La chronique de Mathilde Mottet
Les personnes d'extrême droite peuvent-elles aussi être sympas?

En mars dernier, Mathilde Mottet, militante féministe, anticapitaliste et antiraciste a pris part à l'émission «Weekend entre ennemis» de la RTS. Dans sa nouvelle chronique pour Blick, elle revient sur cette expérience.
Publié: 18:37 heures
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Au mois de mars dernier, Mathilde Mottet a participé à l'émission «Weekend entre ennemis» de la RTS.
Mathilde Mottet
Mathilde MottetChroniqueuse Blick

En mars, j'ai participé à l'émission de téléréalité «weekend entre ennemis» de la RTS, dont les deux épisodes ont été diffusés fin septembre. L'idée de la journaliste Laurence Gemperlé et du réalisateur Jacob Berger? Faire débattre des «wokes» et des «anti-wokes», le temps d'un weekend, et amener cette discussion dans les salons des Romand.es. Voilà donc ce que j'ai pensé de cette expérience. 

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«Woke versus anti-woke»: un parti pris dans le cadrage

L'extrême droite a inventé le concept du wokisme pour discréditer et moquer les luttes contre les injustices sociales. Noyer le débat public avec un concept vide de sens est une stratégie consciente de l'extrême droite, qui crée ainsi une confusion qui lui profite entre ce qui découle du réel et ce qui n'est qu'une opinion. Plus les ultranationalistes parlent de wokisme, plus les médias traditionnels cèdent et utilisent à leur tour ce vocabulaire, plus les gens ont l'impression que si on en parle autant, alors il doit bien y avoir un problème quelque part. 

Mais cherchez à définir le problème réel posé par des gens qui veulent juste plus d'égalité et de justice, et vous trouverez seulement l'opinion des ultranationalistes: les «wokistes» sont un problème car elles et ils menacent la préservation d'un ordre traditionnel qui leur profite. Alors quand un média reprend ce cadrage pour la discussion, on a un souci.

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Discuter avec l'extrême droite n'apporte pas grand-chose

J'avais posé une condition à ma participation à l'émission: pas d'ultranationalistes. Grande fut donc ma surprise en rencontrant les représentant.es anti-wokes. Je me suis donc énervée, et, sans contexte sur leur identité et leurs actions (vous ferez vos propres recherches Google), il est facile pour les téléspectateur•ices de me catégoriser d'emblée comme la folle du bus. Sauf qu'accepter une parole d'extrême droite dans un débat, c'est lui donner un poids équivalent à toute autre parole alors qu'elle est dangereuse, nuisible, antidémocratique et non tolérable. 

Rappelons que l'extrême droite (dont fait partie l'UDC) défend un projet de société basé sur l'exclusion, à divers degrés, des personnes non-suisses, queers, non-chrétiennes, handicapées et des femmes. Elle ne le fera pas toujours frontalement, elle tentera d'adoucir son propos en public, mais faut pas nous prendre pour des con•nes non plus.

Pourquoi suis-je donc restée dans l'émission? Par solidarité avec le wokistan et, parce que l'émission allait de toute façon être diffusée, autant occuper le terrain avec une parole antifasciste.

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Des conversations à raz les pâquerettes

Peut-être que c'est divertissant de voir des gens se taper dessus oralement, mais le cadre d'un débat télévisé sur 3 jours et le choix des invité•es ne permettaient pas d'avoir des discussions qui avancent. On reste dans un rôle performé, on n’est pas très enclin•es à écouter sincèrement, et donc on peine à convaincre. 

Les discussions restent d'ailleurs souvent au stade de savoir si oui ou non les inégalités existent, ce qui revient à débattre de la réalité du réel. Génial. Pour se faire entendre, le wokistan a donc été contraint d'utiliser très souvent des arguments personnels, du type «je suis queer donc...»: ces arguments sont efficaces pour politiser de nouvelles personnes, mais si on ne va pas plus loin, on éclipse le fait que les oppressions vécues sont le produit de systèmes entiers à démanteler.

Alors que nous vivons une fascisation de nos sociétés qui désigne les personnes racialisées et non-suisses comme le plus grand ennemi de l'intérieur, je regrette également que le montage de l'émission ait autant écarté les discussions sur l'antiracisme.

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«Tes réactions étaient violentes parfois»

C'est ce que m'a dit ma maman après avoir regardé l'émission. Alors au début ça m'a un peu vexée, mais après je me suis dit que c'était l'occasion de parler de la violence légitime, celle qu'on accepte sans même la reconnaître: la violence de la pauvreté imposée par le capitalisme, la violence de l'existence des femmes et personnes non binaires dans un système patriarcal, mais surtout la violence de défendre à la télé un projet de société basé sur la hiérarchisation des vies. Et face à cette violence, mes petits tacles piquants sont du pipi de chat.

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Le débat idéalisé comme fin en soi

Le but de l'émission semblait être de montrer que des gens aux opinions radicalement opposées peuvent tout de même s'entendre. Mais est-ce que c'est ça le but ultime, que tout le monde s'entende? La culture du débat est hyper idéalisée en Suisse: la prédominance des élections à la proportionnelle, la clé de répartition des sièges au Conseil fédéral et même la paix du travail seraient la preuve qu'on sait discuter, et par le même fait, la preuve de notre supériorité morale. 

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Débattre pour débattre est un sport de fils à papa. Nous, on veut débattre pour changer le monde
»

Alors oui, la pluralité des opinions mérite d'être représentée dans les médias, bien que dans les faits, on lit surtout les opinions de celleux qui ont le plus d'argent pour les visibiliser. Mais il est absurde de considérer le fait de pouvoir discuter plus important que les projets de société défendus par les personnes qui discutent. Débattre pour débattre est un sport de fils à papa. Nous, on veut débattre pour changer le monde. 

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Les ultranationalistes aussi ont des sentiments

J'étais quand même bouleversée en sortant de l'émission. Ça se voit à l'écran: la folle du bus s'est adoucie. Que faire avec l'information que des personnes d'extrême droite puissent aussi être sympas? C'était d'ailleurs le but de certaines d'entre elles: montrer qu'elles étaient gentilles, fréquentables. Et bien on n’en fait rien, parce que ce n'est pas le sujet. Le fait d'être une bonne personne n'est pas pertinent dans une discussion politique télévisée.

«
Si ces actions sont racistes, sexistes ou défendent le grand capital, peut-être qu'au fond, vous n'êtes pas tant une si bonne personne que ça
»

On peut partager une fondue sans s'entretuer, on peut blaguer le temps d'un weekend, mais au fond je m'en fous que vous soyez gentil•les. Je veux bien le reconnaître, mais ce qui m'importe réellement, c'est vos actions, c'est les initiatives que vous défendez, c'est les personnes que vous protégez, c'est les propositions dont vous ne vous distancez pas. Et si ces actions sont racistes, sexistes ou défendent le grand capital, peut-être qu'au fond, vous n'êtes pas tant une si bonne personne que ça.

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