Chronique de Quentin Mouron
Les milliardaires sont des idiots inutiles

Le récent clash entre Donald Trump et Elon Musk fait ressortir cette évidence: non seulement les milliardaires ne servent à rien, mais en plus ils sont parfaitement idiots... Et leur bêtise dit beaucoup de nous, selon l’écrivain Quentin Mouron.
Publié: 13.06.2025 à 14:37 heures
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Pour Quentin Mouron, le clash entre Trump/Musk en dit beaucoup sur notre système en plus de mettre en lumière leur inutilité.
Photo: Keystone/Canva
Quentin Mouron
Quentin MouronEcrivain

On savait déjà qu’on ne pouvait pas être milliardaire sans être criminel, on comprend désormais qu'il est également difficile d’être milliardaire sans être parfaitement con. Le récent «clash» entre Donald Trump et Elon Musk ne montre pas seulement, comme on le lit trop souvent, deux mégalomanies concurrentes, et qui seraient vouées à se dévorer quand l’une commence à faire de l’ombre à l’autre. Dans ce cas, comme dans d’autres, beaucoup moins médiatiques, il s’agit de cette bonne vieille bêtise, paradoxale, à propos de laquelle Robert Musil remarquait, en 1937 déjà: «Il y a aujourd'hui dans le monde plus d'intelligence mise au service de la bêtise que jamais auparavant.»

La bêtise moderne n’a rien à voir avec cet état de stupidité complète, qui a tant fasciné les écrivains et les médecins à la fin du dix-neuvième siècle, et qui se signale par une incapacité chronique d’entreprendre quoique ce soit... Non, la bêtise dont parle Musil spécule sur de nouvelles technologies, elle saisit des opportunités, elle bâtit des empires, elle fait des farces et des saluts nazis, elle organise aussi bien des dîners que des partouzes, elle sponsorise aussi bien les projets de jeunes génies de l’éco-tech que le génocide des Palestiniens.

Contrairement aux idées reçues, il n’est pas vrai que les milliardaires ne produisent rien: ils produisent au contraire beaucoup, et surtout du chaos, de la confusion, et leur action n’a aucun sens concret, et ne correspond qu’à la forme vide de l’accumulation qui, nous le savons, est parente de la destruction (du climat, des conditions d’existence, des entreprises, des liens sociaux, de ce que vous voulez). Ils ne créent pas d’emplois, comme ils aiment à le répéter, ils captent le labeur de millions de travailleuses et de travailleurs, qu’ils utilisent comme promontoire, à partir desquels ils se projettent vers les cimes où nous les admirons, éperdus, idiots nous aussi...

L'idiotie toute nue

Trump et Musk ne sont pas pires que les autres, ils ont même le mérite d’être un peu plus francs, ils ne sont pas plus stupides, pas plus cyniques, pas plus retors, pas même plus habiles, ils sont simplement nus, ils sont ce qu’est le pouvoir financier quand, parvenu à son acmé, il ne se donne même plus la peine de dissimuler ses attributs. Trump et Musk sont des milliardaires comme les autres, ni plus bêtes, ni plus utiles: seulement, ils se battent à poil, à mains nues, leur gros dard mou qui traîne, dans l’abjection de la boue d’un monde qu’ils façonnent à leur image.

Dans les pièces de Shakespeare, le fou est celui qui révèle la folie du monde. Dans notre modernité, l’idiot signale notre bêtise, celle qui commence par l’admiration béate que nous portons à des figures comme Bernard Arnault, Donald Trump ou Elon Musk, et qui pousse à les défendre même contre nos intérêts, même contre le bon sens, même contre l’évidence de leur forfaiture et de leurs crimes, cette bêtise que l’on doit bien qualifier de «capitaliste», qui nous fait chérir les figures qui nous avilissent, comme le paysan berrichon, il y a trois siècles, chérissait le seigneur qui l’affamait.

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