Chronique de Léonore Porchet
Victimes de violences sexistes: à qui faire confiance?

Dans sa nouvelle chronique, Léonore Porchet, députée des Vert-e-s au Conseil National, se penche sur le scandale des groupes Whatsapp de policiers lausannois. Que faire si les victimes de violences sexistes ne peuvent plus faire confiance à la police?
Publié: 12:09 heures
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Léonore Porchet s'interroge: a qui les victimes de violences sexistes peuvent-elles faire appel si elles ne font plus confiance à la police?
Léonore Porchet
Léonore PorchetChroniqueuse Blick

C’est fin août, lors d’une conférence de presse de la Municipalité de Lausanne, que le public a appris l’existence de deux groupes WhatsApp où circulaient plus de 6000 images et vidéos partagées par des policiers. Racistes, antisémites, homophobes, validistes et sexistes: le menu de ce groupe est un condensé de haine. Huit agents ont été suspendus, certains impliqués dans des affaires judiciaires en cours.

Les réactions politiques et médiatiques se sont concentrées, à juste titre, sur les contenus racistes. Lausanne a déjà été marquée par plusieurs drames impliquant la police et des personnes racisées. Mais dans ce scandale, il y a encore un angle mort: les propos sexistes.

Les discriminations ne se hiérarchisent pas: elles s’entrecroisent. Racisme, sexisme, homophobie, etc — chacune mine la confiance dans la police. Et pour celles et ceux qui les subissent de plein fouet, cette défiance devient abyssale. Dans tous les cas, c’est la sécurité et les droits des groupes déjà minorisés qui sont mis à mal. Car la police est le premier maillon de la chaîne judiciaire. Si elle faillit, c’est tout l’accès à la justice qui s’effondre.

Déposer plainte, un parcours déjà semé d’embûches

Porter plainte pour violences sexistes ou sexuelles (VSS) est déjà extrêmement difficile. Une étude d’Amnesty Suisse montre par exemple que seule une victime de viol sur dix porte plainte. La peur de ne pas être crue, de subir des remarques culpabilisantes, de revivre l’agression lors des auditions: autant d’obstacles bien documentés. De nombreux témoignages le confirment, comme celui de Marie Sans Filtre, podcasteuse française qui regrette d’avoir porté plainte et dont le parcours n’est pas très différent du parcours des victimes en Suisse.

Dans ce contexte, comment une victime peut-elle avoir confiance en des policiers qui, dans leur cercle professionnel, rient de blagues sexistes ou partagent des images dégradantes sur les femmes? Comment croire que l’on sera entendue, respectée, prise au sérieux?

Ce sont des questions d’autant plus graves que les autorités renvoient les victimes de VSS vers la police. Lorsque j’ai lancé, en 2017, les premiers débats sur le harcèlement de rue à Lausanne, la réponse de la Municipalité avait été de mettre cette question entre les mains de la police. Mais beaucoup de témoignages dénoncent la façon dont les victimes sont mal reçues. J’en ai moi-même fait l’expérience: lorsque j’ai été visée par un cyberharceleur, la police lausannoise ne m’a prise au sérieux qu’au moment où j’ai sorti ma carte de conseillère nationale. Cela renforce un contexte où le harcèlement reste trop souvent considéré comme un détail.

Autrement dit, on demande aux victimes d’aller chercher protection auprès d’une institution qui minimise leurs expériences, qui les suspecte, et qui laisse prospérer en son sein une culture sexiste.

Tolérance zéro, sinon confiance zéro

Ce problème n’est pas propre à Lausanne. A Genève, un rapport parlementaire a déjà pointé la culture sexiste de la police, alors qu’une affaire dans la brigade canine vient d’éclater. En France, des enquêtes montrent des policiers accusés eux-mêmes de violences sexistes. A Londres, un rapport a conclu que la police métropolitaine est institutionnellement raciste, sexiste et homophobe. Le problème est structurel, et la Suisse n’y échappe pas. Il appelle à des mesures.

Max Weber le rappelait: l’Etat détient le monopole de la violence légitime. En Suisse, c’est d’abord la police qui exerce ce pouvoir. Elle a donc un devoir absolu d’intégrité, d’exemplarité et de respect des droits fondamentaux. Or quand du sexisme ordinaire prospère dans ses rangs, le signal envoyé aux victimes est: vous valez moins qu’un homme (blanc). Et si la police pense cela, alors vers qui se tourner?

Reconstruire la confiance

Si nous voulons que les victimes portent plainte, il faut une tolérance zéro pour les propos sexistes et racistes, des formations systématiques, et une culture institutionnelle où la protection des victimes est une priorité. Le travail de la police est difficile, parfois ingrat, et pourtant absolument précieux pour le bon fonctionnement de notre société. C’est parce que nous lui confions la mission délicate de protéger, d’intervenir dans des situations extrêmes et d’exercer la violence légitime que nous devons être particulièrement exigeants. 

Cette exigence ne doit pas seulement se traduire par des sanctions, mais aussi par une ouverture et une modernisation de la profession. Il faut enfin, par exemple, permettre aux titulaires d’un permis C d’accéder à la carrière de policier, qui faciliterait le recrutement dans un contexte de pénurie et renforcerait la diversité au sein des corps de police.

Dans tous les cas, nous ne pouvons plus tarder à mettre en place des mesures ambitieuses, mais nécessaires. Car sans police digne de confiance, pas de justice possible. Sans justice, pas de protection pour les victimes. Et sans protection, c’est toute la société qui s’expose au pire.

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