Vous connaissez la fameuse phrase souvent utilisée en termes de guerre pour expliquer les défaites engendrées par de mauvais choix tactiques et logistiques: «Trop peu, trop tard.» Or voilà que ces mots méritent, aujourd’hui, de revenir en boomerang vers tous ceux qui, parmi les intellectuels juifs (qui s’affirment comme tels), ont seulement commencé ces dernières semaines à se dire horrifiés par les massacres de Gaza, et à accuser leur perpétrateur en chef: Benjamin Netanyahu.
«Trop peu, trop tard»: ces mots font mal lorsqu’on les prononce, tant fut grande notre fureur, notre rage et notre solidarité devant le spectacle du millier de victimes israéliennes tuées par les commandos terroristes du Hamas le 7 octobre 2023. Dénoncer ce crime abominable et se tenir aux côtés d’Israël agressé était alors indispensable. Réclamer la libération inconditionnelle des centaines d’otages retenus dans les ruines de Gaza était (et demeure) une obligation. Mieux: un absolu devoir moral. Mais pourquoi, ensuite, avoir fermé les yeux?
Sceau de l’horreur
Un an et demi de guerre s’est écoulé depuis ce 7 octobre qui sera toujours, dans l’histoire de l’Etat hébreu, marqué à juste titre du sceau de l’horreur. Sauf que très vite, les faits ont démontré la volonté de l’actuel gouvernement israélien de procéder à un impitoyable nettoyage ethnique de Gaza. Netanyahu, contesté par des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de son propre pays, n’a jamais caché sa volonté d’en finir avec l’idée d’un Etat palestinien. Tout, de l’horreur des frappes asymétriques aux massacres de civils et à la volonté de déportation massive dans le territoire palestinien, est apparu au bout de quelques semaines de combat.
Emmenés entre autres par le rabbin Delphine Horvilleur et la journaliste Anne Sinclair, une poignée d’intellectuels juifs ont donc, aujourd’hui, décidé enfin de se désolidariser d’un gouvernement israélien qui mise sur la terreur. Faut-il s’en féliciter? Oui. Mais ouvrons aussi les yeux: durant un an et demi, le silence parfois complice de ces intellectuel(le)s a permis au pire de devenir réalité.
Réveil public
Se réveiller publiquement en publiant un texte-manifeste qui dit le «refus absolu de l’annihilation d’un peuple» pour réaliser «le rêve de survie» d’un autre peuple n’effacera dès lors jamais les 50'000 morts (ou plus) recensés par les Nations unies dans cette enclave où vivent, emprisonnés et affamés, encore environ deux millions de Gazaouis.
D’autres ont fait, depuis le début de cette horreur, le choix de parler et de prendre tous les risques. J’ai rencontré à Denver, aux Etats-Unis, l’activiste palestinien Ahmed Fouad Alkhatib, dénonciateur inlassable à la fois de l’épuration ethnique version Netanyahu et des horreurs du Hamas qui, selon lui, incarne le «chapitre le plus destructeur de l’histoire palestinienne». Voilà ce qu’est le courage.
Crimes de guerre
Avoir en revanche tant attendu pour s’exprimer, sans pour autant dénoncer de manière claire les crimes de guerre commis par l’armée israélienne, ne peut que nous laisser un goût amer: celui de la facilité et du cynisme, face à un Benjamin Netanyahu qui, depuis le début, poursuit une politique inchangée. Celle de la terreur maximale, disproportionnée, inhumaine et injustifiable.