Samedi 21 juin, à Berne, nous étions 20'000. Trois ou quatre générations. Autant de régions linguistiques représentées. Des sensibilités différentes, autant de manières de penser le monde, autant de manières d’y lutter. Une conviction, inentamable: la population civile de Gaza subit un génocide et la Suisse en est complice.
Complice, par son silence, par sa collaboration active avec les autorités et les institutions israéliennes, par la parole même de son ministre des Affaires étrangères qui, de complaisante, est devenue criminelle.
Le poids du silence
Nous avons marché, de la Schützenmatte à la Place fédérale. Nous y avons observé une minute de silence. C’est immense, 20'000 personnes qui se taisent en même temps. C’est un vertige en même temps qu’une pudeur.
Et sur notre nuque le fracas du soleil, et l’écho lointain des femmes et des enfants morts pour avoir cherché un peu de nourriture, et un peu de la poussière que les bombes israéliennes soulèvent en abîmant Gaza jusqu’à la disparition. Les discours se sont succédé, dans toutes les langues, pour dire cette même chose.
Certains ont pu s’agacer de voir les caciques du Parti socialiste parader sur la Place fédérale, eux qui se sont si longtemps tus, qui ont cherché dans la litote une complice de leur silence – et qui, aujourd’hui encore, se content si souvent du minimum. Mais nous n’étions sur cette place publique ni pour juger, ni pour condamner et, toutes et tous, nous sentions si bien l’urgence de la situation que les quelques siffleurs se sont tus d’eux-mêmes, sentant bien que l’essentiel était peut-être ailleurs.
Une autre Suisse existe
Et si cet ailleurs était justement d’affirmer qu’une autre Suisse existe? Une Suisse qui n’est pas celle, si caricaturale, des mouvements d’humeur sur les réseaux sociaux et de la section «commentaires» des journaux en ligne?
Une Suisse qui, toutes générations confondues, ne se limite pas à des remarques de soi-disant bon sens sur le schisme prétendu entre «ceux qui bossent» et «ceux qui ne foutent rien»? Une Suisse qui n’est pas tout entièrement dévouée à cette forme particulière de la fellation qui consiste à se lécher amoureusement le nombril?
Une autre Suisse existe. Elle était à Berne, samedi dernier. Elle vote. Elle gagne, parfois. Elle perd, souvent. Mais elle existe. Mais elle se bat. Il est difficile de dire si la manifestation pour Gaza aura des conséquences réelles sur le positionnement pro-israélien de l’actuel Conseil fédéral. Les mauvaises langues diront que cela ne changera en tout cas rien pour la population de Gaza.
Aux uns et aux autres nous répondons que si l’action ne sert parfois à rien, l’inaction et la soumission n’ont plus. Dans tous les cas, à Berne, c’est une autre Suisse qui s’est manifestée. Et nous pouvons en être fiers. Et nous devons l’aimer.