Mettre les 49 millions d’électeurs français devant leurs responsabilités. Et mettre la France devant l’épreuve des faits, chiffres à l’appui. Dans «Le Journal du dimanche» (JDD) publié ce 4 mai, le Premier ministre François Bayrou annonce son projet de soumettre à référendum «un plan de réforme de l’Etat et de ses dépenses». Un scénario qui concrétiserait la volonté d’Emmanuel Macron de consulter ses compatriotes sur les «grands sujets», comme le Président l’avait promis dans son allocution de vœux le 31 décembre.
Saugrenue, l’idée d’un référendum sur les finances de la France, aujourd’hui le dos au mur avec plus de 3300 milliards d’euros de dette publique (détenue à 53% par des créanciers étrangers), et un déficit public annoncé de 5,4% du Produit intérieur brut (PIB) pour 2025? Non.
Deux défis massifs
Au contraire. «Notre pays a devant lui deux défis massifs, les plus lourds de son histoire récente: une production trop faible et une dette écrasante. Année après année, depuis plusieurs décennies, tous gouvernements confondus, les déficits sont devenus la règle, financés par l’endettement, et cette dette peu à peu nous asphyxie. On peut supporter des déficits temporaires si l’on n’a pas de dette trop lourde, on peut supporter une dette importante si l’on n’a pas de déficits. Mais quand la dette devient écrasante, les déficits deviennent insupportables» explique François Bayrou dans le «JDD». Ce qui est juste.
L’habileté politique de la proposition est qu’elle permet au dirigeant centriste de 73 ans (il en aura 74 le 25 mai) de faire d’une pierre trois coups. Consulter les Français permettrait d’abord de répondre à leur demande maintes fois exprimée dans les sondages, selon lesquels entre 70 et 80% des personnes interrogées souhaitent plus de démocratie directe.
Partis politiques interpellés
Un tel référendum obligerait ensuite les partis politiques à prendre position, alors que la dette n’a cessé d’augmenter sous les gouvernements de droite comme de gauche (environ 900 milliards d’euros en plus sous les deux présidences d’Emmanuel Macron). Dernier avantage: un recours aux urnes, conforme à l’article 11 de la Constitution – qui permet d’organiser un référendum «sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent» – permettrait d’éviter par avance la surenchère électorale attendue avant la prochaine élection présidentielle de mai 2027.
Bien joué François Bayrou? Pour le moment, la partie ne fait que commencer. D’abord sur la marche à suivre. Pour l’heure, le Premier ministre a annoncé un projet de réduction des dépenses publiques d’ici le 14 juillet, tandis que parallèlement les partenaires sociaux renégocient la réforme des retraites entrée en vigueur en 2023.
Pas de majorité
Le chef du gouvernement, sans majorité à l’Assemblée nationale depuis les législatives anticipées de juin 2024, devra donc soit convaincre le président de la République de convoquer un référendum, soit obtenir un vote favorable sur son projet dans des termes identiques par les députés et les sénateurs. Dernier écueil: il faut faire vite. Le projet de loi de finances 2026 sera débattu à l’automne. Celui de 2025 était très en retard, en février dernier. Et la conjoncture internationale n’incite pas à patienter..
Difficile, toutefois, de trouver des arguments à opposer à ce centriste démocrate-chrétien enlisé depuis des semaines dans l’affaire des violences au sein de l’établissement privé Notre-Dame de Betharram, voisin de la ville de Paul dont il est resté maire. «Je pense que la question du budget est assez grave pour qu’elle s’adresse directement aux citoyens» explique-t-il au «JDD». Juste. Souvenons-nous que François Fillon, le candidat battu de la droite à la présidentielle 2017, avait un agenda très libéral soutenu à l’époque par de très bons sondages (avant que ses affaires judiciaires le tuent politiquement).
La rupture version Macron
Souvenons-nous aussi qu’Emmanuel Macron a été élu en 2017 sur une plate-forme de rupture, centrée sur l’initiative, l’entreprise, et l’économie numérique. Les Français ne sont donc pas rétifs aux changements, au contraire, même s’ils ont accueilli avec soulagement le «quoi qu’il en coûte», ces 240 milliards d’euros de subventions publiques dépensées durant la pandémie de Covid-19.
La question porte davantage sur la mise en œuvre de l’agenda de réformes qu’un possible référendum entérinerait. En France, les dépenses sociales représentent 31,5% du PIB, record européen. Autre record pour les prélèvements obligatoires: 42,8% du PIB. Le pays compte environ six millions de fonctionnaires, soit au moins 1/5e de sa population active estimée à 30 millions.
Le taux de chômage est stabilité autour de 7%. Plus de 66'000 entreprises françaises ont fait faillite en 2024, autre triste record. 66% des Français, selon un sondage publié par «Les Echos» en 2023, ont une mauvaise image des services publics dont ils dénoncent le manque de moyens. Voter, dans ces conditions, sera le point de départ d’un marathon politique. Sans aucune garantie sur la ligne d’arrivée.