La chronique de Quentin Mouron
Reconnaître la Palestine, ou se rendre complice

De nombreux pays occidentaux s’apprêtent à reconnaître un Etat palestinien. Mais la Suisse est freinée par une droite qui trahit sa propre ligne politique, et un ministre des affaires étrangères inféodé à l’extrême-droite israélienne, selon l’écrivain Quentin Mouron.
Publié: 11:52 heures
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Pour l'écrivain Quentin Mouron, la Suisse doit se joindre aux nombreux pays occidentaux qui s'apprêtent à reconnaître un Etat palestinien.
Quentin Mouron
Quentin MouronEcrivain

La France, puis l’Angleterre, le Canada, le Portugal. Ce ne sont que quelques-uns parmi les quatorze pays occidentaux qui ont annoncé leur intention de reconnaître prochainement l’Etat de Palestine. Même l’Allemagne, pourtant si favorable à Israël, semble en passe d’évoluer sur cette question. Et la Suisse? La Suisse doit également reconnaître la Palestine. Pas dans un an. Pas dans dix ans. Immédiatement. Déjà isolée de ses voisins sur le plan économique après l’échec des négociations tarifaires avec les Etats-Unis d’Amérique, il serait inconcevable qu’elle soit aussi isolée sur le plan diplomatique.

Il y a presque vingt ans jour pour jour, les conclusions d’un rapport intitulé «PNF 42+ Les relations entre la Suisse et l’Afrique du Sud» concluait de manière impitoyable: la Suisse, par son refus de se joindre au concert des nations qui appelaient à sanctionner le régime d’apartheid, a en fait contribué à son maintien au pouvoir. Comme le notait alors Jean-Michel Berthoud: «C’est précisément dans les années 80, au plus fort de la répression contre le mouvement de résistance noire que les liens avec Pretoria ont été les plus étroits.»

Quarante ans plus tard, même situation

Nous nous retrouvons, près de quarante plus tard, dans une situation similaire. Israël commet des crimes de masse contre une population, en la bombardant sans relâche et en utilisant la famine comme arme, au mépris du droit international. Or, nous n’avons jamais été aussi proche de cet Etat. Le conseiller fédéral Cassis, ancien vice-président du Groupe d’Amitié Suisse-Israël, a poussé notre pays si loin dans la compromission que, sur le plan diplomatique, notre situation est apparemment comparable à celle des années 80.

En réalité, notre situation est pire! La guerre initiée par la Russie en Ukraine a poussé la Suisse à porter les couleurs d’une neutralité active, qui n’est pas réductible à de l’attentisme dédaigneux, ni à une volonté de tourner le dos aux grandes circonstances internationales. Le 9 septembre 2022, le Conseil fédéral expliquait: «La politique de neutralité nous octroie une grande marge de manœuvre pour pouvoir réagir aux évolutions internationales. L’agression militaire russe contre l’Ukraine constitue une violation grave des normes élémentaires du droit international, sans équivalent dans l’histoire récente de l’Europe.»

Lien avec les Etats-Unis

En théorie, rien ne devrait différer davantage la reconnaissance d’un Etat palestinien. Ni la neutralité suisse, puisqu’elle octroie «une grande marge de manœuvre». Ni notre peur de la réaction américaine, puisque les USA nous ont déjà infligé une punition tarifaire exceptionnelle. Ni même la composition actuelle du Conseil fédéral, puisque le PS est officiellement favorable à la solution à deux Etats et que le PLR s’est historiquement prononcée pour cette même solution. 

«
Il est pourtant urgent de prendre la mesure du désastre. Y compris pour la droite de notre pays, si volontiers éloignée du réel
»

Mais en pratique... C’est là que le bât blesse. Nous continuons de faire comme si les Etats-Unis ne nous avaient pas trahi. Ignazio Cassis est plus soucieux de plaire à ses interlocuteurs israéliens qu’au droit international. Quant au PLR, il y a un écart flagrant entre sa politique historique, favorable à un Etat palestinien, et les diatribes anti-palestiniennes de certains de ses membres les plus éminents – de même qu’il y a une tension entre la sensibilité de certains PLR romands sur ce sujet, et la fin de non-recevoir que leur adresse leurs confrères suisse-allemands.

La Suisse complice?

Il est pourtant urgent de prendre la mesure du désastre. Y compris pour la droite de notre pays, si volontiers éloignée du réel. Gaza est confronté à la plus grande crise humanitaire du XXIe siècle, avec le Soudan. Plus de 60'000 morts. Près de 1400 civils abattus alors qu’ils tentaient de se nourrir. La famine, la prolifération des maladies, l’absence de soins élémentaires. 

Or, cette «crise» n’a rien d’artificielle, ni d’accidentelle. Elle participe d’une volonté israélienne d’épurer ethniquement – c’est-à-dire de tuer ou de contraindre à l’exil – non seulement Gaza, mais encore la Cisjordanie, dont le Parlement israélien a voté l’annexion. De nombreuses voix israéliennes – dont l’écrivain David Grossman – n’hésitent plus à parler de génocide. Si la Suisse ne reconnaît pas maintenant la Palestine, elle en sera complice.

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