La chronique de Quentin Mouron
Quand la police fait pression sur un média de gauche

Scandale des groupes WhatsApp, suspensions, enquête pénale: la police lausannoise est sous pression. Mais loin de la contrition attendue, elle redouble de zèle. Ce sont désormais des journalistes qui se retrouvent dans sa ligne de mire, explique Quentin Mouron.
Publié: 17:21 heures
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Déjà sous le feu des critiques, la police lausannoise viserait maintenant les journalistes, déplore l'écrivain Quentin Mouron.
Photo: Canva - keystone
Quentin Mouron
Quentin MouronEcrivain

Soit une séquence partagée sur les réseaux sociaux par le média Ragekiiit. Tandis que l’équipe de tournage se trouve dans un bus des Transports Publics Lausannois, plusieurs policiers cagoulés et armés font irruptions dans le bus et leur demandent d’éteindre leur caméra et de présenter leurs papiers d’identité. La nuit précédente, l’un des membres de ce média avait passé la nuit en garde-à-vue ; il dit avoir demandé des explications et un récépissé, on ne lui a fourni ni l’un, ni l’autre.

Dans l’une et l’autre des interventions: l’opacité des motifs, l’exhibition des moyens. Sans explication officielle de la part des autorités, c’est aux citoyennes et aux citoyens de les deviner: Ragekiiit est un média marqué à gauche, actif sur des questions politiques aussi sensibles que la gestion de la toxicomanie, le génocide contre les Palestiniens ou... le racisme systémique dans la police. 

Ils avaient commis une vidéo sur ce dernier sujet, ce qui les qualifiait visiblement pour organiser des émeutes, préparer des Intifada ou incendier des Reichstag... La police a pu, qui sait, décider de se venger.

Que la traque commence

On aurait pu penser qu’après la fameuse affaire des groupes Whatsapp, la corporation ferait profil bas. Après tout, le Ku Klux Klan, les photos d’enfants morts dont on se gausse, les insignes de la SS... Peut-être que cela aurait pu créer un début de mouvement introspectif. Pas du tout! Dans un premier temps, la police a tenté de faire pression sur la Municipalité pour éviter que ne s’ébruite l’affaire du groupe Whatsapp. A présent, elle cherche à peser sur celles et ceux qui sont le plus susceptibles de continuer à révéler des informations sensibles.

Dans le premier cas, l’AFPL (Association des fonctionnaires de police de Lausanne) a saisi la justice, en utilisant la fameuse «procédure bâillon», décriée par les professionnels des médias. Dans le deuxième cas, les agents ont fait une lecture (très) large de leurs prérogatives, qui leur permet de contrôler l’identité de n’importe quel citoyen, de n’importe quelle citoyenne, et de les placer en garde-à-vue au motif d’une suspicion de délit commis.

La police s’en tient au cadre légal, qui lui est très favorable – comme cela est le cas pour toutes les polices bourgeoises des états bourgeois. Mais jusqu’où cette «traque légale» ira-t-elle? Est-ce que les conseillers communaux qui se sont investis pour le désarmement de la police seront traqués, eux aussi, suivis jusqu’à ce qu’ils commettent une infraction mineure? 

Est-ce que les manifestantes et les manifestants venus dire leur colère ou leur tristesse pour la mort de Marvin, Mike ou Nzoy seront eux aussi placés en garde à vue, au motif d’une suspicion qui tient de l’hallucination raciste? Qu’en sera-t-il des journalistes venus simplement faire leur boulot sur les lieux de manifestation et de révolte populaire? Voilà sans doute ce qu’ils appelleront maintenir l’ordre.

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