobjectif et surtout d’une patience sans bornes, qu’en bout de piste, ou sur la terrasse panoramique de l’aéroport de Genève Cointrin. Eux, ce sont les passionnés d’aéronautique qui font le pied de grue dans les aéroports et autres aérodromes pour s’adonner à l’observation frénétique des avions. Il y a de l’entomologiste chez le spotter. Il traque les immatriculations, les empennages rares, les appareils anciens ou hors normes. Il photographie, il liste, il classe. Il y a aussi du collectionneur Panini chez le spotter. On s’échange les bons tuyaux, on se partage, mais jalousement, les secrets de tarmac. Du moins, ça, c’était avant.
Désormais, une nouvelle fleur de tarmac s’est fait jour, le spotter en ligne. Bénéficiant des données en accès libre sur les avions et leurs trajets, ces détectives de salon ne s’attardent sur le fuselage de la belle Caravelle ou les courbes chaloupées du Boeing 747, mais traquent les avions de potentats ou de célébrités d’un jour ou de toujours.
Name and shame, en somme. Elon Musk a-t-il volé aujourd’hui? Et qu’en est-il de Drake ou de Taylor Swift que l’on sait tous deux rétifs aux lignes régulières? La ligne est fine entre le data journalisme, qui utilise des données brutes pour en tirer des observations et des articles, le plus souvent critiques et à valeur ajoutée, sur un premier ministre français qui prend l’avion de service pour aller voter ou un dirigeant étranger que l’on voit plus souvent que de raison voler vers la Suisse, et le flight tracking stalking qui voit des internautes traquer à la semelle, ou plutôt au fuselage, les moindres mouvements d’une star ou d’un chef d’entreprise. Evidemment, l’époque est à la transparence dont il paraît qu’elle a toutes les vertus. Reste que l’on peut s’interroger légitimement sur ces paparazzis 2.0 et les légitimes limites que la protection de la vie privée et celle des données à caractère personnel devraient poser à cette activité.
La fin de la vie privée?
En France, le laboratoire d’innovation numérique de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui fait usuellement trembler les utilisateurs de données de France et de Navarre, a d’ailleurs récemment consacré un article à ce sujet. A sa lecture, une forme de déception prédomine pourtant, dès lors que la pesée d’intérêts entre la vie privée, d’une part, et l’utilisation de ces données publiques, de l’autre, répétée comme un mantra au fil du texte, ne trouve toutefois pas de réel écho dans l’analyse: les seules voix entendues se déclarent pour un usage très étendu des données.
On peut regretter que d’autres voix, enclines à rappeler les risques et périls qu’il y a à considérer que personne n’a rien à cacher, comme aimait à la soutenir Mark Zuckerberg lorsqu’il annonçait, de manière malheureusement assez prophétique, la fin de la vie privée, ne fassent pas le contrepoids. N’oublions pas, bernés que nous sommes par l’attrait des évidences, que l’équilibre entre les droits fondamentaux est une forme de mobile délicat et que tout déséquilibre le met en danger.
Allez, circulez, ou plutôt volez, il n’y a rien à voir.